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se correspondent; dès qu'on en exerce une, les autres deviennent plus délicates et plus susceptibles d'être émues.

Les premiers mouvements de cette sympathie naissent à l'instant même où les objets qui peuvent l'exciter s'offrent à nos regards. Quand nous voyons un homme pour la première fois, nous observons ses traits, nous cherchons son âme sur son visage. Si sa figure offre quelque grâce ou quelque beauté, si seulement quelque singularité la distingue, nous l'étudions avec attention, nous tâchons de saisir les impressions qui y arrivent, de démêler celles qui l'affectent le plus habituellement. Il n'est point d'individu dont la figure, même au premier abord, ne nous donne quelque idée de son caractère, ne nous fasse au moins présumer favorablement ou défavorablement de son esprit. Bientôt l'impression de la physionomie est augmentée, changée ou détruite, par celle des mouvements, des manières, des paroles, par l'accord ou le contraste de ses discours et de ses actions. Lorsque nous croyons trouver dans le regard où l'âme cherche à s'échapper, dans la parole qui en développe les mouvements, dans la physionomie qui en décèle les habitudes, dans les manières qui les trahissent, le caractère et les marques de quelques qualités qui nous intéressent particulièrement, ou par leur rapport avec les nôtres, ou parce qu'elles se trouvent au premier rang dans notre estime, ou parce que leur réunion nous paraît extraordinaire et piquante; alors il s'élève en nous un mouvement de bienveillance pour celui qui nous en paraît doué; nous nous sentons portés vers lui, nous prenons plaisir à nous en occuper, nous éprouvons un intérêt qui nous fait redoubler nos observations et qui les rend plus clairvoyantes. Quelquefois cependant cette première impression est assez forte pour nous troubler, et elle nous occupe au point de nous enlever la faculté d'observer. Dans les âmes vives, l'effet de cette impression est le premier principe des préventions qui les aveuglent, et qui les rendent incapables d'un discernement sûr, quelquefois même d'un jugement raisonnable.

Cette sympathie individuelle que l'on a crue si longtemps inexplicable, n'est cependant qu'un effet très-naturel de notre

sensibilité morale. Lorsqu'un homme nous promet des qualités qui nous plaisent, nous nous sentons portés vers lui, parce que, réveillant en nous l'idée de ces qualités, il nous fait espérer tous les avantages que nous attachons tacitement à leur réalité; c'est ainsi que, par une suite nécessaire de l'amour de nous-mêmes, le plus simple et le moins réfléchi, nous aimons ceux dont la conformité d'opinion avec nous augmente à nos propres yeux la valeur que nous attachons à nos jugements, nous rassure contre la crainte de nous être trompés; c'est ainsi que les êtres recommandables par leurs vertus, leur humanité, leur bienfaisance, nous intéressent, soit parce que leur souvenir nous est une aide et un appui dans nos prévoyances, dans nos projets, soit parce que la seule idée du bien qu'ils ont fait, qu'ils peuvent faire, renouvelle en nous l'impression touchante qu'y produit ordinairement le spectacle ou l'espoir d'un bonheur public, ou le soulagement d'un malheur particulier.

Vous trouverez peut-être, mon cher Cabanis, que l'effet est ici trop grand pour la cause, et vous me demanderez sûrement pourquoi la sympathie individuelle est quelquefois si forte, tandis que ses motifs sont encore si faibles et si vagues. Pourquoi? C'est que l'enthousiasme se mêle aux premières vues de notre esprit, et les étend au delà du point où nos connaissances réelles pourraient les conduire. Observez ce phénomène moral, et vous verrez combien il a part aux sympathies individuelles vives et subites, et qu'il les explique parfaitement.

L'enthousiasme vient de la faculté qu'a plus ou moins notre âme de se représenter à la fois, et d'une manière en quelque sorte indéterminée, tous les plaisirs ou toutes les peines qui peuvent résulter pour nous d'une certaine situation, ou de l'existence d'une certaine personne, et de nos rapports avec elle. Cette représentation réunit sur un seul instant ce qui, dans la réalité, doit occuper des mois, des années et quelquefois une vie entière. Ainsi, l'enthousiasme envisage son objet avec une sorte d'exagération, et cette représentation offrant à l'esprit une plus grande quantité d'objets qu'il n'en peut considérer distinctement, est toujours vague à quelques égards:

d'où il résulte, dans le sentiment, une autre espèce d'exagération, qui naît de la multiplication des douleurs ou des jouissances que nous nous figurons; il en résulte même une erreur réelle; puisqu'alors on est souvent ému par des craintes et des désirs, dont la réalité ou du moins la réunion est impossible, et dont, au milieu de l'agitation de l'âme, on ne démêle pas l'impossibilité ; l'habitude a sur cette disposition une influence singulière : une circonstance ou une personne l'a-t-elle excitée plusieurs fois en nous, elle conserve le pouvoir de l'exciter de nouveau, même indépendamment de toute réflexion, et c'est alors qu'on peut considérer l'enthousiasme comme un sentiment de l'âme. La crainte du déshonneur, par exemple, n'est si active que parce que l'on se représente vivement, et dans un même instant, tous les maux d'une vie passée dans l'opprobre; mais cette horreur une fois inspirée, l'idée du déshonneur excite en nous le même sentiment, sans réveiller celles qui l'ont fait naître la première fois; de même l'enthousiasme que nous prenons pour certaines qualités, nous dispose à une sympathie subite et irréfléchie pour les personnes en qui nous croyons les apercevoir.

La facilité à ressentir ces sympathies presque aussi subites que vives, dépend donc comme l'enthousiasme :

1° De la force de l'imagination qui embrasse, avec plus ou moins de rapidité, ces vastes tableaux de sensations et d'événements;

2o De la force de la sensibilité, qui est plus ou moins affectée par ces tableaux, et qui les garde avec plus ou moins de

constance.

3o On pourrait ajouter aussi, des réflexions plus ou moins profondes que nous avons faites sur l'objet de ces sympathies; car si une sorte d'instinct ou quelques circonstances particulières nous ont fait réfléchir sur une situation, une opinion, une qualité, nos idées s'étant étendues sur leurs avantages ou sur leurs inconvénients, ont en quelque sorte préparé dans nos cœurs une affection pour les individus qui se trouvent dans cette situation, qui ont cette opinion ou cette qualité; et le besoin ou le plaisir de trouver un objet à cette affection,

d'exhaler un sentiment que nous avons porté longtemps dans notre âme sans en jouir, produit ces sympathies subites qui paraissent souvent n'avoir d'autre cause que le hasard ou le caprice.

De la force de l'imagination, de celle de la sensibilité et du degré de réflexion que nous avons apporté sur les motifs des sympathies individuelles, dépendent donc leur nature et leur durée.

Ces sympathies naissent plus promptement, elles paraissent plus vives entre les êtres qui voient avec leur imagination, qui sentent d'après ses aperçus, et qui ont plus d'agitation d'idées que de chaleur de sentiment.

Elles se multiplient davantage entre les hommes dont le sens moral est très-développé; elles sont d'autant plus douces, que leur objet est plus délicat et plus pur; car la nature a voulu, pour nous lier davantage les uns aux autres, que le rapprochement des affections de la vertu fût presque aussi doux que ses actes.

Elles sont plus durables entre ceux dont la sensibilité est plus profonde qu'elle n'est vive, plus douce et plus délicate qu'elle n'est passionnée; entre ceux qui aiment avec cette vérité, cette pureté de cœur aussi nécessaires au charme qu'à la durée des affections.

Elles sont plus intimes entre ces âmes mélancoliques et réfléchies, qui se plaisent à se nourrir de leurs sentiments, à les goûter dans le recueillement; qui ne voient, dans la vie, que ce qui les y a attachées, et qui restent concentrées dans leurs affections, sans pouvoir désirer au delà : car, quelque insatiable que soit le cœur humain, il n'épuise jamais le vrai bonheur quand il veut s'y arrêter.

On a souvent dit que l'estime était la base la plus solide des sympathies individuelles; mais on n'a pas assez parlé de la douceur de ce sentiment en lui-même, on n'y a pas rendu le cœur humain assez délicat. L'estime, cependant, est nécessaire à la confiance et à la liberté, les premiers degrés du bien-être dont notre âme est susceptible. Ce n'est que dans l'estime que l'on peut aimer avec toutes les forces de la sen

sibilité : elle est, en quelque sorte, l'élément unique où se développent nos affections, où le cœur s'abandonne, où par conséquent il se développe tout entier. Dans les âmes honnêtes, l'estime accompagne toujours tacitement les sympathics individuelles; elle peut même déterminer seule ces sympathies, lorsqu'elle porte sur quelques qualités extraordinaires, parce que, dans ce cas, elle est une véritable jouissance.

L'homme estimable est heureux d'estimer; son cœur, facilement ému à la seule idée d'une bonne action, se trouve lié et attaché à celui qu'il croit capable de la faire. Il se plaît avec lui, et cette fraternité de la vertu établit entre eux une liberté, une égalité dont le sentiment est peut-être aussi doux, que celui des liens les plus étroits du sang et de la nature.

Si les premiers mouvements de sympathie que la physionomie, les manières, quelques moments de conversation nous font éprouver pour un être encore à peine connu de nous, suffisent pour que sa présence soit un plaisir; si l'estime seule nous établit, dans un sentiment de bienveillance et de liberté, qui est le premier des sentiments heureux, et qui nous dispose à les éprouver tous; on voit combien une sympathie plus fondée et mieux sentie a de douceurs, et quel peut être le charme de l'amitié; on peut dire qu'il commence avant même que l'amitié soit formée, et en quelque sorte, dès que nous pouvons présager son existence. En effet, dès que nous pouvons concevoir l'idée d'un être qui peut nous aimer, qui seulement est susceptible d'affections profondes et délicates, nous éprouvons un sentiment délicieux, parce que nous réunissons dans notre âme l'idée de toute la douceur que l'amitié peut nous faire éprouver. Ce sentiment est déjà une jouissance, et voilà pourquoi, même en nous considérant comme des êtres sensibles à la douleur et au plaisir physique, le seul plaisir d'aimer et d'être aimé est pour nous un bonheur.

Le plaisir d'aimer naît aussi, en partie, de la jouissance que nous fait éprouver l'idée, le souvenir ou l'espérance du bonheur que notre affection procure à un être sensible; si

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