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tréalais vers cette époque (1). En réalité, les choses se passaient au Canada comme elles se sont toujours passées dans les pays neufs, comme elles se passent encore de nos jours en Australie, au Klondyke ou dans l'Indo-Chine: la vie était extrêmement chère et le luxe inouï. On voyait à Québec et surtout à Montréal car il y avait à ce point de vue une différence assez sensible entre les deux villes ce qu'on voit aujourd'hui dans telle cité coloniale où les femmes des moindres fonctionnaires font autant, sinon plus de toilette que les « ministresses » à Londres ou à Paris. « Au grand nombre de robes de soie, d'habits brodés, de têtes poudrées de tout âge et de tout sexe que l'on rencontre dans la rue du matin au soir, observe un contemporain (2)—, les étrangers seraient tentés de croire que Montréal n'est habité que par des gens de grande et indépendante fortune. »>

<< Montréal est l'abord des sauvages des pays d'en-haut, écrit un autre mémorialiste, et c'est là que se forment les sociétés et les équipements pour les pelleteries. Les habitants sont civils et somptueux ; ils aiment la bonne chère et la munificence. Le sexe y a un goût inimitable pour la parure et sacrifie tout pour contenter cette passion. Enfin, on peut nommer ce peuple le peuple joyeux tout y brille, tout s'y di

vertit » (3).

Le plus grave était que ce goût effréné du luxe et du plaisir se rencontrait trop souvent avec des habitudes encore plus déplorables, en particulier avec la passion du jeu. De là venait qu'un grand nombre d'officiers et de magistrats ne se faisaient

(1) A ce propos, M. Gosselin lui-même cite le témoignage de la fameuse sœur Duplessis, dont les lettres ont été publiées par l'abbé Verreau (Revue canadienne, t. XII). Peut-être conviendrait-il de ne point attribuer à certains documents la portée historique qu'ils ne sauraient avoir ce n'est pas d'après la correspondance d'une religieuse ou les sermons d'un prédicateur, pas même d'après des mandements épiscopaux, qu'on peut juger équitablement d'une époque. (2) Knox's historical Journal, t. II, p. 455. (3) Mém. sur les aff. du Canada, p. 203. A rapprocher de cette peinture de la société montréalaise celle, non moins curieuse, qu'en faisait, vers 1720, le P. de Charlevoix dans son Histoire et description générale de la Nouvelle-France (Paris, 1744, t. III, p. 79) ou bien encore celle qu'on trouve dans les notes de voyage du fameux botaniste suédois, Pierre Kalm, qui visita le Canada en 1749.

aucun scrupule de pratiquer la traite clandestine en dépit des règlements. Les plus hauts fonctionnaires eux-mêmes ne considéraient-ils pas leurs emplois «< comme une mine d'or qu'on leur donnait pour en tirer de quoi s'enrichir »> (1)?

C'est donc au milieu de ce monde de traitants, de fonctionnaires, de «< coureurs de bois » et de militaires, dont les habitudes sociales et la tournure d'esprit contrastaient vivement avec les mœurs et la mentalité de la population d'une ville française, que l'abbé Picquet fit ses « premières armes », sous les yeux de ses supérieurs.

Il est à croire que l'épreuve fut décisive et qu'elle tourna entièrement à son honneur, puisque bientôt, selon l'heureuse expression de Lalande, « on le jugea digne de former seul de nouvelles entreprises dont la France devait profiter pour ramener la paix dans ses vastes colonies. >>

(1) La Hontan le dit sans ambages des gouverneurs eux-mêmes (Cf. François DE Nion, Un outre-mer au XVIIe siècle. Paris, 1900' p. 39, note.)

CHAPITRE II

LA MISSION DU LAC DES DEUX-MONTAGNES.

(1739-1749.)

I. - Débuts de la mission.

Protégée par sa position insulaire, et plus tard par ses fortifications, contre les attaques des guerriers iroquois, la ville de Montréal le fut plus efficacement encore par les missions créées dans son voisinage. Parmi ces postes avancés de la civilisation chrétienne établis en plein territoire indien, les plus importants peut-être, vers le début du XVIIIe siècle, étaient ceux du Sault-Saint-Louis, ou de Caughnawaga (1), et du Sault-au-Récollet (2).

Le premier situé au sud de Montréal, sur la rive droite du. Saint-Laurent, était dirigé par un jésuite. On y compta jusqu'à trois cents sauvages iroquois, lesquels avaient heureusement renoncé aux atrocités et aux pillages qui les faisaient consi

(1) Caughnawaga signifierait sauvages priants » et aurait désigné les Iroquois convertis par les Jésuites et réunis dans la première mission du Sault-Saint-Louis, fondée en 1668 non loin des rapides. Plus tard la mission fut transférée plus en amont. La bourgade actuelle qu'un viaduc unit à Lachine est encore peuplée d'Iroquois. Métis francisés, vivant à la manière des blancs dans des maisons bâties et meublées comme celles des Canadiens, quelques-uns mêmes se sont décidés à prendre du travail dans les usines de Lachine, ils n'apparaissent « sauvages » qu'aux visiteurs auxquels ils vendent des objets en bouleau et des mocassins en peau d'original (?). Habiles pilotes, il n'est pas rare qu'on leur confie la direction des bateaux à vapeur qui « sautent» les rapides. Des bateliers de ce village ont accompagné les troupes anglaises en Nubie pour leur faire remonter les cataractes du Nil. (Cf. Elisée Reclus, Nouvelle géographie générale (Paris, Hachette), t. XV, p. 530.)

(2) « J'ai vu à une lieue d'ici, écrivait La Hontan en 1684 (Lettre IV), au pied d'une montagne un beau village d'Iroquois chrétiens et dirigé par deux prêtres du Séminaire. On m'a dit qu'il y en avoit encore un plus grand et plus peuplé de l'autre côté du fleuve à deux lieues d'ici; c'est un jésuite qui cultive ce champ spirituel. »

dérer par les Canadiens comme des incarnations démoniaques (1).

La mission du Sault-au-Récollet, au nord-ouest de la ville, près des rapides de la rivière des Prairies où périt autrefois un religieux missionnaire, était aux mains des prêtres de SaintSulpice. Ceux-ci y avaient construit une belle église autour de laquelle cent cinquante familles iroquoises, hurones et algonquines, étaient venues successivement dresser leurs cabanes. L'établissement était donc en pleine prospérité, lorsque l'expérience vint démontrer qu'en temps de guerre la mission était dangereusement exposée aux incursions des partis sauvages. Aussi la paix d'Utrecht était à peine signée (1713) que les Sulpiciens sollicitaient du roi la permission de se transporter sur la rive gauche du Lac des Deux-Montagnes, à une dizaine de lieues à l'ouest de Montréal. En 1716, le conseil de Marine approuvait le changement proposé (2); le 17 octobre de l'année suivante, Philippe de Vaudreuil (3), gouverneur, et l'intendant Bégon (4) signaient l'acte de cession du terrain, acte confirmé par le roi le 27 avril 1718 (5).

La mission du Lac, que devait illustrer M. Picquet, était fondée.

Le choix des Sulpiciens était des plus heureux. Sans parler des avantages qu'il offrait au point de vue de la sécurité, le nouvel établissement mettait les missionnaires à portée d'exercer leur zèle au bénéfice des tribus du nord depuis longtemps pacifiées. Le Lac des Deux-Montagnes, ainsi nommé des crou

(1) Cf. M. Gosselin, p. 6. C'est encore un jésuite qui est à la tête de la paroisse actuelle de Caughnawaga. Le mur du presbytère est le reste d'un ancien fort français.

(2) Arrêt du 31 mars 1716. Il porte qu'il « paraît nécessaire pour le bien de l'église de Montréal et la mettre à l'abri des autres sauvages en cas de guerre, de placer la mission à l'endroit proposé » (Archives de l'Archevêché de Québec). M. Gosselin, p. 7.

(3) Louis-Philippe Rigaud, chevalier, puis marquis de Vaudreuil-Cavagnal, qui succéda au chevalier de Callières en 1703 et fut gouverneur jusqu'en 1725. C'est le père du dernier gouverneur du Canada français, Pierre-François Rigaud de Vaudreuil.

(4) Intendant au Canada depuis 1710. Il fut plus tard nommé au Havre (1724), puis intendant des armées navales en 1746.

(5) Enregistré par le Conseil supérieur de Québec, le 2 octobre 1719. La Mission du Sault ne fut cependant fermée qu'en 1721 (M. Gosselin, Ibidem).

pes rocheuses qui le dominent, n'est qu'un élargissement de la rivière Ottawa: or, cette rivière était la « route mouvante »>, suivie par les Algonquins, les Nipissings, les Hurons, etc., lorsque ces sauvages descendaient, vers le mois de juin, à Québec ou à Montréal pour y échanger castors et autres fourrures contre de vieilles armes, des marmites, des haches et des couteaux, voire de l'eau-de-vie de contrebande. Enfin, et cette considération avait bien sa valeur, le site est charmant. Rien n'est plus agréable aux regards que l'aspect de ces collines verdoyantes, de ces riantes prairies, doucement ondulées, de cette nappe d'eau limpide, toute sillonnée dans la belle saison par les barques légères des Indiens remontant ou descendant le cours de la rivière.

Le paysage actuel diffère peu de celui que l'abbé Picquet contempla jadis. Si, depuis le missionnaire, les coteaux sablonneux ont été plantés de pins, de cèdres et d'épinettes, tout làhaut, sur l'une des deux montagnes qui reflètent leurs contours dans le miroir argenté du lac, de gracieux ermitages continuent à mettre la note crue de leur blancheur éclatante sur la sombre verdure des arbres : ce sont les sept oratoires du célèbre Calvaire que des milliers de pèlerins visitent encore chaque année, spécialement le 15 septembre (1).

Du point où s'élève aujourd'hui la grande croix commémorative de l'ancien village du Lac (2), on distingue nettement

(1) Jour de la fête de l'Exaltation de la Sainte-Croix. « Il y a pour ce pèlerinage une indulgence plénière que M. Picquet lui-même obtint du Souverain Pontife. » (M. Gosselin, p. 8, note.)

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(2) Une grande croix de bois a été érigée à quelques mètres de la ferme d'un M. Boileau, sur l'emplacement du premier village. Le nouveau porte, depuis 1867, un joli nom indien, Oka, qui signifie : poisson doré ». 11 occupe un promontoire, à l'endroit où une branche de l'Ottawa se replie au nord-est pour aller baigner la partie septentrionale de l'ile montréalaise et se bifurquer autour de l'île Jésus. Les Sulpiciens résident à la pointe même d'Oka et, sur une montagne voisine, toute verte de forêts, des Trappistes ont fondé un couvent fameux. Ce village comptait encore, vers 1880, plus de cinq cents Iroquois, Outaouais, Algonquins et Nipissings, qui se livraient à la culture, fabriquaient des canots ou chassaient les animaux à fourrures. Mais à la suite de dissensions religieuses, beaucoup émigrèrent dans l'Ontario, si bien qu'en 1886, il n'y restait plus guère qu'une cinquantaine de familles sauvages. En revanche, la population franco-canadienne n'a cessé de s'accroître. Une nouvelle église, de style roman, remplace celle qui a été brûlée en 1877.

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