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comme celui-ci, trois éditions dans un petit nombre d'années, on pourroit presque se borner à ce mode d'annonce laconique proposé par la Bruyère: Il est imprimé sur beau papier, chez un tel, et il se vend tant. Mais si nous avons en effet peu de choses à ajouter à ce qui a été dit sur le mérite propre de ce livre, la matière même a besoin d'être recommandée à nos lecteurs.

Le mot de politique est si intimement lié, depuis vingt-cinq ans, à des théories de gouvernement; il rappelle si vivement des idées de changement et de désordre, que le nom seul d'économie politique doit paroître, pour beaucoup de personnes, l'expression d'une science tout au moins vague et conjecturale. Le gouvernement despotique qui a long-temps opprimé notre patrie, n'a pas peu contribué à inspirer cet 'éloignement qu'il étoit de son intérêt d'étendre à toutes les sciences morales dont la lumière auroit pu éclairer de trop près ce que ses actes avoient d'arbitraire. Il est malheureux que cette épithète de politique ait entretenu des préventions si défavorables. L'économie politique, puisque enfin on la nomme ainsi, n'a, sous le point de vue où M. Say l'envisage, rien de commun avec les théories de droit public. Elle ne se propose ni de remonter à l'origine de la société, ni de discuter les droits plus ou moins étendus des membres qui la composent, ou de déterminer la forme d'association qui leur convient le mieux ; toutes choses que leur extrême complication rend impossibles à fixer avec exactitude, et qu'il est souvent périlleux de trop approfondir. Mais prenant les nations civilisées dans leur état actuel de connoissances, d'industrie et de lumières, avec les notions de propriété qu'elles possèdent, avec leurs arts, leurs lois et leurs moeurs, tels qu'ils existent réellement, l'économie politique examine comment chacune de ces sociétés vit, se nourrit, s'alimente, comment elle obtient de la nature, de son industrie, ou du concours de ces deux élémens de richesse, tout ce qui est nécessaire à ses besoins physiques et à ses jouissances morales.' Elle observe et déterinine la part que chaque classe de la société prend à la formation générale des richesses qui se consomment, soit qu'elle y contribue par la seule participation des propriétés naturelles qu'elle possède, ou en donnant à ces premiers produits une forme et une valeur nouvelle par son industrie et son travail Observant ensuite et mesurant les canaux infiniment ramifiés par lesquels les richesses ainsi produites' s'écoulent et se distribuent entre toutes les parties du corps social, elle découvre la part qué chaque membre de l'association retire de ses efforts,' et dans quel rapport il participe à la consommation. Mais quand une fois elle est ainsi parvenue à reconnoître avec précision, comment la

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richesse qui alimente une nation se développe, se distribue et se con-
somme, cet examen lui montre naturellement quelles sont, dans ce
système général de phénomènes, les forces qui conspirent et celles qui
se contrarient; elle peut donc et elle peut seule indiquer ce qu'il faut
faire pour favoriser le jeu des premières, ou détruire l'opposition des
autres, qui est une véritable perte pour le corps social. C'est alors que
ces vues justes et lumineuses s'élèvent vers les meilleurs moyens de
vivifier l'industrie par les institutions civiles, et de satisfaire aux charges
publiques que la condition de l'association impose à tous les membres
de la société, en récompense de la sécurité et de la protection qu'ils en
reçoivent. Elle fournit ainsi les élémens nécessaires pour asseoir sagement
les impôts, pour les répartir et les percevoir de manière à nuire le moins
possible à l'industrie. Comme elle a déterminé avec précision l'utilité
des métaux précieux monnoyés pour faciliter et accélérer les échanges,
elle sait ce qu'il convient d'en introduire sous cette forme dans la circula-
tion; elle combat les préjugés destructeurs du commerce qui appeloient
les prohibitions sur cette espèce de marchandise, qui n'a pas plus d'im
portance que toute autre valeur dans le marché général des nations;
elle s'élève ainsi à ces hautes considérations d'engagemens et de signes
qui rendent le mouvement social encore plus rapide, à mesure que la
civilisation se perfectionne, et qui font, par exemple, qu'à Londres il
se fait dix fois plus d'affaires qu'à Paris avec dix fois moins de valeurs
réellement transmises, tant la théorie et la pratique des échanges par
balances y sont perfectionnées. Enfin, de ce point de vue élevé, l'éco-
nomie politique fixe les principes généraux que l'administration doit
suivre, pour que son action sur tout le corps social soit vivifiante et
salutaire. Mais ce n'est pas seulement à l'administration qu'elle est utile
le commerce y trouvera l'indication des causes secrètes qui, dans telle
ou telle circonstance donnée, doivent favoriser ou contrarier ses spé-
culations; il verra clairement vers quel point son industrie et ses
capitaux sont appelés avec la chance de succès la plus favorable; et si
cette prévision ne le garantit pas toujours des accidens que le cours
naturel des chances amène, du moins elle donnera à l'ensemble de ses
opérations une probabilité infiniment plus grande que celle qu'elles
auroient eue sans ce secours, ou plutôt elle ne fera que développer,
dans l'esprit du négociant habile, ce que l'expérience lui auroit appris à
la longue, et réduire en précepte le sentiment confus d'avantage ou de
désavantage, que l'habitude des grandes opérations commerciales lui
auroit donné. Enfin, pour les particuliers eux-mêmes, dont la position
'est fixée, et dont la fortune n'exige que d'être entretenue par une con-

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duite prudente, l'économie politique ne sera pas sans utilité. Les mêmes principes qui dirigent sagement les dépenses d'une nation, régleront de même celles de leur famille, et leur administration intérieure sera bonne ou mauvaise aux mêmes conditions que celles du total. Sachant se rendre un meilleur compte de l'emploi de leurs revenus, ils sauront les diriger vers les buts les plus profitables à eux-mêmes, et conséquemment les plus honorables; car, à tout prendre, l'improbité finit en général par être une mauvaise spéculation. Connoissant tout le bien que leurs dépenses sagement dirigées peuvent faire,. ils prendront plaisir à en développer toute l'influence, et ils porteront plus d'utilité avec plus de lumières dans toutes les fonctions civiles qui leur donneront l'occasion d'influer sur le bien-être de leurs concitoyens.

Telle est l'économie politique dans l'ouvrage de M. Say. Ce sont là les principes et les conséquences qu'il a voulu établir, et qu'il expose avec détail.

On voit, par ce seul énoncé, que l'économie politique ainsi envisagée devient une science toute de faits, que l'observation découvre et que le raisonnement enchaîne. C'est pour cela que M. Say a intitulé son livre, simple Exposition de la manière dont se forment, se distribuent et se consomment les richesses; mais ici, comme dans les autres sciences physicomorales, l'observation même des faits offre souvent une difficulté trèsgrande, qui naît de la composition des causes dont ils dépendent; de sorte qu'il faut beaucoup d'adresse pour démêler, dans chaque phénomène, la part qui est due à chacune des causes qui ont concouru à le réaliser. Cependant ici, comme dans la chimie, la physique et toutes les autres sciences d'expérience, cette décomposition est indispensable pour pouvoir découvrir les principes simples des faits, c'est-à-dire, les forces abstraites qui les déterminent par leur action. On trouve dans le discours préliminaire de M. Say, un exposé très-net et très bien fait de tous les essais qui ont été successivement tentés par les divers auteurs d'économie politique, pour arriver à ce but définitif. Les esprits accoutumés aux considérations philosophiques, verront, sans étonnement, que cette science, comme toutes les autres, a commencé par des systèmes fondés sur la généralisation hypothétique de quelques faits particuliers, et qu'elle n'a pris une consistance assurée que lorsqu'on a commencé à lui appliquer la même méthode d'observation et d'induction expérimentale, qui seule a fait avancer les autres sciences, et leur a valu, en moins de deux siècles, mille fois plus de découvertes que n'en avoit fait toute Pantiquité. Nous ne craignons pas d'être démentis en disant que de tous les écrivains qui se sont occupés d'économie politique, M. Say est celui

qui a le plus efficacement contribué à lui donner cette forme réellement scientifique, et à établir, par une déduction nette et rigoureuse, tous les principes généraux que le génie même de Smith avoit pressentis plutôt que démontrés, et qu'il avoit indiqués plutôt que dégagés de la compo→ sition des phénomènes.

Le succès même du livre de M. Say rendroit superflu tout autre éloge." Cette nouvelle édition ne diffère de la seconde que par des éclaircissemens' utiles, par des corrections de détail, par un nouveau soin apporté à donner de la netteté au style, de la clarté aux discussions et de la force aux exemples. Néanmoins, il nous a semblé que quelques-uns de ces der niers étoient parfois trop absolus, ou que les conséquences que l'auteur leur! › suppose étoient énoncées d'une manière trop tranchante, dans laquelle on pourroit trouver plus de sévérité que de justice, le sujet n'y étant pas toujours envisagé sous tous ses points de vue, mais seulement du côté que l'auteur veut rendre accessible à sa critique. Ces cas sont très-rares; mais si nous ne nous sommes pas trompés en relisant l'ouvrage, ils nous ont paru l'être moins que dans la seconde édition. Il est tout simple qu'un esprit droit et sage qui s'est appliqué à découvrir toutes les sources de la prospérité publique, qui en a suivi l'influence vivifiante dans les dernières ramifications de la société, soit blessé au vif de mille petits abus par lesquels une partie du bien qui pourroit se faire est détruite et perdue pour tout le monde. Mais cette passion même du bien public, peut, comme toutes les autres, être quelquefois un peu proinpte à s'exagérer les objets de son attachement ou de son aversion; et alors, quand elle parle, il ne faut l'écouter qu'avec précaution. Au reste, plût à Dieu qu'il y eût beaucoup de livres où l'exagération des sentimens d'ordre et de justice distributive fût la seule dont il fallût se garantir en les lisant! Nous faisons des vœux pour que celui-ci soit lu et médité par tous les administrateurs: on ne peut contempler la société et sonder les détails de son mécanisme, sans voir qu'il s'y trouve bien des forces perdues, qu'une direction plus éclairée rendroit efficaces; et le livre de M. Say montre mieux que tout autre comment on peut les rendre utiles.

BIOT.

GRAMMAIRE ROMANE, ou Grammaire de la langue des Troubadours, par M. Raynouard, membre de l'Institut royal de France (académie française, et académie des inscriptions et

belles-lettres) &c. Paris, chez Firmin Didot, in-8.o, 35 1 pages. Recherches sur l'ancienneté de la langue romane; par M. Raynouard. Paris, chez Firmin Didot, in-8.o, 31 pag. QUELLES que soient l'étendue et l'importance de ce nouvel ouvrage de M. Raynouard, le compte que nous en devons rendre occupera ici peu d'espace, tant parce que nous avons déjà fait connoître (1) les Élémens de la grammaire romane, publiés en 1816 par cet académicien, que parce qu'il a eu plusieurs occasions d'exposer lui-même dans ce journal (2) quelques-uns des principes et des caractères de la langue des Troubadours.

Dans ses nouvelles recherches sur l'ancienneté de cet idiome, il le fait remonter aux commencemens de la monarchie française. Dès-lors, dit-il, on distingue la langue romane et la langue francique ou théotisque. II est vrai qu'on ne retrouve point dans les œuvres de Luitprand le passage que citoit Ducange pour établir la distinction de ces deux langages entre les Francs qui s'étoient fixés dans les Gaules et ceux qui étoient restés en Germanie; mais au VI. siècle, un roi barbare, prisonnier de Justinien, refusant de restituer des provinces, l'empereur, pour lui dire, tu les donneras, se sert du mot roman daras. C'est le plus ancien des faits cités par M. Raynouard; encore cette circonstance grammaticale ne nous est-elle connue que par le témoignage d'Aimoin, qui écrivoit environ six cents ans plus tard. Deux historiens byzantins plus anciens, Théophylacte Simocatta et Théophane, transcrivent, en caractères grecs, les mots torna, retorna, fratre, prononcés, vers la fin du VI. siècle, par des soldats barbares, qui étoient, selon toute apparence, des Goths ou des Francs. Un troisième fait concerne un évêque de Tournay, qui mourut en 665, et qui savoit la langue romane aussi bien que la théotisque; c'est du moins ce que nous lisons dans les Annales de Jac. Meyer, sauf à rechercher et à examiner les témoignages originaux qui appuieroient l'assertion de cet écrivain du XVI. siècle.

Un point sur lequel les textes rapprochés par M. Raynouard ne peuvent laisser aucun doute, c'est l'existence et l'usage de l'idiome roman ou rustique dès le commencement et dans tout le cours du VIII. siècle, en France, en Italie, en Espagne, dans toute l'Europe latine. Luitprand, sous l'année 728, distingue en Espagne dix langues diverses, au nombre desquelles il compte la valencienne et la catalane

(1) Journal des Savans, novembre, pag. 148-152.
(2) Octobre, pag. 67-88; mai, 1817, pag. 289-299.

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