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pour ainfi dire les apologiftes & fes complices, c'eft alors que l'Homme de Lettres, raffemblant fes forces & fon courage, doit combattre & flétrir un ennemi, d'autant plus dangereux qu'il eft deja par-tout ac cueilli & par-tour honoré; il doit le pourfuivre dans tous les repaires, recueille & les malheurs qu'il a caufes & ceux dont il nous menace; les expofer à tous les yeux dans des tableaux affez hideux pour inf pirer à fes concitoyens un falutaire effroi, ranimer le zèle des Magiftrats & la fageffe du Légiflatcur. Telle eft l'entreprife que vient de tenter un Écrivain, auffi recommandable par fes mœurs & fon patriotifime, que par l'eners gie mâle de fon ftyle; & quel que foit l'afcendant de la cupidité fur nos ames, on ne lira point fon Livre fans être indigné contre cette multitude de jeux de hafard, de jeux de fiance, de jeux de commerce, de jeux de toute efpèce qui nous affiegent de toutes parts, qu'on renouvelle chaque jour fous mille formes non moins feduifantes que meurtrières, & qui fubftituent dans nos ames la défiance, Fintérêt fordide, la noire melancolie, à ce caractère de gaîté, de franchife & de nobleffe qui diftingua de tous temps la Nation Françoife.

M. Dufaulx remonte à l'origine du jeu; il Je fuit dans tous les lieux, dans tous les fiécles, le découvre chez les Sauvages & les peuples barbares, comme au fein des nations civilifees & corrompues; mais il ne lui

femble nulle part auffi actif, aufli funefte, aufi univerfellement étendu que parmi. nous. Accueilli d'abord par la Nobleffe, des Courtifans avides & défoeuvrés l'introduifent auprès du Trône; il féduit nos Rois & leur Famille: fous François I, il commence à régner à la Cour; s'y fortifie fous Henri II; l'exemple de Henri IV donne aux joueurs une audace & une confidération qui propagent leur épidémie jusqu'au centre de nos Provinces. Mazarin, pendant la minorité de Louis XIV, fut aggraver le mal; le jeu avec l'intrigue fe trouvèrent enfin naturalifés à la Cour: bientôt on vit des Seigneurs François parcourir l'Italie, l'Espagne & l'An gleterre, non pour y fignaler, à l'exemple de notre ancienne Chevalerie, leur bravoure & leur loyauté, mais pour y exercer le vil métier de joueurs & de Chevaliers d'induftrie. Sous ce règne d'adulation, de magnificence & de calamités, s'établirent les premières loteries; le règne fuivant les fit pullaler à un excès inoui jufqu'alors; & la frénéfie du jeu, qui n'avoir jamais été qu'un vice de particuliers, devint tout-à-coup un vice du Gouvernement. Enforte que le mot de jeu n'a plus rien confervé de la fignification pri mitive; c'eft aujourd'hui un objet de fpécu lations profondes, une grande affaire d'État Le jeu eft à nos yeux une forte d'idole qui a fes temples, fes prêtres, fes adorateurs, fes jours de folennités; on annoncé les faveurs au bruit des inftrumens militaires; on cou

ronne de guirlandes les tableaux où font dé pofés fes oracles; on affiche de nouvelles efpérances dans nos rues & nos carrefours; fes infcriptions brillent de toutes parts; partout on entend retentir la voix de fes hérauts; par-tout on rencontre de nouveaux pièges tendus à la crédulité publique.

'. M. Dufaulx cite un des premiers Arrêts rendus par le Confeil d'État, en faveur des loteries; le préambule en eft curieux, on y fait parler ainfi le Monarque: « Sa Majefté ayant remarqué l'inclination naturelle der la plupart de fes fujets à mettre de l'ar"gent aux loteries particulières.... Et defi »rant leur procurer un moyen agréable & » commode de fe faire un revenu sûr & con» fidérable pour le refte de leur vie, & » même d'enrichir leur famille, en donnant » au hafard...., a jugé à propos d'établir à » l'Hôtel-de-Ville de Paris une Loterie Royale

de dix millions, &c. » Voilà comme on effayoit d'irriter la cupidité populaire dès le commencement de ce fiécle..

Séduits par l'exemple, tous les ordres de Citoyens veulent jouer & donner à jouer; on enfeigne les jeux à la jeuneffe avant de l'introduire dans le monde; & l'ignorance de cette fcience infernale eft maintenant re→ gardée comme un défaut effentiel d'éducation. Auffi n'admet-on dans la bonne compagnie que des maîtres & des difciples pour le moins difpofés à payer au centuple les tableaux & les fiches qu'on leur présente

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les bougies qui les éclairent, les valets qui les fervent, & les mets deftinés à prolonger ce honteux agiotage. Les amis & les familles fe raffemblent, moins pour fe voir & s'entretenir, que pour s'entre-difputer l'or que chacun pofsède. L'infenfé qui fe laffe ruiner fans fe plaindre, obtient le titre honorable de beau joueur; on l'accueille, on le recherche, on célèbre la nobleffe de fon ame, jufqu'à ce que, réduit à l'indigence, il eft forcé d'aller cacher fa honte & fon désespoir loin des barbares qui l'ont dépouillé.

L'Auteur obferve que la paffion du jeu eft du petit nombre de celles que le temps n'affoiblit point; qu'au contraire elle fe fortifie avec les années. Un vieux joueur ne préfente en effet à l'imagination qu'un affemblage d'ac tions bizarres & d'habitudes vicieufes: plein de fa chimère, infenfible à tout ce qui devroit l'intéreffer; errant à travers le chaos des chances & du hafard, où l'efprit cherche en vain la lumière; fans ceffe en garde contre l'aftuce & l'avidité de fes adversaires, cherchant à furprendre leur fecret, & à leur dérober le coup dont il veut les accabler; fuperftitieux fectateur de la fatalité, de la fortune & du deftin qu'il perfounifie, qu'il invoque & maudit tour-à-tour; portant la déraifon jufqu'à fuppofer des vertus occultes aux inftrumens du fort, & une influence particulière à tous les objets qui l'environnent, on le voit tantôt filer fes cartes d'une

main tremblante, tantôt les faire lever par des mains étrangères, tantôt n'ofer mettre. au jeu qu'un argent d'emprunt, tantôt suspendre fes mouvemens crainte d'ufer le bon heur: l'un vous dira qu'il eft sûr de perdre quand certaine perfonne eft à côté de lui; un autre, qu'il ne peut fans danger, ouvrir fa tabatière pendant qu'on diftribue les car-tes; un troisième, fort fenfé d'ailleurs, croir que fon bonheur tient à une pièce de monnoie qu'il conferve précieufement au fond de fa. bourfe.

Ces traits de folie & d'imbécillité n'exci teroient que le rire ou la pitié, s'ils ne com duifoient jamais leurs auteurs dans les gouf fres de la misère ou du crime; mais les Officiers de Police & nos Greffes criminels atteftent que les filouteries, les vols, les affaf finars, les duels, les empoifonnemens, les, fuicides, les banqueroutes frauduleufes tirent. leur principale fource de la fureur du jeu.. M. Dufaulx a vu un de ces maniaques brifer les tables de jeu, manger les cartes & avaler, une bougie ardente. On fe rappelle qu'un au tre, à Naples, mordit avec tant de rage, la table oil venoit de perdre, que fes dents la pénétrèrent, & qu'il refta moit fur la place. Tour récemment encore, un joueur mourut au milieu d'une partie, & fes adverfaires, d'une voix unanime, réfolurent de le fouiller & de fe payer avant qu'on enlevât le cadavre. Deux Anglois partis de Londres pour fe battre en duel en pays étranger, continuèrent

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