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leur partie de jeu pendant la route: arrivés fur le champ de bataille, ils gagèrent entre eux que l'un tueroit l'autre, & trouvèrent même des fpectateurs affez inhumains, pour s'intéreffer dans leur partie. Perfonne n'ignore que durant la tenue de nos États Provinciaux, les joueurs ont une falle 'qu'on nomme l'Enfer, & qui, à tous égards, eft digne de ce nom: un Gentilhomme voulut y jouer jufqu'à fon épée. A Moskou, à Pétersbourg, on joue non-feulement fon or, fes meubles, fes terres, mais encore ceux qui les cultivent, enforte que des familles entières paffent fucceffivement à sept ou huit maîtres en un feul jour. On affure qu'un Vénitien joua fa femme; un Chinois fa femme & fes enfans & qu'ils les perdirent. Les Nègres de Juida ont le même ufage. Dans FInde on joue quelquefois jufqu'aux doigts de la main; le perdant les coupe lui-même pour s'acquitter. Les Germains, fuivant le témoignage de Tacite, fe livroient à cette pallion avec une telle frénéfie, qu'après avoir tout perdu, ils fe jouoient eux-mêmes en un feul coup; alors le vaincu, quoique plus jeune & plus fort, fe laiffoit garroter & vendre aux étrangers. S. Ambroife va plus loin: les Huns, dit-il, après avoir mis au jeu leurs armes & tout ce qu'ils ont de plus. cher , y expofent leur vie, & fe donnent la mort pour s'acquitter envers de gagnant. Cette fièvre eft fi ardente qu'elle tend même à fe perpétuer au-delà du tombeau:

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témoin ce joueur mourant, qui légua fa peau pour en couvrir un dammier, & les os pour en faire des dez.

M. de Voltaire fe plaifoit à raconter l'anecdote d'une joueuse infirme & pauvre qu'il avoit connue; elle s'étoit confacrée au fervice des pauvres joueurs; elle leur faifoit du bouillon, pour l'unique plaifir de les voir jouer.

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Mais il faut fe rendre avec M. Dufaulx, dans ces maifons publiques, où les deux fexes réunis peuvent affouvir en liberté leur cupidité dévorante; où le coucher du foleil & celui du jour fuivant les retrouvent encore dans la même attitude. Là, dit l'Auteur, on entend nommer des Marquis, des Comteffes, des Abbés, des Militaires, des Préfidens, une foule de miférables dont on eft trop heureux d'ignorer l'existence. « J'apperçus quelqu'un que l'on auroit pris pour un honnête-homme, tourner autour d'un double » louis que l'on avoit par mégarde laiffé tomber par terre. Qu'il eut de mal a faire fon coup! il y réuffit cependant. J'en vis » un autre qui déroboit furtivement quel» ques écus au Banquier; tandis que celui-ci payoit on ramaffoit.... Une femme étique qui ne parloit point, ou rarement, qui » reftoit toujours dans la même place, & ne »fe levoit pas même lorfqu'on avoit fervi; »je demandai ce que c'étoit: ce fpectre fé"minin, me dit un homme d'un extérieur » décent & d'une humeur enjouée, eft l'une

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des plus fingulières victimes qui ait jamais » exifté dans les faftes du jeu. Depuis trente ans elle perd fa rente viagère a mefure » qu'elle la touche, & ne fubfifte qu'avec » un peu de pain trempé dans du lait; car » elle eft fort honnête, & tout le monde » convient qu'elle a beaucoup d'efprit. Elle » rougit d'être ici, mais elle mourroit ail» leurs. Comme elle eft fans crédit, la pau» vre fille ne jouera que dans trois mois, » c'est-à-dire, à la première échéance.... » Monfieur, dis-je à cet homme, feriez» vous intéreffé dans la banque? Fi donc, Monfieur, fi donc! je fuis libre, & j'ai de » l'honneur; ma folie à moi, c'est d'aimer » les jolies femmes, & de reconduire celles » qui perdent. Là-deffus il me quitta pour

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en aller confoler une... Ce qui me fem» bloit de plus étrange, c'étoit de voir rôder "autour des tables de vieux joueurs obérés » que l'on recevoit par grâce, foit en faveur

de leurs noms & de leur ancienne splen» deur, foit à caufe de quelque marque de » diftinction qui en impofoit encore, mal

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gré le délabrement de ceux qui les por"toient. J'étois frappé fur-tout de les voir, quoiqu'ils n'euffent rien à prétendre, s'agiter, fe tourmenter autant dans l'attente de chaque décifion, que s'il s'étoit encore agi de défendre ou d'accroître leur patrimoine. L'un d'eux me tirant à l'écart, répondit à ma penfée: comme eux, je »jouois autrefois, me dit-il; maintenant

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enj'en fuis réduit à regarder; car je fuis joueur

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& le ferai toujours. Les autres hommes »en comparaifon des joueurs, me femblent » en léthargie. N'ayant rien à rifquer ici, je » n'y faurois gagner; mais j'y jouis à ma » manière. »

Quelle horrible jouiffance! fe complaire au milieu des fripons & des dupes! nourrir fon ame du défefpoir des uns, & de la joie barbare des autres! paffer fa vie à contempler .des malheureux fufpendus à la roue de la -fortune, exposés à fes cruelles viciflitudes . condamnés pour la plupart à finir leurs trop. longs jours, ou dans l'opprobre, ou dans les larmes & la misère!

L'Auteur ajoute qu'il a fouvent attendu jufqu'au lever du foleil, le dénouement de ces -drames terribles trop pleins de vérité, & que l'art eft bien loin de pouvoir jamais imiter: tout y eft affreux, & la figure, & les propos, & le filence, & les mouvemens des acteurs, & l'attention même des fpectateurs. Mais tout cela n'eft rien en comparaifon des an-goiffes fecrètes; c'est dans le cœur que gronde ·la tempête: "Deux joueurs manifestoient leur rage l'un par un morne filence, ,» lautre par des imprécations redoublées. Celui-ci, choqué du fang-froid de fon voifin, lui reproché d'endurer fans fe plaindre des revers coup fur coup multipliés: tiens, répond l'autre, regarde.... Il s'étoit déchiré la poitrine, & lui en montroit les lambeaux fanglans.»

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» Une époufe infortunée vint, la mort dans les yeux, y chercher fon époux, qui jouoit depuis deux jours. Laillez-moi, s'écria-t'il, laiffez-moi encore un inftant, je vous reverrai peut-être... après-demain. » Le malheureux! il arriva plus tôt qu'il ne » l'avoit promis. Sa femme étoit couchée, » tenant à la mamelle le dernier de fes fils: levez-vous, Madame, levez-vous; le lit » où vous êtes ne nous appartient plus. »

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«Un autre père de famille, après avoir perdu tranquillement, & même avec fé» rénité, la moitié de fa fortune, joua le refte, & le perdit fans murmurer. On le regarde, fa figure ne change point, on apperçoit feulement qu'elle devient im» mobile. Cet homme vivoit à fon infçu. » Deux ruiffeaux de larmes s'échappèrent » de fes yeux, & toujours fans que les traits en foient altérés, il ne parut d'abord que ridicule. Je ne fais quelle idée cette ftatue pleurante réveilla tout-à-coup dans l'ame » des fpectateurs; quoique joueurs, ils finirent tous par être failis de terreur & de pitié, &c.

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Après avoir expofé les abus & les malheurs du jeu, M. Dufaulx propofe différens moyens d'y remédier, foit par l'éducation, foit par de nouveaux réglemens, foit par l'exemple du Monarque & de fa Cour. Il obferve que le Roi de Pruffe, le Roi de SarSam. 16 Octob. 1779.

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