Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

NOUVELLES LITTÉRAIRES.

ÉLOGE DE SUGER

Abbé de Saint

Denis, Miniftre d'Etat fous le règne de
Louis VI dit le Gros, & Régent du
Royaume pendant la Croifade de Louis
VII, dit le Jeune, par M. ***.

Juftiffimus unus.

[ocr errors]

L'ÉPIGRAPHE de ce difcours eft remarquable, & donnera lieu à quelques réflexions; mais il faut commencer par faire connoître l'Ouvrage même. L'Auteur nous apprend dans une note, qu'il ne la point envoyé au concours de l'Académie Françoife. Nous n'en citerons qu'un feul morceau; c'eft probablement un de ceux que l'Auteur a le plus foignés. Il fuffira pour faire juger fes talens. & fa manière; c'eft le portrait du célèbre Abbé de Clairvaux.

دو

[ocr errors]

» Cet homme étonnant, dont l'éloquence & le génie ne connoiffoient point de bornes; ce réformateur auftère, qui por» toit l'art de la perfuafion au dernier degré » où il pouvoit atteindre; cet Orateur véhé»ment, à qui le Ciel avoit difpensé le don » de dominer les efprits, & qui eût été plus "grand peut-être, fi fon zèle pour le foutien » d'une religion de clémence & de paix, » ne l'avoit emporté quelquefois au-delà

[ocr errors]
[ocr errors]

» des limites qu'il femble que cette religion elle-même devoit lui prefcrire; cet illuftre cénobite qui pourfuivit avec trop d'achar"nement le plus aimable & le plus mal» heureux des mortels, Abailard, dans lequel un homme d'une vertu moins émi"nente, pourroit être foupçonné d'avoir » craint un rival; cet immortel Abbé de Clairvaux enfin, qui, malgré quelques foibleffes inféparables de la Nature hu» maine, n'en fut pas moins un des plus étonnans génies qui ayent jamais exifte, » & dont l'Églife a reconnu le mérite, en le

دو

"

دو

دو

plaçant au nombre des faints perfonnages » qu'elle honore d'un culte particulier; » Bernard fe chargea de prêcher cette croi» fade par toute l'Europe, & fur-tout en » France, où fen zèle, animé par le feu divin qui l'embrâfoit, ne pouvoit manquer de » produire les effets les plus furprenans. Il » ne m'appartient pas de juger ce grand homme; mais il me femble. que l'ardeur " avec laquelle il feconda cette fatale en-. treprife, l'égara peut-être, puifqu'il alla »jufqu'à promettre, au nom de l'Eternel,

[ocr errors]

4

que la victoire attendoit les Croifés, que » le Ciel combattoit pour eux, & que les » Infidèles fuiroient devant leurs hannières, » comme la pouffière des champs fous l'ha

leine impétueufe des vents du midi:mais ces » prédictions, quoique foutenues, comme elles le furent, par des miracles, pouvoientelles arrêter le bras de la vengeance divine

qu'irritèrent les défordres des Croifés?" On doit s'appercevoir ailement qu'il n'y a aucune remarque, aucune critique à faire fur ce ftyle. Le difcours. eft écrit d'un bout à l'autre de la même manière.

Mais on ne peut être trop furpris de l'épigraphe dont l'Auteur a fait choix: Juftiffimus unus. On feroit tenté de croire qu'il n'a point lu l'hiftoire de l'homme qu'il célèbre. Comment, en effet, admirer la juftice du perfécuteur d'Héloïfe & d'Abailard, de l'ufurpateur du Prieuré d'Argenteuil? Ces traits de la vie de Suger font aujourd'hui connus de tout le monde; mais on croit encore qu'il ne fut injufte qu'envers quelques maifons religieufes, & qu'il fignala toujours la vertu la plus pure dans le fervice de fon Roi: c'eft une erreur. Il traita quelquefois un Roi qui étoit fon bienfaiteur & fon ami, avec auffi peu d'équité & de bonne-foi qu'Héloïfe & fes infortunées compagnes. Je n'en citerai qu'un exemple. Il avoit fait prendre les armes à Louis-le-Gros contre le Baron du Puifet, dont les brigandages défoloient fa Prévôté de Toury. Louis avoit fait camper fon armée dans cette Prévôté même, comme dans le pofte le plus avantageux contre l'ennemi qu'il avoit à combattre. Suger fe voyoit ainfi obligé d'employer une partie des fruits de fon domaine à la fubfiftance des troupes de fon Roi. Mais il s'étoit flatté de les faire battre pour lui, fans qu'il lui en coûtât rien, fans rien faire pour eux. Il entreprend de perfua

der à Louis-le-Gros que ce pofte n'eft pas aufli avantageux qu'on le croit; qu'il vaut mieux faire camper l'armée à quelque diftance de Toury; & l'adroit Prévôt, dit fon naïf hiftorien, fait entendre tout ce qu'il veut à fon Roi: l'armée s'éloigne de tous les domaines de la Prévôté, & va camper en; des lieux où elle ne devoit rien coûter à Suger. Eft ce-là l'homme le plus jufte, le feul homme jufte de fon fiècle? On conçoit qu'un Panegyrifte peut s'exagérer à lui-même les vertus de l'homme qu'il célèbre; mais est-il excufable, quel que puiffe être fon enthousiasme, de vouloir en faire le feul homme jufte de fon fiècle, lorfque dans ce fiècle même, il y a eu des hommes qui fe font diftingués par la plus grande justice & par les plus grandes vertus? Quel reproche peut faire l'hiftoire à cet Abbé de Cluni qui, même de fon temps, mérita le furnom de Vénérable; qui, dans un fiècle de fuperfti-. tion & d'ignorance, fut que la religion ne pouvoit être defcendue du ciel que pour confoler & défendre l'humanité; qui pardonnoit aux foibleffes des paffions, en donnant lui-même l'exemple des vertus les plus auftères de la vie monaftique; qui eur le courage de devenir le protecteur & l'ami d'Abhilard, au moment que S. Bernard pourfuivoit l'amant d'Héloïfe comme coupable. d'héréfie, qui enfin, par fes fcules vertus, conferva toujours le plus grand pouvoir fur des efprits féroces & abrutis, & fut dans

fon fiècle un personnage presque auffi contidérable que l'Abbé de Clairvaux & l'Abbé de Saint-Denis, fans exercer l'empire de l'éloquence, comme S. Bernard, & fans être, comme Suger, revêtu de toute l'autorité du trône? De quel crime, de quelle injuftice pourroit-on accufer ce jeune Prince des Flamans, ce Charles à qui fes fujets décernèrent une fi touchante récompenfe de fes bienfaits, en lui donnant le furnom de bon (Charles-le-Bon); qui, comme Louis IX, rempliffoit avec grandeur tous les devoirs de la Souveraineté, en fuivant avec fcrupule toutes les pratiques de la religion, & qui mourut affaffiné aux pieds des autels, , pour avoir voulu défendre les foibles & les pauvres de fes États contre les puiffans & les riches? Lorfque l'Hiftoire de ces temps barbares nous a fait connoître des vertus fi touchantes, on ne peut, fans commettre foimême une injuftice, affirmer que Suger ait été le feul homine jufte de fon fiècle.

L'Auteur de ce difcours penfe avec la foule des Hiftoriens, que Suger condamna les Croifades. L'Auteur du difcours couronné avance au contraire que l'Abbé de Saint-Denis n'eut point fur les Croisades une autre opinion que fon fiècle, & qu'il penfa feulement que le Roi ne devoit pas quitter fon trône & fon royaume pour aller commander lui-même fes troupes dans une autre partie du monde. Il eft bien certain que dans la lettre fecrette qu'il écrivit à ce sujet

« VorigeDoorgaan »