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fon crime & fes fureurs. Il s'adreffe à Écho, il la fupplie de prendre pitié de Narciffe. La voix de la Nymphe répond, Narciffe. Qu'aije entendu ? dit-il, c'eft fa voix, ah! c'eftelle. La voix répond, c'eft elle. La furprife, l'émotion de l'infortuné redoublent. Aux bords du Styx, reprend-il, peux-tu m'aimer encore? Er la voix dit: encore. A ce mot, Narciffe fe détermine à fuivre fon amante aux enfers; il ramasse son javelot & veut s'en percer, quand l'Amour l'arrête, & lui préfente Echo, qu'il a rappelée à la vie. Ces deux amans fe précipitent dans les bras l'un de l'autre; & le Dieu qui a fait leur bonheur n'ayant plus rien à faire fur la terre, remonte au ciel, où Jupiter le rappelle.

Cette analyfe fidelle prouveroit feule combien l'action de ce Drame eft lente & mal ordonnée, combien les fituations. dans lesquelles le Poëte a placé fes perfonnages, excitent peu d'intérêt & de curiofite. Ajoutons que l'Auteur a rendu Narciffe amoureux de fa propre figure, après que ce jeune homme a déjà brûlé pour Écho de l'amour le plus tendre. Voilà une grande faute. Il eft fâcheux, & pourtant il eft poffible que la nature fe trompe dans un jeune cœur qui n'a encore rien fenti, & qu'elle le livre en proie à une folle ardeur; mais qu'un cœur qui a déjà fenti une paffion naturelle, qui en a éprouvé toute la chaleur, éprouve enfuite un amour fantafticue, un amour auffi fingulier que celui de Narciffe, cela eft im

poffible. S'il en exiftoit des exemples, ce ne feroit pas au théâtre qu'il faudroit les préfenter. On nous objectera fans doute que la paffion effrénée de Narciffe eft l'effet de la vengeance d'un Dieu. Lorfque dans une pièce de théâtre on fait intervenir ane Divinité, quand on lui fait jouer un perfonnage quelconque, il faut au moins la faire agir d'une manière un peu raifonnable. Lorfque, pour fe venger, elle peut choifir entre cent moyens, il ne faut pas lui en lui en prêter un, de préférence, qui foit deftructif de tout intérêt. Il est certain qu'on peut beaucoup étendre les vraisemblances dramatiques, furtout à l'Opéra; mais, fur ce théâtre même, les vraisemblances ont une borne hors de làquelle l'art ceffe d'exifter, quoi qu'en puiffent dire les Novateurs, & M. le Baron de... l'a outre-paffée. Ovide, dans les métamorphofes qui lui donnoient plus de liberté qu'un Drame, s'eft bien gardé de fuppofer à Narciffe d'autre amour que celui de fa propre perfonne. Il dit pofitivement :

Illum

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Multa cupiere puella, Sed fuit in tenerâ tam dira fuperbia formâ ; Illum. . . . . Nulla tetigere puella.

Et cependant chez lui, comme dans l'ouvrage dont nous rendons compte, l'égarement de Narciffe eft l'effet de la vengeance d'une Divinité.

Nous fentons bien qu'on pourroit nous faire encore une objection. Toute foible

qu'elle

qu'elle feroit, il faut la prévenir & y répondre. On peut nous dire que Narciffe ne fe croit point amoureux de lui-même, mais d'une Divinité des eaux. Dans la manière dont M. le Baron de . . . a établi fa fable, cette fuppofition étoit la plus heureuse, la feule même que, décemment, on dût admettre au théâtre; mais comme elle ne peut tromper le Spectateur fur le véritable objet de la paffion de l'amant d'Echo, elle n'affoiblit aucune des réflexions que nous avons faites, elle fert feulement à prouver que, dans un fujet radicalement vicieux, toutes les reffources de l'efprit font inutiles.

per

L'Amour, ce Dieu fi fécond en miracles, ne fait point un perfonnage bien digne de lui. Il chante quelques ariettes; il amène des ballets qui ne produifent rien; il laiffe mou rir Echo; il abandonne Narciffe au plus affreux défefpoir, & finit par reffufciter la Nymphe dénouement auffi froid qu'il eft mal préparé. En vain voudroit-on excufer fa conduite par ce principe reçu dans la Mythologie, qu'un Dieu ne peut détruire ce qu'a fait un autre Dieu auffi puiffant que lui. Quand de ce principe on ne peut faire reffortir des fituations intéreffantes, il ne faut pas oppofer une divinité à une autre.

La mort prefque fubite d'Echo mérite encore des reproches. Elle croit fon amant infidèle, Cynice l'inftruit de la vengeance d'Apollon, & fa douleur augmente. Qu'ai je, dit- elle, à prétendre fur un infenSam. 23 Octob. 1779.

H

fible? Mais Narciffe n'eft point infenfible : fon ami affure au contraire qu'il est brûlant, ivre d'amour. Narciffe eft enchanté par un Dieu pourquoi Echo ne fait-elle rien pour fléchir ce Dieu ? pourquoi ne cherche-t-elle pas un moyen de rompre le charme qui lui arrache le cœur de fon amant? Non; elle aime mieux pleurer & mourir. Une amante de ce caractère, n'eft faite ni pour attacher ni pour plaire.

On a reproché à Cynire d'employer trop tard le moyen qui détrompe Narciffe. Ce reproche ne nous paroît pas fans réplique. Il eft poffible qu'Apollon, avant la mort d'Echo, n'ait pas permis que le charme fût rompu, & qu'il le permette enfuite. Narciffe rendu à lui-même, peut éprouver le plus affreux défefpoir; ce défefpoir peut le conduire à fe donner la mort, & dans ce cas, la colère du Dieu feroit conféquente, & fa vengeance complette. Il eft vrai que l'Auteur n'en a rien dit; & fi au théâtre, furtout à l'Opéra, il n'eft pas permis de tout dire, au moins faut-il laiffer tout entre

voir.

Réfumons. C'eft à tort que M. le Baron de... a trouvé la fable de Narciffe lyrique & pittorefque. Le defir de vaincre la difficulté l'a égaré, & c'eft dommage; car, malgré les critiques que nous venons de faire, fon Ouvrage annonce de l'efprit, des connoiffances & de la fenfibilité. La fcène qui termine le fecond acte, eft d'un

grand effet; elle en produiroit même davantage, fi elle étoit mieux amenée. La lecture dé cet Opéra prouve que l'Auteur a lu avec attention les Maîtres de notre Littérature, quoiqu'il n'ait pas toujours employé heureufement les expreffions qu'il leur a empruntées. Par exemple, Racine fait dire à Néron, en parlant de l'enlèvement de Junie : Le farouche aspect de fes fiers raviffeurs Relevoit de fes yeux les timides douceurs.

Voilà le langage d'un Poëte tragique. Mais quand Narciffe dit à fon image:

Avec des traits fi pleins de timides douceurs,
Quoi! tu pourrois être inhumaine!

on n'entend pas ce qu'il veut dire. L'Auteur s'eft quelquefois permis des vers de dix, fyllabes, qui n'ont point de céfure; nous en pourrions donner des preuves, mais, comme cet article commence à s'étendre, nous nous en abftiendrons. Nous fommes fâchés de ne pouvoir citer quelques exemples de vers heureux, de ftyle agréable, de pensées ingénieufes qui font honneur à M. le Baron de... Nous l'invitons, fi l'amour qu'il porte aux Lettres l'engage à fe préfenter encore fur le théâtre de Polymnie, à choifir des fujets plus heureux, & plus propres à faire paroître fes talens fous un jour avantageux.

Depuis quelques années, on a beaucoup écrit contre l'ufage fréquent que nos Poëtes Lyriques font de la Mythologie. Nous fom

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