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reur l'appela au pied du Trône, & dépofa dans fes mains la clef de fes tréfors & le cimeterre de fa puiffance. Dès cet instant la voix de Morad & fes ordres fuprêmes furent entendus du fommet du Taurus jufqu'aux bords de l'Océan. Toutes les bouches reftoient muettes, & tous les yeux se baiffoient devant lui.

Morad vécut plufieurs années dans la prof-. périté; chaque jour ajoutoit à ses richeffes & à fon pouvoir; les fages répétoient fes maximes, & des milliers de guerriers obéiffoient à fa voix. L'ambition déconcertée gémiffoit dans l'antre de l'envie, & le mécontentement effrayé trembloit de murmurer.. Mais les grandeurs humaines ont peu de durée; elles fe diffipent comme l'odeur des . parfums qu'on ne renouvelle pas dans le feu qui les confume. Le foleil se laffa de briller fur les palais de Morad; les nuages de la difgrâce s'affemblèrent fur fa tête, & la tempête de la haine qui s'étoit formée lentement, fe groffit & éclata tout-à-coup.

Morad vit fa ruine s'avancer à pas précipités. Les premiers de fes flatteurs qui prirent la fuite, furent fes Poëtes; tous les Artiftes qu'il avoit récompenfés d'avoir contribué à fes plaisirs, les imitèrent; & il n'apperçut auprès de lui que le petit nombre de ceux dont un mérite réel avoit été le titre à fa faveur. Il fentit le danger qui le menaçoit, & fe profterna au pied du Trône. Ses ennemis parloient avec hauteur & avec con

fiance; fes amis muets observoient une froide neutralité, & la voix timide de la vérité étoit étouffée par des clameurs bruyantes. Il fut dépouillé de fon pouvoir, privé des richeffes qu'il avoit acquifes, & condamné à paffer le refte de fa vie fur le bien de fes pères, qu'on daigna lui laisser.

Morad avoit été fi long-temps accoutumé au tumulte des affaires, à répondre à la foule empreffée des fupplians & des flatteurs, que fa folitude lui devint à charge. L'ennui fe répandit fur fon loifir, dont les heures s'écouloient avec une lenteur accablante. Il voyoit avec regret le foleil en fe levant, forcer fes yeux à s'ouvrir à un ǹouveau jour, dont il ne favoit comment remplir la durée. Il envioit le fort du fauvage, errant dans les forêts, à qui les befoins de la Nature ne laiffent aucun moment vuide, & dont la vie fe paffe à chercher fa proie, à la dévorer & à dormir.

Le chagrin & l'ennui altérèrent fa conftitution; il tomba malade, refufa tout remède, négligea l'exercice, & végéta triftement dans une fituation fingulière & terrible, craignant de mourir & ne defirant pas de vivre. Ses gens pendant quelque temps redoublèrent de zèle & d'affiduités; mais voyant que leurs fervices étoient dédaignés, que leurs foins ne faifoient que l'aigrir, qu'il leur favoit même peu de gré de leur attention & de leur exactitude, ils devinrent négligens; & celui qui n'aguères commandoit à tant de nations,

languiffoit fouvent abandonné dans fa cham-! bre, fans avoir un feul esclave auprès de lui.

Dans cet état fàcheux qui empiroit tous les jours, il dépêcha des meffagers à Abouzaïd, son fils aîné, qui étoit à l'armée. Abouzaid effrayé de la maladie de fon père, fe hâta de fe mettre en route pour fe rendre auprès de lui. Morad vivoit encore; il fentit fes forces fe ranimer en ferrant fon fils dans fes bras. Après les premières careffes, il lui ordonna de s'affcoir à côté de fon lit, & lui parla en ces termes:

Abouzaïd, dit-il, ton père n'a bientôt plus rien à espérer ni à craindre des habitans! de la terre. La main de l'Ange de la mort est étendue fur lui; & le tombeau qui l'appelle s'ouvre déjà pour engloutir fa proie. Écoute les derniers avis d'une longue expérience; & que la voix de l'inftruction ne frappe pas inutilement ton oreille.

Tu m'as vu heureux & malheureux; tu as été témoin de mon élévation & de ma chûte. Mon pouvoir eft dans les mains de mes ennemis, mes tréfors dans celles de mes accufateurs. Mais la clémence de l'Empereur a épargné l'héritage de mes pères, & fon courroux n'a pu m'enlever ma fageffe. Tourne les yeux autour de toi; tout ce qu'ils apperçoivent t'appartiendra dans peu de momens. Écoute mes confeils; ils peuvent t'apprendre. à te contenter de tes poffeffions. Elles fuffifent pour te rendre heureux. N'aspire point. aux honneurs publics; ne mets jamais le,

pied dans les palais des Rois. Ton bien te mettra à l'abri des humiliations infeparables de la misère, & ta modération te préservera de l'envie. Contente-toi de vivre en particulier; fais jouir tes amis de tes richeffes; fois bienfaifant. La plus douce jouiffance du cœur eft d'être aimé de tous ceux dont on eft connu recherche-la. Dans le temps de ma gloire & de ma profpérité, voyant tous les mortels au-deffous de moi, & un feul audeffus, je difois à la calomnie: qui t'écoutera? Et à l'artifice: que peux-tu ? Mon fils, ne méprise jamais la malice du foible. Souviens-toi que le venin fupplée à la force, & que le lion peut périr de la piqûre d'un reptile.

Morad expira peu de momens après avoir tenu ce difcours. Le temps du deuil étant écoulé, Abouzaïd réglant fa conduite fur les confeils de fon père, ne s'occupa qu'à mériter l'eftime & l'amitié générale par tout ce qu'il jugea propre à fe les concilier. Il penfat fagement qu'il devoit commencer par affurer fon bonheur domeftique. Perfonne en effet ne peut nous faire autant de bien & autant de mal que ceux qui nous environnant fans ceffe, font témoins de nos négligences, écou tent les faillies d'une gaîté quelquefois inconfidérée, & épient les mouvemens des paffions que l'on ne contraint pas toujours devant eux. Il augmenta en conféquence le falaire de tous fes gens; & il crut exciter leur émulation & fortifier leur attachement par

des gratifications extraordinaires dont il payoit les fervices rendus par le zèle de ceux qui ne fe contentoient pas de remplir leur devoir.

Pendant qu'il fe félicitoit de la fidélité & de l'affection de fes Domeftiques, des voleurs fe glifsèrent un foir dans fa maifon. Ils. furent découverts, pourfuivis & faifis. Ils déclarèrent qu'un Valet les avoit introduits; & ce Valet interrogé avoua qu'il leur avoit ouvert la porte par dépit de ce qu'on en avoit confié la clef à un autre qu'il n'avoit pas cru mériter plus de confiance que lui.

Abouzaïd lui pardonna; mais il reconnut. avec peine qu'il n'eft pas aile de faire un ami de fon Valet; & que parmi les hommes qui étant dans notre dépendance, afpirent au premier rang dans notre faveur, on ne peut en préférer un fans fe faire des ennemis de tous les autres. Il réfolut de rechercher fes égaux, qui feuls pouvoient lui offrir des amis, & il choifit des compagnons de fa folitude & de fes plaisirs, parmi les principaux habitans de fa Province. Il eut d'abord lieu d'être fatisfait de fa nouvelle fociété ; il vécut heureux avec elle pendant quelque temps; mais ce temps ne dura que jufqu'à ce que la familiarité eut chaffé la réferve, & que chacun fe jugea libre de donner carrière à fes volontés, à fes caprices & à fes opinions. Alors ils le troublèrent mutuellement par leurs goûts contraires & l'oppofition de leurs fentimens. Abouzaïd fe vit dans la né

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