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tent ou perfécutent le talent; ils peuvent nuire même à la gloire des Lettres. Un Auteur fans génie ne renoncera jamais à la réputation qu'un Critique fans autorité lui aura promife; & dans l'impuiffance de fe diftinguer parmi les Écrivains qui font l'honneur de la Littérature, il ira fe confondre parmi ceux qui en font le fcandale. Une critique injufte ou trop dure, au contraire, peut effrayer le plus beau talent dans sa naiffance. Cette même fenfibilité délicate de l'imagination, qui fait l'Orateur ou le Poëte, fait trop fouvent un homme timide & fans caractère. Un pédant peut donc enlever un homme de génie aux Lettres. Si ce jeune. homme a du caractère & du courage, ce qui fe rencontre auffi quelquefois avec le talent, un plus grand malheur encore le menace. On n'étouffera pas, fans doute, fon génie; mais on pourra dégrader fon ame. Alarmé pour un inftant, il s'interrogera lui-même avec plus de févérité encore qu'on ne le juge; & cet examen profond & rigoureux lui découvrira, dans un moment, toute l'étendue des talens qu'il doit avoir un jour. Il n'auroit eu que de la confiance, il aura de l'orgueil. L'amour de la gloire eût été pour lui un fentiment doux & heureux qui eût échaufé fon ame, pour l'ouvrir à toutes les affections généreufes; ce ne fera plus qu'une paffionterrible & exclufive, qui le rendra indifférent pour tout ce qui n'eft pas la gloire, & qui Sam. 30 Octob. 1779.

K

lui faira haïr avec fureur tout ce qui paroîtra s'opposer à la fienne. Ses confrères auroient été les amis les plus chers à fon cœur: il ne verra plus en eux que des rivaux qu'il doit combattre & vaincre. Enfin il ira prendre fa place dans la Littérature comme dans un pays ennemi; & les meilleures productions de fon talent feront celles où il aura déposé les fentimens de haine & de fureur qui auront tourmenté & déshonoré la vie.

Quand les Critiques feroient de bonnefoi, ce qui a toujours été fi rare, ils devroient donc encore avoir le don de deviner le talent dans fes effais, pour éviter les inconvé· niens de leurs fonctions. Mais c'eft dans fes prodiges fur-tout que la Nature eft impénétrable, & le génie eft le plus grand de fes prodiges. Qui eût deviné l'Auteur du Tarruffé & du Mifantrope, dans les canevas de ces farces que Molière fit jufqu'à trente ans pour des Théâtres de Province? Les Frères Ennemis annonçoient-ils Britannicus & Athalie? Trois ou quatre ans avant de publier le Difcours fur les Arts & les Sciences, qui commença fa célébrité, Rouffeau de Genève avoit envoyé à l'Académie de Corfe, un Difcours où l'on n'apperçoit aucun germe d'Éloquence & de Philofophie. Quel Critique ne fe feroit pas cru obligé en confcience. de lui prédire qu'il ne pourroit jamais être ni un Philofophe ni un Orateur? Avec quel mépris il eût été traité par ces hommes au

dacieux ou infenfés, qui ont infulté ce grand Homme, depuis même qu'il a déployé tout fon génie!

Juger l'ouvrage avec févérité & avec décence, & n'avoir jamais la témérité d'affigner des bornes au talent de l'Auteur; voilà l'unique moyen d'éviter également, & le danger de donner trop d'encouragement à un talent médiocre, & le danger plus grand encore d'effrayer & d'étouffer un vrai talent. Si le Critique ofe jeter ses regards fur l'avenir, que ce foit pour y voir des fuccès plutôt que des revers. Eh! combien il faut avoir de dureté pour ne montrer aucune indulgence envers ceux qui, fe préfentant la première fois dans la carrière, attendent & recueillent en tremblant toutes les décisions, & font heureux ou malheureux au moindre mot d'éloge ou de cenfure! Les premiers effais du talent doivent s'embellir de l'efpérance, comme les premières années de la vie; le jeune Orateur & le jeune Poëte doivent paroître destinés à la gloire, comme le jeune homme au bonheur.

C'eft dans ces difpofitions que nous allons examiner le Poëme de M. de Flins des Oliviers. Si nous fommes févères, ce ne fera que par le defir de contribuer, autant qu'il eft en nous, aux progrès d'un Auteur dont l'âge infpire de l'intérêt, & dont l'ouvrage peut donner des espérances.

M. de Flins n'a voulu faire aucun ufage des fictions de la Mythologie pour célébrer

un Poëte Philofophe; mais il eft difficile que la Poéfie fe paffe de fiction. Il fuppofe donc que la Vérité defcend du haut des cieux pour venir le trouver dans la folitude où il médite fur le Génie de Voltaire; elle le conduit dans fon temple, où font raffemblés les grands Hommes de tous les fiécles, & lui montre les Ouvrages de Voltaire dans une fuite de tableaux.

Ce cadre n'eft pas heureux. D'abord il eft très-ufé. On a peint mille fois le temple de la Gloire, le temple de l'Amitié, le temple de la Vérité, &c. &c. &c. &c. Quand on veut feindre, il faut imiter. Il me femble qu'on excuferoit bien plus aifement des idées communes que des fictions ufées: on ne pardonne pas à l'imagination de ne pas créer. Pour motiver cette fiction, M. de Flins dit de la Vérité,

Elle cherche en fecret le Sage qui médite.

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Et il ne s'eft pas apperçu, peut-être, qu'il se donnoit ainfi lui-même, à dix-neuf ans pour un Sage qui médite. Enfin, en prenant le parti de ne rappeler des Ouvrages de Voltaire que ceux qu'il eft poffible de voir dans une fuite de tableaux, c'est se condamner à ne faire aucune mention d'une foule des plus beaux Ouvrages de ce grand Homme. Comment retracer, par exemple, les Difcours Philofophiques & la Philofophie de Newton dans une fuite de tableaux? Aufli M. de Flins n'en parle-t'il pas du tout. Il eft donc clair

que d'après fon plan, il lui étoit à peu-près impoffible de traiter fon fujet.

M. de Flins paroît n'avoir pas encore beaucoup étudié l'art d'écrire, que le talent même ne fupplée pas. Ses vers n'expriment pas toujours l'idée qu'il a voulu rendre.

Louis m'offre plus loin sa vaste destinée :
A fon char quarante ans la Fortune enchaînée,
La terreur de fon nom & l'éclat de fa Cour,
Où la galanterie a détrôné l'Amour,
Etalent vainemenr leur faftueufe image:
Ici, d'aucun éloge ils n'obtiennent l'hommage.

L'Auteur a voulu dire que Louis XIV étaloit la faftueuse image de la Fortune enchaînée à fon char; & dans la phrafe que nous venons de citer, c'eft la Fortune enchaînée qui étale La faftueule image. Il n'y a pas de quoi être faftueux quand on eft enchaîné. Aufli n'est-ce pas là ce que l'Auteur a voulu dire.

Cependant deux Héros, illuftres adverfaires,
Me frappent tour-à-tour de qualités contraires,
Charles-Douze & le Czar.....

Le Czar & Charles XII eurent des qualités différentes, mais non pas contraires. C'est même ce qui résulte des portraits que l'Auteur lui-même en trace enfuite.

Le cruel fanatifme, au moment qu'il fuccombe,
Jette un cri d'allégreffe & fourit sur sa tombe,

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