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répliqua le foldat; & je fuis bien trompé fi je ne les vois pas en ce moment defcendre de

ce coteau.

Nous vîmes en effet une espèce de chariot traîné par un cheval, dans lequel étoient une jeune femme & un payfan qui conduifoit la voiture. Dans l'intervalle du temps qu'ils mirent pour arriver jufqu'à nous, le Soldat nous raconta qu'il avoit reçu en Corfe un coup de feu, pour lequel on avoit été obligé de lui couper la jambe; qu'avant de partir pour cette malheureufe expédition il avoir pris des engagemens avec une jeune fille de fon voifinage; que le mariage avoit été remis jufqu'à fon rétour; mais que lorfqu'il s'étoit préfenté avec la jambe de bois, tous les parens de la fille s'étoient oppofés à leur union. La mère de fa fiancée, qui étoit la feule dont elle eut à dépendre, lorfqu'il commença à lui faire la cour, avoit toujours pris fes intérêts, mais elle étoit morte pendant qu'il étoit abfent. Quoi qu'il en foit, fa fidelle fiancée lui avoit conftamment gardé toutes les affections; elle l'avoit reçu avec les plus vifs tranfports, & elle avoit confenti á abandonner fa famille pour le fuivre à Paris, d'où ils avoient réfolu de fe rendre, par la diligence, dans fon village, où fon père vivoit encore. Ma jambe de bois ajouta-t'il, vient de fe caffer en ce moment, ce qui a obligé ma maîtreffe de me quitter & d'aller chercher un chariot pour me tranfporter au premier village, afin d'y faire re

nouveler ma jambe. C'est un malheur, mon Officier, qui fera bientôt réparé; & voici

mon anie.

La jeune fille s'élança de loin hors du chariot La la main que fon amant étendoit vers elle, & lui dit, avec un fourire plein d'affection, qu'elle avoit trouvé un excel lent Ouvrier qui s'étoit engagé à lui faire une jambe à toute épreuve, qu'elle feroit prete dès le lendemain, & qu'ils pourroient reprendre leur voyage quand il lui plaircit.

Le Soldat reçut en amant paffionné les ren dres foins de fa maîtreffe.

C'étoit une jeune fille qui paroiffoit avoir environ vingt ans, elle étoit jolie, grande & bien faite; fes yeux & fon maintien annonçoient le fentiment & la vivacité.

Vous devez être bien fatiguée, mon enfant, lui dit le Marquis. On ne fe fatigue pas, Monfieur, quand on travaille pour ce qu'on aime, répondit-elle. Le Soldat baifa fa main d'un air tendre & galant. Vous voyez, me dit le Marquis, que lorfqu'une femine a donné la tendreffe à un homme, ce n'eft pas une jambe de plus ou de moins qui peut faire changer fes fentimens. Ce n'étoit pas fa jambe, dit Fanchon, qui avoit fait impreffion fur mon cœur. Si elle en avoit fait un peu, dit le Marquis, vous n'auriez pas été tout-à-fait unique dans votre façon de penfer. Mais allons, continua-t'il en s'adreffant à moi, cette jeune fille eft charmante Lon amant a l'air d'un brave garçon

& nous

ils n'ont que trois jambes entre eux, en avons quatre; fi vous n'êtes pas trop fatigué, nous les mettrons dans notre voiture, & nous les fuivrons à pied jufqu'au premier village, pour voir ce qu'on peut faire pour d'auffi tendres amans. Je n'ai jamais accepté de propofition avec plus de plaifir.

Le Soldat commença à faire des difficultés pour entrer dans la voiture. Montez, montez mon ami, dit le Marquis, je fuis Colonel, & votre devoir eft d'obéir. Montez fans plus de façon. Votre maîtreffe fera à votre côté.

Entrons, mon bon ami, dit la jeune fille, puifque ces Meffieurs veulent abfolument nous faire cet honneur.

Une fille comme vous feroit honneur au plus bel équipage de France, reprit le Marquis, & rien ne me flatteroit davantage que d'avoir les moyens de vous rendre heureuse. Laiffez-moi faire, mon Colonel, dit le Soldat. Je fuis heureuse comme une Reine, dit Fanchon. La chaife partit. Le Marquis & moi, nous fuivîmes.

Lorsque nous arrivâmes à l'auberge où nous avions dit au poftillon d'arrêter, nous trouvâmes le Soldat & Fanchon qui pleuroient enfemble d'attendriffement. Mon ami," dis-je au Soldat, comment imaginez-vous pouvoir vous foutenir, vous & votre femme? Monfieur, me répondit-il, celui qui a imaginé pendant cinq ans de vivre de la paye d'un Soldat, ne peut guère être em

barraffé le refte de fa vie. Je joue affez bien du violon, ajouta-t'il, & peut-être n'y a-t'il pas dans toute la France un village où il fe faffe plus de noces que dans celui où nous allons nous établir. Je fuis bien sûr de n'y manquer jamais d'emploi.

Pour moi, dit Fanchon, je fais faire des filets à cheveux & des bourfes de foie. De plus, mon oncle a deux cent livres à moi entre fes mains; & quoiqu'il foit beaufrère du Bailli & volontiers brutal, je lui ferai tout payer jufqu'au dernier fol. Et moi, dit le Soldat, j'ai foixante francs dans ma poche, fans compter deux louis que je viens de prêter à un pauvre Fermier pour le mettre en état de payer fes impofitions, & qu'il me rendra quand il pourra.

Vous voyez, Monfieur, me dit Fanchon, que nous ne fommes pas dans un état à exciter la pitié. Eh mon bon ami, continuat'elle, en jetant fur fon amant un regard plein de tendreffe, que faut-il de plus pour être heureux? Si nous ne le fommes pas, ma douce amie, répondit avec feu le Soldat, je ferai bien à plaindre. Je n'ai jamais éprouvé une plus douce fenfation. Les larmes rouloient dans les yeux du Marquis. Tenez, ma chère enfant, dit-il en fe tournant vers Fanchon, jufqu'à ce que vous puiffiez être payée de vos deux cent livres, & qu'on ait rendu à votre ami fes deux louis, faites-moi le plaifir d'accepter cette bagatelle, en mettant une bourfe de louis entre

fes mains. J'espère que vous continuerez d'aimer votre mari & d'en être aimée. Faitesmoi favoir de temps en temps comment vont vos affaires, & de quelle manière je pourrai vous fervir. Ceci, ajouta-til, en déchirant le deffus d'une lettre, ceci vous informera de ma demeure & de mon nom; mais fi jamais vous me faites le plaifir de me venir voir à Paris, ne manquez jamais d'amener votre mari avec vous; car je ne voudrois ni vous estimer moins, ni vous aimer plus que je ne le fais en ce moment. Venez me voir quelquefois, mais amenez toujours avec vous votre mari. Je ne craindrai jamais de vous l'envoyer toute feule, dit le Soldat, & elle vous verra fans moi auffi fouvent que cela lui fera plaifir.

Mon bon ami, dit Fanchon avec un fouFire, votre Sergent m'a dit que c'étoit pour vous être un peu trop hafardé que vous aviez perdu votre jambe. M. le Marquis n'eft que trop aimable. Je fuivrai fon avis à la lettre; & lorfque j'aurai l'honneur de le voir, vous m'accompagnerez toujours.

Que le ciel vous béniffe tous deux, mes bons amis, dit le Marquis; que celui qui tentera d'interrompre, votre bonheur, n'en goûte plus un feul instant dans la vie. Je fais mon affaire de vous trouver un emploi plus lucratif que celui de votre violon. Vous pou vez attendre ici qu'une voiture vienne vous prendre pour vous amener à Paris. Mon Valet-de-chambre aura foin de vous prépa

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