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ne valoient donc pas la peine qu'on en parlât? Voilà une cheville d'une nouvelle espèce.

Jour, qui va couronner les deftins les plus beaux!
Jour, Fait pour payer feul un fiècle de travaux!

On voit que Auteur n'a fait ces deux vers que pour trouver deux rimes.

Mais fi chacun de ces deux vers préfente une idée grande & diftincte, il fe trouvera que le Poëte les a faits pour exprimer deux grandes idées. Or, que le jour du triomphe de Voltaire ait couronné une vie illuftre; que ce jour feul, ce feul triomphe, eût été la digne récompenfe de foixante ans de travaux; voilà deux vérités, dont chacune, à ce qui me femble, méritoit bien d'occuper une ligne dans fon éloge.

Un feul vers eût exprimé plus heureufement toute fon idée.

Jour, qui va couronner un fiècle de travaux.

Le Critique me permettra de lui dire que dans la véritable acception des mots, ce jour payoit les travaux de Voltaire, & ne les couronnoit pas. Couronner des travaux, c'eft les terminer par un bel ouvrage, ou par une action glorieufe: la guerre d'Efpagne couronna les travaux de Céfar; la tragédie d'Edipe couronna les travaux de Sophocle. Dans un autre fens, les travaux de Voltaire avoient déjà été couronnés par les plus éclatans fuccès. Ce jour couronnoit fes deftins, il mettoit le comble à fa gloire; & il étoit affez glorieux lui-même pour payer feul foixante ans de travaux. Rien n'est plus clair, & riem n'eft plus jufte.

Pour critiquer des vers avec tant d'affurance, & pour enfeigner à les faire, il faudroit d'abord étudier fa langue, & puis le préferver de l'efprit de chicane, qui eft le plus grand ennemi du goût.

60D iij

que

Où le Critique a-t-il donc vu qu'enivré ne peug être pris abfolument au moral, & que, dans quelcirconftance qu'on l'empleie, un peuple enivré fignifie un peuple ivre? Qu'il fache qu'au moins en poëtie, enivré eft, dans tous les cas, parfaitement analogue à ivresse; c'est au fens à décider fi c'eft ivrejfe de vin, d'enthousiasme ou de joie; & il en eft de même d'enivré.

Formant un même cri, mille voix fe répondent.

Si les mille voix se répondent, elles ne fe font pas entendre à la fois; elles ne forment, donc pas un même cri.

Un Cenfeur fi difficile devroit favoir qu'un même eri n'est pas toujours un cri fimultanée: il fuffit qu'il foit continu, & qu'il exprime une même chofe. Par exemple, le Roi, depuis Paris jufqu'à Reims, n'a entendu qu'un même cri, & l'on pouvoit dire alors de cent mille voix, qui fe répondoient par écho qu'elles formoient un mêine cri.

Tous, vous vous difputez le droit de l'en couvrir. (de lauriers)

Dans ce vers, le Critique reprend tous, vous vous comme déplaifant à l'oreille. A la rigucur il a raffon, quoique tous fe détache, & que l's qui fe fait enten, dre à la fin de ce mot, en diftingue le fon de celui de vous, dont l's ne s'entend pas. Le droit ne lui femble le mot propre ; il a raison encore, mais pas ce fcrupule eft minutieux.

Renait, &c.

Savieilleffe attendrie

Ici fa remarque eft plus folide: renaît ne dit pas fe

ranime.

Du génie & du temps l'ouvrage fe confomme.

Qu'est-ce que l'Auteur a voulu dire? Eft-ce que

le retour de Voltaire dans fa Patric, après trente ans d'atfence, étoit l'ouvrage du génie & du temps?

Le retour de Voltaire dans fa Patrie n'étoit point l'ouvrage du génie & du temps, & le Poëte n'en dit pas un mot. Mais il vient de peindre, dans les vers précédens, les honneurs que la Patrie lui accorde ; & la juftice rendue à ce Grand Homme, eft l'ouvrage du génie & du temps: du génie qui a forcé l'admiration, &du temps qui a laffé l'envie.

Tous les cœurs font heureux des honneurs d'un Grand Homme.

On ne peut pas dire les honneurs d'un grand Homme, pour les honneurs que reçoit un Grand Homme.

Le Critique ne croit donc point qu'on puiffe dire mes honneurs, pour les honneurs que je reçois; mais qu'il le demande à Racine :

Je vois mes honneurs croître, & tomber mon crédit. Or, fi Agrippine peut dire mes honneurs, on peut dire aufli les honneurs d' Agrippine. Ce que le Critique femble avoir eu le plus à cœur en attaquant ce vers,

a

été de faire fentir qu'il étoit commun; mais il n'y a rien de moins commun, ni dans le fait ni dans les termes, qu'un peuple heureux des honneurs d'un Grand Homine. Ce vers exprime la circonftance la plus intéreffante du triomphe de Voltaire dans fa patrie; il préfente un tableau touchant ; & il faut bien qu'on en ait fenti la vérité & la beauté, puifqu'à la Séance publique il a été tant applaudi.

Après avoir cité ce morceau:

Il n'eft plus !... Prends ton vol, agile Renommée!
Aux bouts de la terre alarmée,

Porte de tes cent voix le plus lugubre accent;

Qu'on le répète en gémissant.

Annonce un jour de deuil à tout Être qui pense 3
Et nous, quand Voltaire s'élance

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Vers l'Olympe des demi-Dieux,

Saluons par nos chants fes Mânes radieux.

Que la Nature entière, à fa perte attentive,
Les Beaux-Arts orphelins, l'Humanité plaintive,
Lui confacrent de longs adieux.

Le Critique reprend ainfi: pendant qu'au bout de la terre alarmée on gémira, on fera en deuil, parce que Voltaire vient de mourir au milieu de nous, Auteur veut que nous chantions, parce qu'il s'élance vers l'Olympe des demi-Dieux.

Ainfi ces mois, faluer par des chants, font traduits par le mot chanter, qui préfente communément l'idée de la joie; & au moyen de ce traveftiflement, on tourne en ridicule un beau vers: rien de plus ailé. Mais qui ne fait pas qu'il y a des chants funèbres, des chants religieux; & qu'en pleurant la perte d'un grand homme, on peut le faluer par des chants' de louange,?

Quel eft, demande le Critique, cet Olympe des demi-Dieux?

Lucain va le lui apprendres.

Qud niger aftriferis connectitur axibus aër,
Semidei manes habitant, quos ignea virtus
Innocuos vita, patientes atheris imi
Fecit, &aternos animas collegit in orbes.

Cette idée eft, je crois, affez grande, assez poétique, pour mériter d'être adoptée; mais comme on la Croyoit nouvelle, on l'a traitée avec mépris.

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Si avant de critiquer les ouvrages de Poéfie, on étudioit les Poëtes, on fe rempliroit de leurs idées, on s'accoutumeroit à leur langue, on ne trouveroit pas triviale l'épithète de radieux appliquée à des mânes, on verroit que par ce feul mot, le Poëte fait Poffice du Peintre; on ne trouveroit pas oifeux un Démistiche, où le Poëte représente la Nature attentive

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à la mort d'un grand Homme; on ne demanderoit pas pourquoi de. longs adieux font adreffés à un homme dont il eft fi naturel que les Beaux-Arts, les Lettres, l'Humanité s'occupent long-temps encore après la mort; on fentiroit le prix d'un mot qui repréfente les nations fuivant des yeux les mânes de Voltaire, & lui faifant de longs adieux; enfin l'on n'oferoit pas dire que le Poëte qui a fait ces beaux vers, & fur-tout celui-ci,

(

Annonce un jour de deuilà la terre alarmée,

femble n'avoir pas eu le fentiment de ce qu'il exprime.

Le Critique a eu foin de mutiler le tableau fuivant, l'un des plus beaux de tout l'ouvrage. Commençons par le rétablir.

Les morts fe font émus, & les ombres célèbres
Oat paru s'ébranler fous les marbres funèbres.
Sous fa pierre ignorée Homère a treffailli.
Aux champs de Port-Royal Racine enfeveli,
A d'un nouveau murmure attrifté cette enceinte,
Aujourd'hui désoléc, & qui jadis fut sainte.
Du Capitole antique, où le Tasse erre en vain,
Les rochers ont gémi, frappés d'un cri foudain.
Lé laurier renaiffant, à Virgile fidelle,
A courbé fes rameaux fur fa tige immortelle.
Dans les caveaux facrés, dernier féjour des Rois
Un écho lamentable a retenti trois fois

Trois fois, fous la noirceur des voûres fépulcrates,
S'élevant du milieu de ces tombes Royales

Une voix a redit dans ce morné féjour:

Le Chantre de Henri vient de perdre le jour!

รา

Ce morceau, applaudi avec tant d'éclat à la Séance publique, n'arrache pas un feul éloge au Cenfeur anonyme: il ne remarque dans ces vers que des

Dy

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