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images vagues & communes. C'eft, dit-il, ce défaut continu de précifion dans les idées, qui rend tant d'ouvrages en vers fi vagues, fi vuides, fi dépourvus d'effet. Verfus inopes rerum.

Quelle juftice! quelle bonne foi!

Il demande quelle est la différence des morts avec les ombres célèbres; comme fi après cette idée générale, les morts fe font émus, il n'étoit

pas dans l'ordre naturel de particularifer les ombres célèbres.

Il demande pourquoi le Pocte, a mis ont paru s'ébranler ; & cet adouciffement dans l'expreffion, Jui femble déplacé dans un Poëme qui, felon lui, n'eft que du genre tempéré.

Il demandé ce que c'eft que ce nouveau murmure de Racine, comme s'il étoit bien difficile d'imaginer poétiquement que l'ombre de Racine a pu former déjà quelques murmures; par exemple, lorfque PortRoyal, fon dernier afyle, a été enseveli fous fes ruines: événement rappelé par ces mots,

Cette enceinte Aujourd'hui défotée, & qui jadis fut fainte."

Il demande qu'est-ce qu'il y a d'étonnant à ce qu'une demeure fainte foit défolée. S'il y avoit profanée aulieu de défolée, cela feroit un fens, dit-il; comme fi en défolant un lieu faint, on ne le profanoit pas!

Il demande pourquoi le Taffe erre en vain autour du Capitole où il alloit être couronné quand il est nort; il ne s'apperçoit pas qu'il l'explique lui-même, & qu'il eft très-naturel de fe repréfenter l'ombre du Taffe errant autour du Capitole, & redemandant la couronne qui lui eft échappée. Enfin il ne daigne pas obferver que quand toutes ces remarques fi minuticufes auroient quelque fondement, l'idée générale de ce tableau & fa compofition n'en feroient pas moins neuves & grandes, & que les fix derniers vets

(qu'il n'a point cités) font des plus beaux que l'on ait faits dans notre langue.

Le morceau fur le Poëme épique eft le plus foible de l'ouvrage, & le plus négligé fans doute; & tout le monde l'a fenti; mais je demande à celui qui n'y trouve aucune idée heureufe, fi ce n'est pas heureufement faifir un beau trait de louange four M. de Voltaire, que de dire, avec vérité, que la Henriade a rendu plus préfente encore & plus chère aux François la mémoire de fon Héros?

Le Critique ne veut pas que Voltaire, ayant renoncé aux vains prestiges de la Fable, Calliope, qui eft un perfonnage de la Fable, fe laiffe conduire par lui fur les pas de la Vérité. Il a oublié que Voltaire, dans fon invocation, demande lui-même à la Vérité de permettre que la Fable fuive fes pas.

Sur tes pas aujourd'hui permets-lui de marcher,
Pour embellir tes traits, & non pour les cacher.

Il demande encore (car c'est-là sa manière favorite de critiquer) pourquoi la Mufe du Poëme héroïque est une Déelle fière & hautaine?

Mais je lui demande à mon tour fi la Mufe qui a créé les Dieux, & qui a chanté les plus hauts faits des hommes, eft une Muse humble & timide?

Couvrir une urne de lauriers, lui femble une expreffion vague & pauvre. Parer une urne d'un laurier, feroit, dit-il, une image plus jufte.

Mais une image ne manque de jufteffe que par un défaut d'analogie dans les termes ou dans les idées; & une urne chargée d'un faisceau de lauriers n'a rien que de très-naturel. Le mot couvrir eft le plus fort, le mot parer eft le plus foible; voilà toute la diffé

rence.

Il obferve que le Poëte qui, jufques-là n'eft pas "forti de fa place, (plaifanterie vuide de fens) fe

trouve tout-à-coup conduit à la fois & tranfporté dans le temple de la Tragédie.

On voit bien qu'il auroit envie de tourner en ridicule un très-beau mouvement de l'imagination de l'Auteur, & un endroit de l'ouvrage très-poétique & très-animé. Mais lorfque S. Louis (dans la Henriade) conduit Henri IV au palais du Deftin, il l'y transporte; & c'eft ainfi qu'une Mufe conduit un Poëte dans fon temple. Ce qui feroit ridicule & burlefque, c'eft qu'ils y allaffent à pied.

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Le Poëte vient de parler d'un temple, & il ajoute, Deux fpectres font affis fur ce lugubre feuil. Il n'a pas encore parlé de feuil, obferve le Critique. Il ne voit pas que l'idée de Temple amène cele de feuil; & que dans le ftyle animé, c'est le plus petit intervale que puiffe franchir la penfée.

Ce qui frappe le plus & le plus fouvent dans cette analyfe, c'eft la froideur de l'imagination; & fans une imagination vive, comment peut-on juger les Poëtes? Le Critique met à la place une métaphyfique fubtile & bien fouvent frivole à force d'être rafinée:par exemple, il prétend que la pitié n'éprouve point d'alar mes. Il falloit, dit-il, réferver ce trait pour la terreur. Il vouloit donc que le Poëte eût mis les alarmes fur le front de la Terreur ? C'est-là, ne lui déplaife, ce qui eût été auffi ridicule que fi on mettoit. le dépit fur le front de la rage, ou le fcrupule fur le front du remords; & la raifon en eft fenfible. Chaque trait de l'image doit ajouter à l'idée, & ce n'eft point par le plus foible, qu'on renchérit fur le plus fort. Mais les, alarmes conviennent-elles à la pitié ? je le demande aux coeurs fenfibles. Et lorfqu'on voit un malheureux qui attend un fecours éloigné, ou qui n'ayant qu'un feul & foible appui, fe voit périr, fi cet appui lui manque, peut-on le plaindre, & ne pas éprouver les plus vives émotions de l'efpérance & de la crainte?

Ce font-là, Monfieur, les alarmes inféparables de la pitié, & c'est un trait délicat & jufte que le Poëte a dû ajouter au caractère de cette paffion.

Il n'eft pas moins vrai que la pitié, telle qu'on Péprouve au théâtre,

Semble aimer fa douleur & fe plaire à fes-larmes. Le Critique prétend que fe plaire à fes larmes n'eft pas françois; & il fe trompe. On dit fe plaire à verfer des larmes. Affurément, fe plaire dans fa douleur, & non à fa douleur, tout cela eft vrai. Mais un Critique fi délicat devroit favoir que fe plaire dans & fe plaire à, s'employent tous deux différemment; l'un avec les noms qui expriment une fituation, une manière d'être ; ainfi l'on dit fe plaire dans le repos, dans la folitude, dans le filence, dans fa mélancolie, dans fes rêveries, dans fa douleur: l'autre avec les noms qui expriment une action, une manière d'agir, fe plaire à la promenade, à la Lecture, à la musique, à la danfe, à fa rêverie, τὰ fes larmes. Je dis à fa rêverie, après avoir dit dans Ses rêveries; & cela même fait fentir mon idée : car on fe plaît dans fes rêveries habituelles, & à fa rêverie actuelle, qui eft l'occupation du moment. Tous fes traits altérés annoncent là terreur.

Le Critique trouve que ces mots rapprochés, traits, altérés, terreur, font durs à l'oreille; & il a raifon; mais c'eft lui-même qui les rapproche. L'altération des traits ne caractérise pas plus, dit-il, la terreur que la pitié; & affurément il a tort.

Je vous demande pardon, Monfieur, fi je m'arrête à des minuties; mais cette analyse en eft pleine.

Le Poëte a défigné Corneille par ces vers:

Le voilà ce Grand Homme f

Qui porte fur fon front la majefté de Rome,
Des Héros dans fes'traits refpire la grandeur.

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Le Critique trouve que c'eft le peindre par des traits bien communs & d'un style bien négligé.

Le Poëte n'a pas voulu peindre Corneille, mais le caractériser par un trait; & fi ce trait, frappant de reffemblance, ne convient qu'à lui feul, qu'a-t-il de fi commun? Grand Homme & grandeur de Héros font trop près l'un de l'autre ; c'est une négligence. Mais ces deux vers:

Il porte fur fon front la majesté de Rome,
Des Héros dans fes traits refpire la grandeur,

font beaux en dépit du Critique: refpire en poëfie veut dire, fe montre vivante, & c'eft ici la première fois qu'on a repris cette expreffion fi familière à tous les Poëtes.

Tous ces efprits divins que Melpomène affemble, Mortels devenus Dieux, qui jouiffent' enfemble. Je trouve, comme le Critique, une redondance de flyle dans ces vers & dans les deux fuivans; mais cette façon de critiquer des efprits divins, qui font des mortels, qui font devenus dieux, n'eft qu'une froide plaifanterie; & après ces efprits divins, ce développement d'idée, mortels devenus dieux, eft très-noble & très-naturel.

Le Critique ne veut pas que la Mufe Tragique ait des fautiens, ni que ces foutiens foient affis auprès d'elle: il ne veut pas qu'elle daigne entendre Tes, grands Poëtes qu'elle infpire. Mais elle ne règne que par eux; ils font les foutiens de fa gloire; & forfqu'on aura dit d'un homme qu'il eft le foutien d'un empire, je ne crois pas qu'il foit défendu de le faire affeoir auprès du trône dont il eft l'appui. Appui, foutien font de ces mots qui ont paffé au moral comme des termes fimples, & qui n'exigent plus les rapports de la métaphore

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