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freux, ce morne accablement qui eft le comble de l'infortune. C'est dans ce moment que Summer entre l'épée à la main, & fuivi d'une foule de foldats. Marguerite, au nom de Warwick, a raffemblé les Anglois; tous veulent lui offrir une main vengereffe. Warwick faifit le glaive que Summer lui préfente; il eft près de fortir de la prifon; il s'arrête foudain. Le pouvoir de fe venger lui en ôte le defir, & ce cœur infléxible s'ouvre à la fenfibilité & à l'orgueil de faire une belle action. Il rougiroit d'achever la conquête d'une femme, & d'accabler un ennemi fans défenfe; c'est en lui pardonnant qu'il veut le punir. Cette idée le tranfporte; il fe met à la tête de fes ennemis, leur infpire fon héroïfme, & court exécuter un deffein auffi généreux.

Elifabeth ouvre le cinquième Acte. Elle craint pour warwick & pour le Roi. Suffolck accourt annoncer la vic. toire de Warwick. Edouard doit bientôt le rendre au Palais. Elifabeth l'apperçoit, & vole au devant de lui, İls confondent leur bonheur & leur joie ; Elifabeth s'abandonne aux tranfports de l'amour; Edouard fe livre au charme

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de la reconnoiffance. Mais bientôt Marguerite ramène dans le Palais le deuil & la douleur; elle a fait affaffiner warwick, & vient l'annoncer à fon amante & à fon ami; tout fon regret eft qu'Edouard lui foit échappé ; elle en vouloit auffi à fa vie. On apporte #ar wick expirant; il s'avoue coupable envers Edouard, lui recommande Elifa beth, & meurt.

D'après ce plan, j'allois, Monfieur, difcuter avec vous le mérite de la Tragédie de M. de la Harpe, lorfque j'ai reçu deux lettres qui me difpenfent de ce travail, & qui renferment à-peu-près toutes les remarques que j'aurois pu faire fur ce Drame. La première eft de M. Dorat; la feconde d'un autre homme de Lettres qui ne veut pas être nom

mé.

Lettre de M. Dorat à M. Fréron fur la Tragédie du Comte de Warwick.

J'ai fait, Monfieur, fur cet ouvrage Dramatique quelques réfléxions que je vous prie d'inférer dans vos Feuilles. J'ai recherché les caufes de fon fuccès;

jen relève les beautés avec transports je ne cherche point à en cacher les défauts. L'auteur mérite, je crois, qu'on lui dife la vérité, & je ne fçais point la diffimuler.

Il me paroît que ce que l'on aime le plus dans cette Pièce, c'eft la fageffe de la conduite, la jufteffe du dialogue, & fur-tout cette fobriété d'ornemens fi rare dans un jeune homme. Les fentimensy font ménagés avec tant de vérité, gra dués avec tant d'art, qu'ils paffent dans l'ame des Spectateurs; ce font des perfonnages réels que l'on entend parler, & que l'on voit agir; le fil de l'action ne fe mêle & ne fe perd jamais dans ce dédale de déclamations fi communes & fi applaudies de nos jours. Chaque Scè ne eft à fa place, & chaque Acteur y dir ce qu'il doit dire; enfin, on éprouve dans cet ouvrage cette continuité d'illu-fion, qui, felon moi, eft le grand fe cret de l'art Dramatique. Ce qui m'a frappé fur tout, & ce qui décide à mes yeux le talent de l'auteur, c'eft la nobleffe que conferve le caractère d'Edouard à côté de warwick; il eft incroyable que l'orgueil impétueux de l'un

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n'éclipfe point la fenfibilité douce de l'autre. Rien n'est plus adroit ni mieux développé..

La fcène qu'ils ont enfemble au troifième Acte, & dont l'entrée est si belle, me paroît mériter les plus grands éloges; Edouard y eft intéreffant, malgré fes torts: l'auteur a donné à ce carac tère je ne fçais quel charme, qui lui fait pardonner fes foibleffes. Je ne parlerai point du quatrième Acte; il eft des beau tés qu'on ne loue jamais bien.

Le rôle de Marguerite ne remplit pas. toute l'idée que nous avons de cette Reine célèbre. L'auteur, dans le premier Acte, nous la peint intéreffante, occupée des intérêts de fon fils & des plus tendres fentimens de la Nature. Il falloit, je crois, rappeller davantage ces beaux & grands motifs dans le cours de la Pièce, où elle n'eft plus qu'une méchante femme. Son entrée avec Né, vil au troisième Acte me femble inutile. Il falloit fur-tout éviter de la mettre en fcène avec Elifabeth. Quel rôle peut jouer Marguerite, dont le nom eft fi fameux dans les faftes de la Politique, devant une jeune Princeffe, qui la pé nètre, démêle fes projets, & la quitte

avec le dédain de la fupériorité. Certe Scène, autant que j'en puis juger, eft mal-adroite, en ce qu'elle dégrade le caractère de Marguerite, dans le moment où il falloit le foutenir, l'élever, & y mettre, pour ainfi dire, le dernier trait. Si on ne l'oublioit point pendant le troifième & le quatrième Acte, elle feroit bien plus d'effet au cinquième, où elle perd cette forte de dignité qui doit toujours accompagner les illuftres crimi nels.

Je hazarderai auffi quelques doutes fur le caractère de Warwick. N'eft-il pas un peu monotone? Puifqu'on lui donne une maîtreffe, ne falloit-il pas lui donner plus d'amour? Il eft plus emporté que tendre, & plus orgueilleux que fenfible. Cependant cette fenfibilité même étoit une nuance importante dans fon caractère, &, loin de l'affoiblir n'eût fervi qu'à y jetter un nouvel intérêt. Dans la fcène de la prifon, par exemple, il n'eft occupé que de fa haine & de fa vengeance; l'amour gémit envain; il lui répond par des cris de fureur. Pourquoi ne lui avoir pas ménagé quelques inftans d'attendriffement? II

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