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tard alors pour se mettre à leur poursuite, car Néron avait pris ses dispositions pour faire faire double et triple étape à ses troupes; tandis qu'Annibal, n'étant pas maître du pays, n'aurait pu marcher qu'avec une extrême difficulté, et devait s'attendre d'ailleurs à être harcelé luimême par les troupes du camp romain, qui avaient les yeux ouverts sur tous ses mouvements.

Voilà quels furent, selon moi, les motifs de l'inaction d'Annibal. Ce qu'il avait de mieux à faire, c'était de se tenir prêt à agir selon les événements. Si son frère parvenait à se faire jour, il se rendait maître non-seulement du camp de Néron, mais de toute la basse Italie; si, au contraire, la fortune se déclarait pour les Romains, il devait conserver ses forces pour leur disputer les fruits de la victoire. Cette tactique expectative était la seule qui lui convint; et il n'y a pas besoin, pour rendre compte de son inaction, de recourir à des suppositions qui seraient en contradiction avec tout ce que nous savons de la vie de ce grand capitaine.

La marche de Néron, depuis les bords de l'Ofante jusqu'au Métaure, est un bel exemple de prévoyance et de promptitude militaire. Il y a entre ces deux points plus de 100 lieues de chemin (270 milles d'Italie) : les troupes du consul les firent en huit jours en allant, et en six en revenant. Des environs de Canusium, où elles étaient campées, elles se dirigèrent par la Daunie (la Pouille), sur la côte de l'Adriatique, et traversant le pays des Frentoni, des Marrucini, et le Picenum (la Capitanate, les Abruzzes, et la Marche d'Ancône), elles vinrent déboucher à Sena gallica (Sinigaglia), et de là au camp de Livius, qui était à quelques lieues en avant de cette ville, du côté du Métaure. Un jour fut employé à combattre, et Néron se remit en marche la nuit même qui suivit la bataille. Ainsi la durée de l'expédition fut au

juste de quinze jours'. Les soldats secondèrent dignement les intentions de leur chef: ils prenaient leurs repas sans s'éloigner du drapeau, se contentaient du strict nécessaire, marchaient jour et nuit, et accordaient à peine quelques instants au repos 2.

Pour ne pas éprouver de retard, le consul s'était fait précéder de fourriers chargés de préparer les vivres, les fourrages, et les moyens de transport pour les hommes fatigués; mais les habitants eux-mêmes accouraient en foule sur son passage, et lui apportaient tout ce dont il pouvait avoir besoin. Tout le monde accompagnait de ses vœux cette poignée de braves qui volait au secours de la patrie; et lorsque quelques jours après on revit leurs enseignes couronnées par la victoire, leur marche fut un véritable triomphe, et les transports des populations allèrent jusqu'au délire. Tite-Live, qui consacre la fin de son XXVIIe livre à décrire cette brillante expédition, se montre tellement pénétré de la grandeur du sujet, qu'il donne à sa narration l'intérêt du drame, et presque le sublime de l'épopée. Et réellement, soit qu'on veuille considérer la hardiesse du projet ou l'immensité des résultats, ce coup de main est un des plus étonnants dont il soit fait mention dans l'histoire.

1 Gibbon regarde avec raison cette marche de Néron comme la plus hardie et la plus rapide qui ait jamais été exécutée par un corps d'armée. (Essai sur les grands chemins de l'Empire, à la suite des mémoires de cet auteur, t. 1, pag. 296.) Je regrette seulement qu'il ait eru trop légèrement qu'Annibal avait été entièrement dupe du stratagème du consul.

2 « Modestia certare milites, ne quid ultra usum necessarium <«<sumerent: nihil morari, nec ab signis absistere cibum capientes; <«diem ac noctem ire: vix quod satis ad naturale desiderium cor«porum esset, quieti dare. » (Tit. Liv., xxvi, 45.)

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Les Romains renoncent aux éléphants, et l'usage de ces animaux est abandonné en Occident. Opinions des grands capitaines de l'antiquité sur l'importance militaire de ces quadrupèdes. Vaines tentatives des empereurs Claude, Didius Julianus, et Caracalla, pour les remettre en honneur. État des éléphants à Rome pendant les deux

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Ils sont principalement réservés pour

premiers siècles de l'empire. les spectacles et pour les grandes cérémonies. Éléphants lychnophores. Eléphants blancs. Eléphants funambules. Dépôts d'éléExposé sommaire des principales occasions où ces animaux ont figuré pendant cette période. - Figures d'éléphants exposées comme décoration dans la ville.

phants à Rome et aux environs.

Nam sicut pleraque nova commeuta mortalium... sine «ullo effectu evanescunt; ita tum elephanti in acie nomen tantum sine usu fuerunt. (Tit. Liv., XLIV, 41.)

Tant d'expériences malheureuses devaient dégoûter du service des éléphants. On finit, en effet, par reconnaître qu'il était impossible de maîtriser ces animaux dans les occasions précisément où leur indocilité entraînait le plus de dangers. On comprit que l'embarras et les dépenses qu'ils causaient excédaient de beaucoup l'utilité qu'on pouvait en tirer; et les Romains, qui les avaient adoptés par imitation, y renoncèrent par raison vers les derniers temps de la république. D'ailleurs ils ne devaient plus, après avoir soumis Carthage et dompté la Syrie et la Macédoine, s'attendre à rencontrer de ces animaux sur les champs de bataille, et c'était un puissant motif pour ne plus en traîner à leur suite.

La défaveur dont les éléphants furent dès lors l'objet gagna jusqu'aux rois de l'Asie; car on n'en vit jamais paraitre dans les armées de Mithridate et de Tigrane, ni dans celles des Parthes, qui pourtant étaient à portée

de s'en procurer facilement, s'ils l'avaient voulu. Quant à ces derniers, leur force principale consistant en cavalerie, il est probable qu'ils craignirent de s'embarrasser d'un accessoire qui aurait retardé les évolutions rapides de leurs armées, et porté le désordre dans leurs escadrons.

Il n'est pas étonnant, du reste, que des nations barbares, auxquelles les vrais principes de l'art militaire étaient inconnus, aient placé dans les éléphants une confiance illimitée, comme celle qu'ils plaçaient dans les chars, dans le bruit des instruments, dans l'éclat et dans la richesse des costumes, enfin dans tout ce qui était propre à frapper les sens et à éblouir l'imagination. C'était substituer l'apparence à la force, et masquer une infériorité réelle par une vaine ostentation. Mais les grands capitaines de l'antiquité, accoutumés à ne compter que sur la bonté des troupes, se sont toujours méfiés de ces auxiliaires dangereux, dont nous avons vu que la férocité pouvait déranger toutes les combinaisons de la science militaire, et donner au hasard une part trop considérable. A la vérité, Alexandre éprouva quelque inquiétude, à son arrivée dans l'Inde, sur l'effet que les éléphants pouvaient produire sur son armée; mais une fois qu'il eut apprécié par ses propres yeux l'importance réelle du danger, il se rassura, et depuis il fit aussi peu de cas de ces animaux que de ceux qui les employaient '. Quinte-Curce lui

en fait donner une bonne raison dans la célèbre allocution qu'il adressa à ses soldats sur les bords de l'Hyphasis: « Pour moi, leur dit-il, j'ai eu toujours un tel mépris pour ces quadrupèdes, que, maître d'en opposer à l'ennemi, je n'ai jamais voulu les employer: je savais

1 «Hostem belluasque spernebat.» (Quint. Curt., IX, 2.)

trop bien qu'ils sont plus dangereux à l'armée où ils combattent qu'à l'armée ennemie '. »

Nous avons déjà remarqué que les Romains n'attachèrent jamais une grande importance aux éléphants: en effet, il les adoptèrent tard et s'en servirent peu. Les Scipion, les Marius, les Pompée, auraient pu en amener dans leurs expéditions, car il y en avait alors beaucoup à Rome; mais ils dédaignèrent d'en tirer parti. César en faisait très-peu de cas, et Hirtius, qui a écrit d'après les inspirations de ce grand capitaine, en parle comme d'un expédient qui ne pouvait mériter aucune confiance. « Ces animaux sauvages, dit-il, même après de longues années d'instruction et de service, sont souvent dans les combats aussi dangereux pour les amis que pour les ennemis 2. »>

Ce mépris pour les éléphants se perpétua jusqu'à la fin de l'empire dans l'esprit militaire des Romains. C'est tout au plus si l'on eut dans une ou deux circonstances une velléité de les remettre en honneur. L'empereur Claude voulut en faire figurer dans son expédition de Bretagne; il en fit même équiper un certain nombre; mais ce fut peine inutile, et on ne put réussir à en tirer aucun parti3. Didius Julianus, qui n'était pas meilleur général que Claude, désespérant de résister à Septime Sévère, eut également l'idée de lui opposer des éléphants; et il se promettait de les employer avec succès contre

1 «Equidem sic animalia ista contempsi, ut, quum haberem, <«<ipse non opposuerim; satis gnarus plus suis quam hostibus peri<«culi inferre.» (Quint. Curt., 1x, 2.)

2 «Rudes enim elephanti, multorum annorum doctrina usuque « vetusto vix edocti, tamen communi periculo in aciem produ«cuntur.» (Hirt., Bell. afric., 27.)

3 Dion. Cass., LX, 4.

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