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ses rares qualités de corps et d'esprit, Brantôme ni même Le Laboureur ne cachent rien de sa vilenie, et par eux Mme de la Fayette n'a pu manquer de connaître à fond ce peu scrupuleux personnage. Elle a rejeté dans l'ombre tout ce qui eût atteint son honneur, altéré sa noblesse de parfait gentilhomme. Elle néglige les notes de Le Laboureur et suit son texte, où il présente en Nemours le « veritable parangon de tous nos Paladins et de nos Preux du temps passé », le modèle de toutes les grâces et de toutes les vertus. Mme de la Fayette semble avoir construit sur cette formule tout le caractère. Pourtant, si l'on y regarde de près, on s'aperçoit qu'ici elle abandonne moins ses devanciers qu'elle ne les transpose, comme Racine transpose ses Pyrrhus et ses Mithridate. Le respect et l'adoration dont Nemours enveloppe Mme de Clèves, ou plutôt dont Mme de Clèves l'oblige à l'entourer, ne l'empêche pas de la poursuivre sans trêve ni merci, pour la satisfaction d'un amour qui sait bien, tout au fond, n'être pas platonique. Plus d'une fois, il passe les bornes de la délicatesse à l'égard du mari, et même de la femme. Le brutal preneur de femmes du xvie siècle s'est mué en un Don Juan de cour, moins affiné de cœur que de manières, et gardant de l'ancienne guerre des sexes tout ce que n'exclut pas l'idéal nouveau, bien superficiel encore, du grand seigneur une sorte de Bussy-Rabutin surabondant de courtoisie. Idéalisme apparent, réalisme foncier, surfaces pâlies, énergie intérieure, il demeure une création psychologique complexe, vraiment curieuse. Croirons-nous que, dans son âpreté relative, il reste un reflet du XVIe siècle? Peut-être; mais Mme de la Fayette n'avait qu'à ouvrir les yeux pour observer autour d'elle vingt Nemours, moins chevaleresques toutefois. Ici encore, nous sommes en présence d'un type xviie siècle authentique.

Elle donnait à Lescheraine sa Princesse de Clèves pour une parfaite imitation, nullement romanesque, point grimpée », du monde de la cour et de la manière

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dont on y vit; pour des mémoires, non pour un roman. Il y paraît, à tout ce qui a disparu du xvIe siècle, et dont le xvire a pris la place.

Taine a mis en lumière, dans son célèbre article, quelques-uns des caractères de sa pensée et de son art: suppression ou atténuation du détail net, énergique, coloré; réduction des faits à la formule symbolique; penchant au portrait général, par mots abstraits, adjectifs et superlatifs; goût de la noblesse et de la distinction; idéalisation constante; intellectualisme. Mais on comprend mieux la force de ses partis pris esthétiques et moraux en mesurant la résistance qu'elle oppose à ses auteurs. Les appels qu'ils adressaient à son imagination, et qu'elle a refusé d'entendre, montrent la profondeur des répugnances ou de l'indifférence qu'ils lui inspiraient, et combien son idéal d'art fut volontaire et délibéré.

Nous n'entendons pas l'en blâmer. Assurément, ce n'est pas sans dommage que tombent ces centaines de détails. vivants; mais, qu'on prenne garde à la nuance, ce ne serait pas pour leur caractère xvie siècle que nous les regretterions, ce serait pour la robustesse, la couleur, le relief, la franchise de pensée et de style qu'ils signifient, et dont elle n'a pas voulu emprunter le secret à ses sources, même en opérant les transpositions nécessaires. Mais cet art plus fort, sinon plus xvie siècle, que ses auteurs font imaginer, pouvait-il se concilier avec son idéal à elle? Ses tendances, regrettables à certains égards, rentrent dans l'unité d'un art très sûr de lui, très cohérent. Non pas tout à fait l'art Louis XIV, celui-ci garde plus de sève et de corps, tout au moins dans les mains des bourgeois qui écrivent les chefs-d'œuvre, et même chez Racine, - mais un art plus complexe, vieilli et dépassé par ce qu'il conserve des anciennes formes romanesques, ou par ce qu'il associe à des qualités classiques de mièvrerie précieuse et d'aristocratique dédain; un art grande dame, un art femme, la traduction féminine de ce qu'en homme est Racine. Ce style, de colorations un peu languissantes,

20 LA COULEUR HISTORIQUE DANS LA PRINCESSE DE CLÈVES.

va bien avec cette volonté d'élégance et de délicatesse, qui, si elle affadit l'expression, ennoblit les âmes, et surtout avec cette réserve, ces réticences exquises du sentiment, qui font sa force et son charme. Après tout, il n'importait pas, en 1678, de refaire du xvIe siècle. Qu'aurait signifié ce pastiche, ou même cette résurrection intelligente? Mais il importait d'écrire telle qu'elle est, pour tout ce qu'elle représente, La princesse de Clèves.

*

Ces études nous conduisent à des conclusions d'apparence assez contradictoire. Nous constatons, d'une part, le travail très sérieux, très heureux, que Mme de la Fayette a fait pour se documenter; et d'autre part, son indifférence à peu près entière à l'esprit et à la couleur du siècle où elle a placé son roman. Elle n'a pas fait le moindre effort pour sortir de son temps; bien au contraire, on croirait qu'elle s'y est enfoncée de parti pris, si elle n'en épousait aussi simplement, aussi naturellement, toutes les manières d'être, toutes les formes de goût et de ⚫ raison.

La contradiction n'a rien de surprenant. Il suffit, pour l'accepter comme un fait nécessaire, de songer à la longueur de temps qui devra s'écouler encore avant que les historiens de profession s'avisent de ressusciter le passé. Mme de la Fayette ne pouvait viser qu'à l'exactitude extérieure; elle y a atteint mieux que beaucoup d'historiens, et son roman a reçu de l'histoire tout le bénéfice qu'elle s'en était promis.

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CHANGEMENTS

DE NOM DE FAMILLE

AUTORISÉS PAR FRANÇOIS Ier

Depuis le xve siècle, les rois de France ont autorisé certains de leurs sujets à changer de nom de famille, de surnom, comme on disait alors. Au mois d'août 1474, Louis XI permet à son notaire et secrétaire, Jean de Caumont', de modifier son nom et de s'appeler Chaumont'. En octobre de la même année, il accorde3 à Olivier Le Mauvais1, son valet de chambre, le droit de se nommer Olivier Le Dain3. François Ier a donné plusieurs autorisations semblables.

1. Ordonnances des rois de France de la troisième race, t. XVIII, P. 40, 41.

2. « Eidem cognomini unam adjunximus licteram seu haspiracionem h, videlicet prima in syllaba dicti cognominis, inter c et a, interponendam, volentes, et ex ampliori gracia eidem notario et secretario nostro concedentes ut is qui de Caumont dicebatur, de Chaumont in antea cognominetur et dictam licteram h hoc modo suo adjungat cognomini, seque Chaumont ubique et deinceps inscribendo, ejusque proles ab eo descendens cognomen de Chaumont habere, portare et ita cognominari perpetuo possit. et valeat. » — On a cru à tort que la faveur octroyée par Louis XI à son notaire consistait à lui permettre de « séparer la première syllabe de son nom » (L. Vian, La particule nobiliaire, p. 40).

3. Ordonnances citées, t. XVIII, p. 58, 59.

4. « Le Mauvais » était, sans doute, déjà une forme modifiée, une traduction, du nom primitif d'Olivier, lequel, originaire des environs de Courtrai, devait porter un nom flamand (voir Pirenne, article Olivier Le Dain dans la Biographie nationale belge).

5. « Voulons et nous plaist que lui et sadicte posterité et lignée soient d'ores en avant surnommez Le Daing en tous lieuz, et tant en jugement que dehors, et en leurs actes et affaires,... sans ce que soit loisible à aucuns de plus les surnomer dudict surnom de

Dans le Catalogue des actes de ce prince, publié par l'Académie des sciences morales et politiques, nous trouvons analysées les «< lettres de commutation de nom »> dont voici la liste.

1° « Lettres permettant à Jean Pineau, écuyer, seigneur de Kerjan, de prendre le nom de Kerjan au lieu de celui de Pineau. Paris, novembre 15272. »

20 « Lettres autorisant Jean Couillaud à changer ce nom et à prendre celui de Baudron. Saint-Germain en

Laye, mai 15284. »

30 « Lettres5 permettant à Maurice, Richard, Jean, Gilles, Guillaume et Jacques Badin, écuyers, fils légitimes de feu Jacques Badin, écuyer, seigneur de Vaucelles au bailliage de Caen, de changer leur nom de Badin en celui de Vaucelles, leur père descendant en ligne directe d'Alix de Vaucelles, fille d'Enguerrand de Vaucelles, chevalier, seigneur dudit lieu. Caen, avril 15326. »

4° « Lettres autorisant la transmission du nom et des armes de Rochefort à Grégoire de César et à ses descendants, à cause de sa femme, Antoinette de Rochefort. Fontainebleau, avril 15338. »

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5o« Lettres autorisant Jean, Pierre, Lazare, Jacques et Nazaire Badin, fils de Jacques Badin, seigneur de Vaucelles, à prendre le nom de Vaucelles, seigneurie ayant appartenu à Alix de Vaucelles, mère dudit Jacques Badin 1o. - Lyon, 20 juin 15334. »

Mauvais, lequel nous leur avons osté et aboly, ostons et abolissons par cesdites presentes. »

1. Catalogue des actes de François Ier, t. 1, p. 533, no 2809.

2. Arch. nat., JJ 240, no 334, fol. 403 vo.

3. Catalogue, t. I, p. 570, no 3000.

4. Arch. nat., JJ 243, no 429, fol. 128.

5. Catalogue, t. VI, p. 293, no 20396.

6. Arch. nat., JJ 246, no 210, fol. 60 v°. 7. Catatogue, t. II, p. 407, no 5786.

8. Arch. nat., JJ 246, no 234, fol. 65 v°.

9. Catalogue, t. II, p. 445, no 5962.

10. Il est dit, dans les lettres patentes, non pas que Jacques Badin était le fils d'Alix de Vaucelles, mais qu'il était « descendu en ligne directe de damoiselle Aliz de Vaucelles. >>

11. Bibl. nat., ms. fr. 5124, fol. 53, 53 vo.

Ce texte présente des

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