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On sait aussi que, par un reste de barbarie, reflet des anciens sacrifices au soleil, un animal vivant, chat ou renard, était attaché sur le bûcher et divertissait les spectateurs par les contorsions et les cris que lui arrachaient ses atroces souffrances.

La coutume des feux de la Saint-Jean était encore en vigueur à Vervins à la fin du siècle dernier, et la religion ne refusait pas de s'associer à cette fête mise sous le patronage d'un de ses saints les plus vénérés.

Un obituaire de l'église de Vervins, dressé en 1784, nous apprend que, le 23 juin, veille de la Saint-Jean, sur les sept heures du soir, le clergé allait processionnellement chanter le salut sur la place de la ville (il n'y en avait qu'une alors).

Pendant le répons Inter natos mulierum, commencé dès l'église, le célébrant allumait le bûcher, après quoi on chantait l'hymne de Saint-Jean, l'antienne Apertum est os Zacharia, suivie du cantique Benedictus Dominus Deus Israel, de l'antienne, du verset et de la collecte, et retournant à l'église, on chantait le Te Deum.

Ce salut ne paraît pas fondé, dit le mémorial, mais, au témoignage des anciens, il se fait depuis plus de quatre-vingts ans. Bien que l'obituaire n'en parle pas, il est certain que le maire et les échevins prenaient part à la cérémonie.

Au siècle dernier, le feu de la Saint-Jean était encore allumé à Rozoysur-Serre. La cérémonie, dit une histoire manuscrite du chapitre de cette ville (1), se faisait d'une manière qui n'était guère édifiante.

<< Tous les chanoines en simple soutane se trouvaient, de six à sept heures, sur une motte ou butte de terre.... près des murs du château, - et là, M. le doyen où, en son absence, l'ancien, au son des cloches et de la musique, mettait le feu au bûcher préparé sur la dite motte de terre, pendant quoy ou rompoit l'échaudé ; et le gâteau et le verre à la main, on buvoit à la santé l'un de l'autre, en présence d'une foule de peuple qui y montoit du bourg, ce qui ne convenoit guère au jour de la feste, ni à la veille qui est jeûne. C'est ce que l'on n'a plus voulu souffrir dans la suite, et le chapitre ordonna que les dix livres qui se payaient par les chanoines nouveaux venus pour le feu Saint-Jean, se payeroient dorénavant à M. le prévôt, qui en ferait la recepte et auroit soin de les distribuer aux cha

(1) Martin, Hist. de Rozoy-sur-Serre.

noines, en leur donnant à chacun six sous, dans la procession qui se fait à six heures du soir pour la cérémonie du feu de Saint-Jean. »

Cette coutume à depuis à peu près entièrement disparu de la Thiérache, sauf peut-être dans la commune de Haution, où, nous assure-t-on, on allume encore les feux de la Saint-Jean.

La Picardie paraît être demeurée plus fidèle aux anciennes traditions, car un journal publié à Saint-Quentin annonçait, à la fin du mois de juin 1882, qu'il y avait eu cette année peu de feux dans le Vermandois, mais beaucoup à Amiens et dans quelques autres contrées.

A ce propos, le journal rapportait que d'après une vieille légende, les jeunes gens et les jeunes filles qui désirent trouver femme ou mari dans le courant de l'année, n'ont qu'à prendre un des tisons de ces feux de joie, et lorsqu'ils sont éteints, à les mettre au fond de leur lit.

Ce symbolisme est naïf.

Dans d'autres localités, en Alsace par exemple, les jeunes fiancés se réunissent et, se tenant par la main, s'évertuent à sauter à la file pardessus les restes du bûcher après sa combustion.

Ces usages divers, mais ayant tous trait aux mêmes préoccupations, sont une des mille preuves de la puissance du sentiment mystérieux qui transforme toutes les fêtes populaires en cette autre fête de la jeunesse et de l'amour qui a pris naissance avec le monde et durera autant que lui.

On s'accorde à considérer les feux de la Saint-Jean, feux de joie et d'os, disait-on au moyen âge, comme des restes du culte des Gaulois pour le soleil ; mais les manifestations qui en sont venues jusqu'à nous paraissent indiquer la raison inspiratrice, le côté pratique des cérémonies qui se renouvelaient à chaque changement de saison. Au mois de juin, au milieu de l'année, le soleil lance directement ses rayons sur la terre; la nature, après avoir traversé la double période de la germination et de l'incubation, est parvenue au summum de sa puissance productrice; la grande œuvre de la fécondation s'est accomplie ou va s'accomplir sous l'infiuence toutepuissante de l'astre du jour; celle de la maturation va commencer bientôt. La première génération des insectes est aussi parvenue à l'état parfait guidée par son instinct, elle se prépare à déposer sur les plantes, dans les fruits, sur les céréales, ces germes malfaisants qui doivent détruire avant la récolte prochaine, l'espoir des populations, la récompense de leurs labeurs.

Le moment est arrivé de lutter contre ces légions d'ennemis minuscules, dévastateurs insatiables des produits de la terre, de les combattre, de les détruire, ou au moins d'en atténuer le nombre.

Les grands feux allumés dans les champs sont l'un des moyens les plus efficaces qui puissent être employés. On s'ingénie encore à en augmenter la puissance.

En Bretagne, les jeunes gens parcourent la campagne en troupes nombreuses, secouant des torches enflammées dont le rayonnement attire les insectes, dont le feu les consume.

Ailleurs on garnit de matières combustibles la circonférence de roues de voitures; on allume les matières avec un cierge bénit, et à l'aide d'un bâton passé dans le moyeu on promène comme un disque incandescent chaque roue au milieu des champs.

Comme on le voit, ces pratiques reposent sur la connaissance de ce fait d'observation journalière : que la nuit, les insectes sont attirés par la lumière et qu'ils s'y brûlent étourdiment.

Sans aucun doute, il y a plus de symbolisme que de réalité dans ces manoeuvres diverses; mais telles qu'elles se présentent à nous, il est évident quelles ont été inspirées par le désir de conserver, de protéger les produits de la terre destinés à la nourriture des populations, désir appuyé du sentiment religieux qui se manifeste chez les hommes comme un aveu de faiblesse, toutes les fois qu'ils sont obligés de reconnaître leur impuissance pour résister aux épreuves ou aux calamités dont ils se voient. menacés.

LES BIHOURDIS

Il y a quelques années, au retour d'une excursion dans le canton d'Aubenton, nous cheminions le soir. Il était tard déjà, et nous cherchions en vain à nous soustraire à l'influence mélancolique que fait naître la fin du crépuscule et l'obscurité de la nuit, lorsqu'une vive lueur éclata sur le sommet du coteau au pied duquel se déroulait notre route. Etait-ce un incendie? Non, car il n'existait là ni maisons, ni meules, ni récoltes. Bientôt nous comprimes. A l'aspect des ombres qui dansaient en tourbillonnant autour du foyer, il nous fut facile de reconnaitre un bidourdis. Nous étions au premier dimanche de Carême.

Depuis longtemps nous n'avions vu allumer de Bihourdis, et nous saluâmes cette lumière comme une amie de notre jeunesse.

En quelques instants, sur tous les points élevés de l'horizon et sur une circonférence de plusieurs lieues, de semblables feux jaillirent en resplendissant comme les signaux par lesquels correspondaient les populations d'autrefois lorsqu'un grand danger public menaçait le pays.

Nous avons pu en compter jusqu'à douze dans toutes les directions: au nord, au midi, au loin, au près. La curiosité nous fit approcher d'un de ces foyers. Une longue perche surmontée d'une petite botte de paille avait été dressée dans l'après-midi, et le soir les enfants de la commune avaient amoncelé, autour de ce màt, des fagots et de nombreuses gerbes qu'ils avaient quétés le matin dans la commune et qui leur avaient été gracieusement accordés par les habitants.

Le Bihourdis touchait à sa fin, et les jeunes garçons s'emparaient, qui d'une torche de paille, qui d'une bourrée enflammée, et couraient dans le champ. En se poursuivant, ils faisaient jaillir des milliers d'étincelles, tandis que d'autres enfants des deux sexes tournoyaient sur l'arêne brûlante et sautaient au beau milieu du foyer au risque d'y roussir sinon leurs personnes, du moins leurs accoutrements.

Lorsque tout fut consumé, que toute trace de feu eut disparu, les acteurs de cet amusement se dispersèrent, et en rentrant chacun chez eux trouvèrent tout préparé un régal consistant en riblettes de pàte cuite dans du lait et connues sous le nom de vitelots. Cet aliment, comme les brandons, a donné un de ses noms au premier dimanche de Carême, le dimanche des vitelots.

Quant à nous, nous reprimes notre route.

En moins de deux heures, tous les brandons étaient consumés où éteints, et rien ne venait plus troubler. la silencieuse et imposante tranquillité qui caractérise le sommeil de la nature.

Tous ceux qui ont cherché la raison utile qui a pu donner naissance à l'usage des feux du premier dimanche de Carême, ont été obligés de renoncer à cette recherche. Bien que dans certaines contrées, les habitants aillent toucher les arbres de leurs brandons dans l'espoir d'obtenir une meilleure récolte de fruits; que dans d'autres, les paysans allument de petits foyers dans leurs jardins afin d'obtenir des oignons en abon

dance (1), qu'ailleurs encore, avec les torches du Bihourdis, on conjure les mulots, l'ivraie et la nielle, il est évident que ce sont là de petites considérations qui n'ont jamais eu assez de valeur pour faire naitre une coutume aussi générale et encore aussi solennellement célébrée au moins dans certaines localités.

Il est plus probable qu'elle est, comme les feux de la Saint-Jean, un reflet du culte du soleil chez nos ancêtres.

C'est au printemps, en effet, époque du commencement de l'année chez les anciens, que se renouvelait le feu sacré dans la religion payenne. D'autres y voient un souvenir du culte de Cybèle et de Cérès; quoi qu'il en soit, le dimanche des Brandons est souvent cité comme date dans les anciennes chartes: Dominica de lignis orditis.

Le cartulaire de l'abbaye de Thenailles contenait un acte de constitution de rente à Crépy, payable quolibet anno in die brandonum.

Les noms de cette fète sont nombreux et changent selon les pays. Pour ne point sortir de la Thiérache, nous dirons seulement que dans le canton de Rozoy-sur-Serre, elle est désignée sous celui de feux des Buires, et sur la limite voisine du Vermandois, feux des Bours, abréviation de Bihourdis ou Behourdis.

(1) La réussite des oignons paraît avoir toujours tenu une place notable dans les préoccupations des personnes de la campagne qui s'occupent de la culture des jardins. Voici en effet le récit que nous lisions en 1873 dans la Gazette de Cambrai :

Il y a quelques jours, je revenais de Fins à Cambrai par Bonavis, lorsque, arrivé un peu au-dessus de Gouzeaucourt, au lieu dit le Paradis, je vis une foule de jeunes gens, de jeunes filles, d'hommes et d'enfants se hâter de gagner le village voisin, d'où partaient sans interruption des cris de réjouissance.

Curieux de savoir ce que cela signifiait, je m'approchai d'un vieillard et lui demandai en riant si le Shah de Perse était arrivé à Gonnelieu L'habitant de Gouzeaucourt me regarda d'un air fort étonné et m'expliqua alors que tous les ans à pareille époque, c'est-à-dire du 24 juin au 2 juillet, on tournait l'oignon à Gouzeaucourt; que ce jour-là 2 juillet les habitants de Gouzeaucourt allaient se réunir sur la place de Gonnelieu pour clore la neuvaine.

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Ce fut à mon tour de m'étonner et de demander au vieillard ce qu'il entendait par tourner l'oignon. Il me répondit de l'air le plus naturel du monde que « tourner l'oignon c'était danser en rond en se tenant par la main; que, grâce à cet antique usage, on ⚫ avait dans sa commune les plus beaux oignons du département, qu'ils ne filaient jamais » comme des carottes, mais qu'ils étaient toujours bien feuilletés, très-arrondis et magnifiquement tournés.

Bien qu'il fût huit heures du soir, je me décidai à aller aussi tourner l'oignon. Je l'ai

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