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mentent le prix. Il lui a envoyé deux cens francs pour prendre un maître de danse. Cela ne suffiroit pas pour devenir une émule de Madame Gardel, mais nous ne portons pas nos vues si haut. Nous nous contenterons d'un maintien aisé et gracieux, et je crois que nous n'aurons pas besoin de toute cette somme-là pour obtenir une jolie révérence et même quelques pas bien faits... »

«

...

<< Mons, le 7 novembre 1812.

Vingt fois je fus tentée de vous écrire, mais ce n'est qu'aux gens heureux ou à ceux qui me sont indifférens que je puis parler pour ne rien dire...

« ... Si vous aviez désiré une savante je ne pourrois vous vanter nos succès. La pauvre fille a beaucoup de bonne volonté, mais elle n'entend pas grand'chose aux adjectifs et aux substantifs. Les ouvrages d'aiguille lui plaisent davantage que ceux de l'esprit. Elle est loin cependant de manquer d'intelligence, mais il est un àge pour tout, le sien n'est plus celui d'une écolière... »

Madame Sévelle revient si souvent sur les mérites de la pauvre Emilie qu'il est à présumer que Dusolon accueille ce projet de mariage avec un enthousiasme modéré. Il s'en autorise néanmoins pour réclamer la protection de Jean Debry, ainsi que le prouvent maints passages de la correspondance; il s'impatiente même de ne pas obtenir plus vite l'avancement qu'il attend, car Madame Sévelle lui écrit:

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Mons, le 22 novembre 1812.

Espérons encore une fois... c'est la dernière preuve de patience que je vous demande, car je suis aussi fatiguée de vous prêcher cette vertu que vous devez l'ètre de la pratiquer... »

Enfin les négociations vont aboutir et déjà on parle de fixer l'époque du mariage, lorsque Dusolon s'avise de demander que Jean Debry donne son nom et une dot à Emilie.

Ces prétentions lui attirent une réponse un peu verte :

<< Mons, le 15 février 1813.

Monsieur, je saisis le premier moment dont je puis disposer pour répondre à votre dernière lettre. Je ne vous parlerai point de l'impression

qu'elle m'a faite, il faudroit vous dire qu'elle m'a surprise et affligée; je n'ai point l'habitude de vous exprimer de tels sentimens et il m'en coùteroit de changer de langage envers vous; ainsi je continuerai à n'employer que celui de la franchise et de l'amitié.

«Ne croyez pas que je vous blâme de rechercher vos avantages, c'est un droit bien légitime et qu'il est permis à tout le monde d'exercer; mais ce qui est moins naturel, c'est d'attendre le point où nous en sommes pour en faire usage. Vous me dites que vous tenez aux conditions dont vous m'avez fait part dans le tems, l'adoption et une dot. Il est possible que vous ayez eu l'intention de me faire ces deux propositions, j'en suis même convaincue d'après ce que vous m'écrivez, mais jamais vous ne m'avez rien déclaré de positif à cet égard...

« A l'égard de la dot, voilà la première fois que j'en trouve le mot dans vos lettres; je vous ai dit que papa faisoit six cens francs à Emilie et vous m'avez répondu (toujours dans notre dernier entretien) que vous aimeriez mieux une bonne place qu'une pension, mais vous n'avez rien demandé de plus... >>

Suivent quelques lettres dans lesquelles Madame Sévelle redevient affectueuse, jusques au jour où Dusolon revenant à ses prétentions pousse à bout le père d'Emilie :

<< Mons, le 14 août 1813.

<«< Monsieur, je dois vous faire connoître que papa a changé de projet, qu'ainsi il devient inutile que vous entreteniez aucunes vues, et bien moins encore aucunes relations avec une jeune personne qui sous aucun rapport ne doit vous appartenir. Toute insistence (sic) sur ce point ne pourroit qu'attirer des observations pénibles à Mademoiselle Emilie, et vous sentez qu'elle a droit de votre part à des égards qui les lui épargnent....

« P.-S. Papa in'a envoyé la minute de ce billet avec ordre de vous l'adresser ou si j'y répugnois trop de le lui déclarer franchement, afin qu'il vous fit écrire dans le même sens par son secrétaire. J'aime mieux remplir sa commission que de vous causer la mortification de recevoir un tel billet d'une main étrangère. Comme cette affaire est manquée pour jamais... je vous prie... de faire un paquet de toutes les lettres que vous avez reçues de moi à ce sujet et de les adresser sous une double enveloppe

(dont la première doit être à mon nom) à Madame L..., rue de Cléry, no 11, à Paris.... De mon côté je vais réunir toutes les lettres que j'ai de vous et je les ferai tenir à votre mère... >>>

Cette lettre n'est que froide, mais lorsque Madame Sévelle écrivit la suivante, il était certainement tombé quelques gouttes de vinaigre dans son encrier:

<< Mons, le 10 septembre 1813.

<< Monsieur, vous me demandez quels sont les motifs de la rupture de votre mariage; rappelez-vous le contenu de votre lettre à papa et vous aurez l'explication que vous désirez. En vérité, c'est pousser loin la dissimulation ou l'aveuglement que de ne pas sentir que mon père a dû être extrêmement offensé de vos prétentions ridicules. Il faut à Emilie un nom et un rang pour que vous consentiez à l'épouser! Papa trouvera des gendres tant qu'il voudra à de pareilles conditions. Et croyez-vous que si elle étoit reconnue, elle seroit pour vous? Ce que je vous dis là est dur, je le sens, mais je vous l'avois représenté avec ménagement et amitié et ce n'est point ma faute si votre conduite m'oblige à vous le répéter aujourd'hui tout crùment. Je vous ai écouté avec toute la patience dont je suis susceptible ; j'ai combattu vos raisonnemens par ceux que le bon sens et l'intérêt que vous m'inspiriez pouvoient me suggérer; mais quand j'ai vu qu'au mépris de vos promesses vous aviez entretenu mon père de semblables chimères, je me suis repentie amèrement d'avoir été si longtems aveuglée sur votre compte, et l'attachement que j'avois pour vous depuis que je vous connois a fait place à la plus parfaite indifférence. Pour me ramener à mes premiers sentimens, il faudroit me prouver que vous avez été dirigé par des motifs honnêtes en écrivant à papa que son secret étoit connu à Vervins, et je pense que cela vous seroit bien impossible. Vous n'ignoriez pas à quel point j'étois contrariée de cette publicité et combien je désirois qu'elle fût à jamais ignorée de papa. Je ne l'attribuois qu'à l'indiscrétion de votre mère. Peut-être avait-elle encore une cause plus coupable. Vous vous êtes imaginé pouvoir faire la loi à mon père en l'instruisant de ces bruits, en lui nommant Madame Epoigny à qui vous n'avez parlé de votre vie; vous avez cru enfin que l'aveu fait à Madame Français le mettroit dans l'impossibilité de reculer. Vous vous êtes étrangement trompé, il n'est jamais trop tard pour rompre avec un

homme que l'on cesse d'estimer... Ah! si vous n'aviez offensé que moi, je le pardonnerois facilement, mais lorsque je songe à vos torts envers mon père j'ai peine à conserver ma modération; c'est pour n'en point. dépasser les bornes que je finis cette réponse que j'aurois voulu vous épargner... N'oubliez pas, croyez-moi, que la vanité est une solte conseillère et que le chemin le plus droit est toujours le plus sùr et le plus honorable. Cet avis est la seule vengeance que je veux tirer des désagrémens que vous m'avez suscités. Désormais étrangers l'un à l'autre, je tâcherai d'effacer de ma mémoire le souvenir de nos relations et surtout celui de leur issue.... >>

Il semble que tout soit fini, bien fini, et pourtant vingt jours après madame Sévelle reprend la plume:

<< Mons, le 30 septembre 1813.

<< Monsieur, je ne comptois plus vous écrire, mais les inquiétudes que vous me témoignez sur la conservation de votre place ne me permettent pas de garder le silence que je m'étois prescrit. N'ayez aucune crainte, ce n'est point ainsi que les personnes honnêtes se vengent.... Puisque j'ai l'occasion de m'entretenir avec vous, j'en profiterai pour vous dire que je ne garde aucun ressentiment de vos torts envers moi. Que ce souvenir ne vous tourmente plus, oubliez-les comme je les oublie. Je voudrois pouvoir oublier de même les justes motifs de mécontentement que vous avez donnés à papa... Non seulement c'est avec colère, mais c'est aussi avec amertume qu'il s'est plaint de votre ingratitude. Si de bonne foi vous vouliez remplir vos engagemens, comment n'avez-vous pas senti l'inutilité de cette demande de reconnoissance? Quand bien même papa auroit eu la possibilité et le désir d'avouer Emilie, vous l'en détourniez en en faisant la condition d'un mariage convenu depuis deux ans sur d'autres bases... Si vous vous décidez à lui écrire je vous invite à ne le nommer que Monsieur. Ne prenez point cette recommandation en mauvaise part; si je vous cause une petite mortification, c'est pour vous en épargner une plus grande... il pourroit vous dire que la parenté qui n'est reconnue que par l'amitié cesse avec ce sentiment... Ne parlez point de ma lettre à votre mère; elle est bonne et raisonnable, elle vous aime tendrement, mais je la crois un peu trop communicative, et si on savait par elle que je vous écris, que ma pauvre Emilie est complice de cette petite désobéissance,

papa nous adresseroit à l'une et à l'autre de vifs reproches. Je reprends sans m'en apercevoir le langage de la confiance. Ah! c'est qu'il est difficile de prendre celui de l'indifférence avec ceux que l'on a estimés pendant dix ans. Que n'êtes-vous encore ce bon, cet honnête Benjamin dont j'entendois si volontiers faire l'éloge.... Je me tais; en commençant ma lettre je croyois ne pouvoir vous dire que des choses dures, maintenant que je me suis rappelé les vertus que je vous ai connues autrefois, je crains de vous parler moins froidement que je ne le dois. >>

Encore une lettre, c'est la dernière. Nous sommes en 1814, l'année terrible de ce temps-là.

<< Mons, le 12 septembre 1814.

« Je ne vous parlerai point des inquiétudes que le nouvel ordre de choses m'a données pour la conservation de votre place, vous connoissez l'intérêt que je vous ai porté dans tous les tems. Ainsi vous pouvez concevoir les craintes que j'ai éprouvées; elles auroient fait renaître toute mon amitié pour vous s'il m'était resté le moindre ressentiment du passé, mais votre dernière lettre m'en avoit ôté le souvenir et ne m'avoit laissé que celui des bonnes qualités sur lesquelles se fondent l'amitié et l'estime que vous m'avez inspirées... L'existence de cette bonne Emilie n'est plus un secret pour mes frères et sœurs, elle est chez papa depuis un mois. Elle a reçu de toute la famille l'accueil le plus affectueux; Laure ne me parle dans toutes ses lettres que de son attachement pour sa bonne sœur. Emilie, de son côté, m'écrit qu'elle est la plus heureuse personne du monde. Si papa ne devoit point quitter Paris, il ne songeroit certainement point à l'éloigner de lui, mais peut-être va-t-il passer quelque tems à Vervins vous jugez à combien de commérages la présence d'Emilie y donneroit lieu. Pour les éviter il se propose de la remettre en pension. C'est un séjour bien triste quand on a habité la maison paternelle; il semble qu'une jeune personne ne doit la quitter que pour celle d'un mari. Ces réflexions m'ont rappelé nos projets d'établissement. En épousant ma sœur l'année dernière, vous n'eussiez acquis que des droits à notre amitié; en la demandant aujourd'hui vous en auriez d'éternels à notre reconnaissance et particulièrement à la mienne.... Voyez, consultez-vous, mais consultez-vous bien, car si je veux le bonheur de ma sœur, ce n'est pas

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