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LE COMTE EMMERY

EN 1804,

PAR M. JULES THILLOY.

La vie des hommes politiques appartient toute entière à l'histoire. En vain me dira-t-on que la vie privée doit rester close et qu'elle doit échapper aux appréciations du biographe ou du critique; je ne puis accepter sans réserves cette affirmation dont on entend faire une sorte d'axiome. Sans doute, si les investigations n'ont d'autre motif qu'une stérile curiosité ou d'autre but que l'indiscrète divulgation des épisodes plus ou moins intéressants, plus ou moins mystérieux que voit se dérouler le foyer domestique, oh, oui! la vie privée est chose sacrée, et l'écrivain consciencieux qui l'aura connue et scrutée, tiendra à honneur d'en conserver religieusement le secret. Mais n'en est-il pas tout autrement, lorsque les événements de la vie intime sont de nature à expliquer les évolutions de la vie publique; lors que leur divulgation doit éclairer d'une lumière nouvelle le personnage qui appartient à l'histoire; lorsqu'ils peuvent dévoiler ses pensées ou ses opinions, révéler le secret motif de ses actions ou de ses déterminations; faire comprendre le rôle qu'il a joué dans les événements contemporains; donner, enfin, les causes inconnues de son arrivée aux affaires ou d'un isolement et d'un abandon peu compris et inexpliqués? Toutes ces réflexions, trop solennelles

bien certainement pour la circonstance, me traversaient l'esprit il y a quelque temps, en feuilletant des documents appartenant à la bibliothèque de Metz. Je venais, en effet, de découvrir, oubliée au milieu de papiers insignifiants, une lettre toute intime adressée il y a bien longtemps au comte Emmery et qui semble jeter quelques lueurs sur un point assez obscur de la vie de cet homme d'État je veux parler de ses opinions sur la fin du Consulat et sur l'avénement de l'Empire. Sans doute cette question peut paraître d'un intérêt médiocre pour l'histoire générale; qu'importent, en effet, les appréciations et la manière de voir d'un membre isolé du Sénat, ce grand corps politique, l'instrument mais non l'auteur de la révolution pacifique qui s'accomplissait alors? N'oublions pas, toutefois, que le comte Emmery est né à Metz et qu'à ce titre le moindre éclaircissement, le moindre renseignement nouveau sur sa vie et sur ses actes, peuvent avoir une valeur réelle pour ses concitoyens amis de leur pays; pour ses contemporains peutêtre encore vivants; pour les simples curieux enfin, amoureux des choses locales.

La vie politique du comte Emmery', dans son ensemble du moins, est assez bien connue. Ses biographes ne nous ont rien laissé ignorer des premières années de leur héros et du rôle qu'il a joué durant les agitations des temps révolutionnaires.

Député du bailliage de Metz aux États généraux, Emmery, dès les premiers temps de la Révolution, s'était montré partisan énergique et dévoué de la monarchie constitutionnelle. Ami de Lafayette et de Mirabeau, il partageait leurs idées et leurs illusions. Longtemps il espéra pouvoir arrêter la Révolution dans sa marche im

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Emmery (Jean-Louis-Claude), né à Metz le 26 avril 1742, décédé au château de Grosyeux, près Metz, le 15 juillet 1823.

pitoyable et conserver à la France la royauté appuyée sur une constitution, régime qui satisfaisait son ambition personnelle en donnant à son pays une sage liberté.

A l'Assemblée législative, débordé par les passions populaires, il lutta de toute son énergie contre les excès de la démagogie déchaînée et envahissante, et montra une fermeté de principes, et une dignité de caractère qui, deux fois, lui valurent les honneurs de la présidence '.

Quand vint, bien malgré lui, la dissolution de l'Assemblée législative, Emmery quitta la scène politique et entra au Tribunal de cassation.

Emprisonné par Robespierre; membre en l'an V du conseil des Cinq-Cents où il joua un rôle actif; expulsé de ce corps au coup d'état du 18 fructidor, il se vit appelé au conseil d'État par Bonaparte, le 4 nivôse an VIII (23 décembre 1799); il y fut attaché à la section de législation et y demeura jusqu'en l'an xi.

A cette époque, Emmery fut élu membre du Sénat. Dès le mois de germinal, sa candidature avait été indiquée par le collége électoral de la Moselle qu'il avait présidé, mais, en fructidor, il dut au général Bonaparte sa présentation officielle. Lui-même nous l'apprend par une note de sa main mise au pied de la première convocation qui lui fut adressée pour les séances de ce grand corps politique : « Le 5 fructidor an xi, dit-il, j'ai > assisté pour la première fois à la séance du Sénat dont › j'avais été proclamé membre le 2, sur la présentation » du premier consul et à la pluralité de 56 voix sur » 57 sénateurs votants. Ramey Desagny, préfet du dé>partement du Puy-de-Dôme, et Desandrouins, proprié> taire de la Belgique, avaient été présentés avec moi. Le

'Le 26 septembre 1790 et le 3 janvier 1791.

» dernier a eu une voix, le premier n'en a eu au> cune'. >>

A partir de cette élection, « on le perd presqu'entiè>rement de vue pendant plusieurs années, dit Bégin 2, » de même que la plupart des membres qui composaient » ce premier corps de l'État. »>

Quelles ont été au Sénat les opinions' d'Emmery sur les grandes questions qui passionnaient l'opinion à cette époque? Il est difficile de le savoir. Les séances du Sénat étaient muettes; rien n'en transpirait au dehors, et les anciens collègues d'Emmery ne sont plus là pour répondre à nos interrogations; l'on en est réduit aux conjectures. Il ne serait cependant pas indifférent de pouvoir éclairer d'une lumière certaine ces temps un peu voilés d'une vie commencée au grand jour de la publicité.

« Du moment de son élection au Sénat jusqu'à celui » de la Restauration de 1814, dit M. Renault, dans son Éloge d'Emmery3, il vécut presque toujours loin du

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» tourbillon des affaires et de la source des faveurs, » ce qui, du reste, n'empêcha pas qu'il ne reçût, avec » la masse de ses collègues, les titres et les autres signes » de distinction affectés au rang qu'il occupait. »

Je ne sais si je me trompe, mais ces quelques paroles d'un ami d'Emmery me font supposer qu'au moment de ces grandes transformations politiques qui se produisirent au commencement du dix-neuvième siècle, Emmery compta parmi les rares membres du Sénat qui manifestèrent quelqu'opposition aux projets de l'arbitre des destinées de la France; examinons si quelqu'indice

2

Biblioth. de Metz. Sans numéro.

Biographie de la Moselle. II, 47.

3 Mémoires de l'Académie de Metz. Année 1823-24, p. 90.

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