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tion à l'autorité royale ne laissait pas de s'échauffer au milieu de la lutte qui s'était ouverte entre les parlements et le chancelier Maupeou; elle se faisait jour dans de chaleureuses remontrances, que ces grands corps, tout à la fois judiciaires et politiques, savaient porter au pied du trône.

Le Parlement de Paris n'était pas le seul qui fit entendre d'énergiques discours c'étaient aussi la Chambre des comptes et la Cour des aides, se posant, à des degrés divers, en organes de l'opinion publique. Cette dernière compagnie se distinguait et attirait l'attention par des remontrances assidues et courageuses, qui étaient, suivant l'historien Charles Lacretelle, l'ouvrage de son premier président, Lamoignon de Malesherbes :

Le droit public de la France, c'est Lacretelle qui parle, n'avait jamais été présenté avec plus d'art ni plus de profondeur que dans ces remontrances. On eût cru, en les lisant, que la Constitution de la France posait sur des bases immuables. Malesherbes effrayait les ministres ambitieux, qui essayaient de les renverser et substituaient l'action violente, mais instable du despotisme à la marche lente et régulière d'une monarchie. Ces remontrances étaient enfin l'ouvrage le plus éloquent que la magistrature eût produit, dans un règne où elle avait acquis une si imposante considération. » '

La suppression du Parlement de Paris et de la Cour des aides, en 1771, fut suivie de l'exil du courageux Lamoignon de Malesherbes.

Rappelé, lors du rétablissement de la Cour des aides, à l'avénement du règne de Louis XVI, le discours qu'il prononça, à l'audience de réinstallation, présidée par M. le comte d'Artois, le 12 novembre 1774, mériterait

'Histoire du XVIIIe siècle, tome IV, p. 266 de la 4o édition.

d'être rapporté en entier. Je me contente d'en citer deux passages qui font connaître les idées du temps et les sentiments personnels de l'orateur :

« ..... Le Roi vient d'avoir sous les yeux, Monseigneur, le spectacle le plus flatteur pour un grand prince, et le plus attendrissant pour une âme sensible, celui des acclamations libres et sincères de toute une nation. C'est cette nation dont la reconnaissance a précédé, pour ainsi dire, les bienfaits du Roi, et au vœu de laquelle le Roi a répondu, en la consultant sur le choix de ses ministres, en nommant d'après le suffrage public, les dépositaires de sa puissance.....

• S'il s'élevait jamais de ces génies inquiets qui ne peuvent avoir d'existence que par les troubles, s'ils osaient faire entendre ces maximes funestes < que la » puissance n'est jamais assez respectée quand la ter› reur ne marche pas devant elle; que l'administration » doit être un mystère caché aux regards du peuple, parce que le peuple tend toujours à se soustraire à » l'obéissance, et que toutes ses représentations, ses supplications même, sont des commencements de » révolte; que l'autorité est intéressée à soutenir tous >> ceux qui ont le pouvoir en main, lors même qu'ils » en ont abusé; enfin, que les plus fidèles sujets d'un

roi sont ceux qui se dévouent à la haine du peuple », alors, Monseigneur, sans recourir à ce qui s'est passé dans les jours heureux de saint Louis, de Charles V, de Louis XII, de Henri IV, il suffira au roi de se rappeler ce qu'il a vu dans les premiers instants de son règne ».'

Malesherbes, reçu à l'Académie française, en 1775, fut l'un des hommes que distingua le plus Turgot, ce ministre philosophe, investi du contrôle général des

'Dufey (de l'Yonne), Histoire des Parlements, tome II, p. 347.

finances, après avoir été intendant de Limoges et ministre de la marine. Turgot avait rêvé d'opérer en France une révolution pacifique: par la suppression des droits les plus onéreux sur les objets de consommation habituelle; par l'abolition des corvées; par la conversion des vingtièmes et des tailles en un impôt territorial qui assujettirait la noblesse et le clergé aux charges communes; par la liberté de conscience et le rappel des Protestants au bienfait de l'état civil; par le rachat des rentes féodales, l'abolition de la torture, déjà mitigée, et l'émission d'un seul Code civil, substitué aux dispositions incohérentes du droit coutumier, mêlé avec le droit romain; par la suppression des jurandes et maîtrises et par tant d'autres réformes que, plus tard, M. le comte de Provence (Louis XVIII) essaya de faire prévaloir dans son bureau.

Malesherbes était en communion de principes et de vues avec le contrôleur général.

Le 21 juillet 1775, il fut nommé ministre de la maison du Roi, en remplacement du duc de Lavrillière, qui avait les lettres de cachet dans son département. Les mémoires du baron de Bezenval nous apprennent que Malesherbes refusa trois fois la place qui lui était offerte et qu'il ne céda qu'aux instances de Turgot.

L'une de ses préoccupations les plus constantes fut de soumettre à des règles et à des précautions dictées par la prudence et l'équité, les détentions qui, par leur nature, échappent à l'initiative du pouvoir judiciaire :

Turgot (Anne-Robert), né en 1727, mort en 1781, descendait, du moins je le suppose, de M. Turgot, intendant de Metz et des Trois-Évêchés, sous Louis XIV, auteur de Mémoires historiques sur la Lorraine et les Trois-Évêchés, terminés le 30 juillet 1699. (V. l'Histoire des Sciences, des Lettres, des Arts et de la Civilisation dans le pays Messin, par Bégin, p. 594 et suiv.)

Le travail de Malesherbes, sur ce sujet, dit encore notre compatriote Charles Lacretelle, est un heureux mélange de l'esprit philosophique et de l'esprit d'administration ». 1

Le 9 septembre 1775, il se transporte à la Bastille pour l'élargissement de plusieurs prisonniers. Aussi ai-je lu dans une correspondance de l'époque: « Jamais homme d'État ne s'est montré sous des traits plus chers que ceux sous lesquels nous voyons M. de Malesherbes. »"

II.

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Mais la tâche était difficile. D'inévitables résistances d'un côté ; des impatiences immodérées de l'autre ; et, au milieu de cet orageux conflit, un prince vertueux, animé, autant que ses ministres, de l'amour du bien public, mais d'un caractère faible, irrésolu ; et d'ailleurs, suivant la remarque d'un historien judicieux auquel j'emprunte ces réflexions: « Ce qui guide les chefs des peuples, c'est l'expérience, c'est le souvenir du passé, la comparaison des temps. Louis XVI ne pouvait s'appuyer sur rien de semblable et ne pouvait rien interroger qui fût capable de répondre à toutes les anxiétés, à toutes les terreurs de son esprit. Il était là, sur les dernières limites d'un monde évanoui, aux bords d'un autre monde naissant, qui se trouvait encore à l'état de chaos.

Louis XVI, avec son instinct du vrai, comprenait, devinait beaucoup de choses. Mais quel génie il aurait fallu

• V. la note B.

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Correspondance secrète. Londres, 1787, 2e vol., p. 144 et 145. 3 Poujoulat. Hist. de la Révol. Franç., t. Ier, p. 405.

pour n'être jamais pris en défaut, pour juger d'avance de la portée de chaque décision, de chaque événement, et dans un ordre d'idées et de faits si extraordinaires!...>>

Je parlais des résistances que rencontrèrent les plans de Turgot et de Malesherbes qui croirait que les premières sont venues du patriarche de Ferney? C'est que Voltaire, comme l'ont fait observer Lacretelle et RoyerCollard, avait plus de philosophie dans l'esprit, que dans le caractère. Partisan d'abord de quelques innovations dues à l'habileté du chancelier Maupeou, il acceptait de celui-ci la tâche de répondre aux belles remontrances de Lamoignon de Malesherbes; on le vit abuser du privilége d'une galanterie poétique jusqu'à donner à la comtesse Dubarry, le nom de la nymphe Egérie, qui dictait à Numa les lois vénérées des Romains.

C'est plus tard que, réparant par de fervents hommages le ridicule qu'il avait jeté sur la secte des économistes, il se rangea ouvertement, avec le prince de Beauvau, le duc de la Rochefoucauld, Trudaine et Lamoignon de Malesherbes, sous la bannière de Turgot. '

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Une autre résistance, sur laquelle je dois d'autant moins m'étendre qu'elle est plus connue et qu'elle a été plus funeste dans ses résultats, est celle des Parlements qui, après s'être montrés les défenseurs des intérêts populaires, réagirent imprudemment contre les vues et les projets de Turgot et de Malesherbes, qui étaient ceux du Roi. 3

Il avait été question de donner les sceaux à Males

'Le XVIIIe siècle, IIIe vol., p. 68, et IVe vol., p. 304.-< Voltaire, a dit Royer-Collard, comprend un poëte, un historien, je ne dirai pas un philosophe, car il n'a pas une philosophie, mais un esprit universel. »

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