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Ayant obtenu ses passeports par le crédit de M. de Fumel, il monta sur un brigantin qui allait à Salonique et fit voile vers Lemnos. En pleine mer Égée, le calme les prit; trois pirates surgirent et le navire eut grand'peine à se réfugier dans le port de l'île d'Imbros, où les vents contraires le retinrent deux jours entiers. Le troisième jour, le bateau put sortir et gagner à force de rames l'île de Lemnos.

Belon, qui n'avait en tête que sa terre sigillée, courut chez les gouverneurs pour s'entendre dire, à son grand dépit, qu'il n'en verrait point l'extraction. Celle-ci ne se faisait qu'une fois l'an, le 6 août, et en grande pompe1; ce jour-là, « les plus grands personnages et les principaux de l'isle s'assemblent, tant les Turcs que les Grecs, prestres et caloières, et vont en ceste petite chappelle nommée Sotira, et en célébrant une messe à la grecque avec prières vont tous ensemble, accompagnez des Turcs, et montent sur la colline qui n'est qu'à deux traicts d'arc de la chappelle, et font beicher la terre par cinquante ou soixante hommes, jusques à tant qu'ils l'ayent descouverte et qu'ils soyent venus à la veine; et quand ils sont venus jusques à la terre, alors les caloières en remplissent quelques turbes ou petits sacs de poil de bestes, lesquels ils baillent aux Turcs qui sont là presens, sçavoir au soubachi ou au vayvode; et quand ils en ont prins autant qu'il leur en faut pour ceste fois, alors et dès l'heure mesme ils referment et recouvrent la terre par les ouvriers qui sont encores là présens. En après le soubachi envoye la pluspart de la terre qui a esté tirée au Grand Turc à Constantinople; le reste i la vend aux marchands ».

Belon, toutefois, n'abandonna point son idée. Il séjourna assez longtemps dans les villages, étudiant la faune et la flore et donnant, à l'occasion, ses soins aux Grecs ou Turcs malades. Il en prit occasion pour se faire montrer les divers échantillons de terre lemnienne qui couraient dans le commerce local; il lia même connaissance avec le voïvode,

1. Cf. A. Thevet, Cosmographie, t. II, fol. 805 ro et vo (1575).

ou lieutenant du soubachi, qui commandait dans l'île, et en reçut invitation à dîner concombres, oignons crus, soupe de froment « boullu », pain, miel, le menu fut médiocre. Au surplus, l'amphitryon qui s'entendait au commerce lui défendit d'aller voir le gîte à terre sigillée qu'il n'eût versé deux ducats, moyennant quoi il eut un janissaire qui l'escorta jusqu'à Ephestia, par Rapanidi, et delà à la chapelle de Sotira. Non loin de la chapelle, il put contempler la place où gisait la précieuse terre, mais comblée et «< estouppée de terre ». Et il s'en retourna sans rien voir de plus, songeant à part soi « que les choses viles et de petite estime sont rendues précieuses par cérémonies et que les choses de petite valeur prennent authorité estans ennoblies de la superstition1».

De Lemnos, Belon gagna l'île de Thasos en compagnie de deux caloières, non sans qu'une tempête les eût contraints de relâcher, en cours de route, à Scyros. Après trois jours passés à Thasos, il gagna en barque, en quatre heures, les rivages de la Chalcide et prit terre à Liatopedi, l'un des monastères du Mont-Athos.

Six mille moines ou caloières peuplaient la presqu'île, répartis en vingt-quatre monastères, hôtes exclusifs de la montagne sainte, en vertu de ce « privilège qui, dit Belon, dure encore pour le jourd'huy, que nul autre Grec ne Turc

1. Il y a encore aujourd'hui un gisement de terre sigillée dans la partie orientale de Lemnos, entre Pournia et Kondopouli, dans une région d'où émanaient jadis des gaz inflammables, vestiges d'une activité volcanique récente, mais aujourd'hui assoupie. La masse de l'île est formée de grès, schistes et poudingues, allant du brun au vert, avec empreintes végétales, formations lacustres ou d'estuaire, rattachables soit au flysch supra-crétacé de la Crète et de Rhodes ou à l'éocène d'Imbros et de la rive nord de la mer de Marmara. Ces dépôts sédimentaires sont recoupés et plus ou moins métamorphisés par des dykes de dacites et d'andésites tertiaires. Ces actions volcaniques ont certainement joué un rôle dans la kaolinisation qui a produit la terre sigillée (L. de Launay, Etudes géologiques sur la mer Egée. La géologie des îles de Mételin (Lesbos), Lemnos et Thasos. Paris, Vicq-Dunod, 1898, in-8°, 164 p. (extrait des Annales des mines, 2 livraison, 1898, V, p. 73).

y puisse habiter s'il n'est caloière ». Ils vivaient là « moult austèrement », voués au célibat, privés de toute chair, même celle de poisson qui a sang », repus seulement d'olives, d'oignons et de biscuit, pauvrement vêtus, voués aux métiers indispensables, exploitant leurs vignes, leurs forêts et leurs champs, filant, cousant, maçonnant, d'ailleurs ignares, mais accueillants et hospitaliers : « Ceux qui les viennent voir, écrit notre voyageur, sont repeuz sans rien payer. » Mais la chère était maigre: «< Des olives confictes, des oignons cruds, des febves trempées en eau puis salées, du biscuit, rarement du pain frais et quelquesfois du poisson frais ou salé. » Belon escomptait l'aubaine de quelques précieux manuscrits; mais l'ignorance, sauf en matière théologique, leur était d'obser

vance :

Seroit impossible qu'en tout le Mont-Athos l'on trouvast en chaque monastère plus d'un seul caloière sçavant. Qui en voudroit des livres de théologie escrits à la main, on y en pourroit bien trouver; mais ils n'en ont n'en poésie, histoire, n'en philosophie.

Belon n'en estime pas moins le lieu comme « un paradis de délices pour gens qui aiment à se tenir aux champs ». Et il se mit à feuilleter, faute de mieux, le grand livre de la nature, herborisant', pêchant, chassant les poissons et les insectes, admirant le panorama de la mer et des îles, Schiato, Scyros, Lemnos, Thasos, Samothrace, Imbros, qui se découpaient « quasi aussi à clair que si elles eussent esté plus près de nous », notant les us et coutumes de cette curieuse colonie monastique et déçu seulement de ne point retrouver l'entaille de Xerxès.

Du Mont-Athos il gagna Salonique en deux journées; la ville était terrorisée par l'attente de la peste qui régnait alors en Macédoine. Notre homme, sans s'émouvoir, alla

1. Belon dit avoir trouvé l'hellébore noir en plusieurs vallées (Obs., p. 87). Il ne s'agit probablement pas de notre Helleborus niger, L., ou rose de Noël, mais de l'H. orientalis, Encycl., qui fut observé plus tard en Grèce par Tournefort.

visiter les mines de Sidérocapsa' où les Turcs exploitaient de riches filons d'or et de galène argentifère, déjà connus au temps du roi Philippe. Il étudia le minerai, les procédés d'extraction et même les usages thérapeutiques :

Ce fut, dit-il, qu'un Turc médecinant un Juif fort malade de la rate en print la mesure avec du papier par dessus le ventre: et porta la mesure à un jeune noyer, et coupa autant de son escorce que la mesure de la rate estoit grande; et avec plusieurs parolles en turc qu'il dist et autres cérémonies faites, retourna au Juif et luy mist l'escorce dessus le ventre. En après il la pendit en la cheminée avec un fil et assura au Juif que, comme l'escorce seicheroit, tout ainsi son mal diminueroit... mais le Turc nous sembla assez mauvais médecin d'avoir cherché la rate au milieu de ventre sur le nombril, qui estoit signe qu'il fust mauvais anatomiste.

Belon eut encore la joie de découvrir, parmi les plantes du pays, le « cotiledon, autrement nommé Umbilicus Veneris..., du tout si rare qu'on ne le trouve bien en plusieurs lieux de nostre France : toutefois, pour ce que l'avons fait retirer [figurer] avec sa fleur, et qu'encore n'a esté mis en peinture, en avons cy mis le portraict2 ».

De Sidérocapsa, le voyageur franchit le Strymon, hanté de vols de pélicans, « si communs que, quand passions par dessus les ponts et parvenus sur les collines, voyons les lacs blanchir pour la grande quantité qui s'y nourissent en esté3 ».

Il s'attarda à étudier les quadrupèdes de la région, la chèvre sauvage qu'il appelle Tragelaphus'; les poissons

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1. Sidérocapsa, ville de Macédoine (anc. Chrysitis), au nord-ouest de Bolina, non loin des ruines d'Emboli (Amphipolis), à quelque distance du golfe de Contesse ou d'Orfani, où se trouve l'embouchure du Strymon. Les mines de Sidérocapsa étaient encore exploitées en 1914 par la Société française des mines de Kassandra. 2. Umbilicus pendulinus, D. C. (crassulacée). Cette plante est assez commune sur les roches granitiques et primaires de la région du Maine.

3. Hist. des oyseaux, 1555, p. 154.

4. Gesner a figuré cet animal sous le nom de Tragelaphus Bellonii (C. Gesneri..., Hist. animalium liber primus. Francfort, Cambier,

que pêchaient les meuniers du Strymon; puis, par un « pays aspre de rochers », gagna Sérès ou Cranon, et la ville qu'il nomme Trica ou Tricala', curieux de voir entre ces deux localités du gui sur tous les chênes, chose qu'il n'avait jamais observée. En deux journées, il parvint aux ruines de Philippi, qu'il explora en grande dévotion, car Galien de Pergame y avait passé. Il releva des inscriptions. romaines, visita dans la montagne quelques couvents de caloières et parvint enfin à Cavalla, grand port de Macédoine, l'ancienne Bucéphala.

L'hospitalité turque s'y montra généreuse : Abrahin pacha, dit Barberousse, avait fait élever une mosquée et une sorte d'hôpital ou carbachara « pour nourrir et loger tous passants ». Belon, ses deux compagnons et leurs montures y furent hébergés trois jours durant « et sans qu'il... ait rien cousté ». On ne leur offrait, il est vrai, que le couvert et le vivre; il y fallait apporter sa literie et ses ustensiles.

Belon demeura quelque temps à Cavalla, admirant du haut des vieux remparts de la montagne l'éblouissante perspective de la mer Égée tout près, en face, Thasos; plus loin, l'île de Samothrace et l'embouchure de l'Hèbre3; vers la droite, Imbros, Lemnos et l'énorme masse du Mont-Athos, émergeant, à vingt milles, des vagues bleues.

Reprenant la route de Constantinople, notre homme. pénétra dans la Thrace et fit halte à Cypsella', où il demeura trois jours entiers pour voir extraire l' « alun de glaz ». Arrivé sur les rives de la Maritza, il dut payer

1602, in-fol., p. 297). C'est probablement la chèvre œgagre ou pasang, Capra ægagrus, Gm.

1. Belon fait erreur : l'ancienne Trica ou Tricala est en Thessalie. Il s'agit probablement de Drama, chef-lieu, jusqu'en 1913, d'un sandjak turc et qui se trouve à quarante-huit kilomètres est de Sérès. 2. Philippes. Il n'y a en réalité qu'une demi-journée de route de Drama à Philippes.

3. Auj. la Maritza.

4. Cypsella, Ipsala, Chipsala ou Chapsylar, ville de Thrace, province de Rhodope.

5. « L'alun de roche, ou de glace, ou alun blanc, ou alun d'Angle

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