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COMPTES-RENDUS.

Abbé F. CHARBONNIER. La poésie française et les guerres de religion (1560-1574). Étude historique et littéraire sur la poésie militante depuis la Conjuration d'Amboise jusqu'à la mort de Charles IX. Paris, Revue des Euvres nouvelles, 1919. In-8°, xv-538 pages.

Les troubles provoqués par la Réforme, qui font de la seconde moitié du xvre siècle une des périodes les plus tristes de notre histoire, n'ont pas été l'un des moindres sujets d'inspiration des poètes contemporains. On pourrait citer par centaines les œuvres, satires, épîtres, élégies, discours, etc., à l'aide desquelles les auteurs catholiques et protestants ont mené une lutte moins dangereuse, mais non moins acharnée, que celle qui se poursuivait sur les champs de bataille.

C'est cette littérature militante dont M. l'abbé Charbonnier a entrepris l'étude. L'ouvrage qui en résulte, en indiquant les courants principaux issus de cette lutte et en dégageant les tendances des poètes qui y ont participé, prendra place utilement entre les travaux de MM. Lenient et Perdrizet sur la Satire en France au XVIe siècle et sur Ronsard et la Réforme. L'année 1574, date de la mort de Charles IX, à laquelle l'auteur a cru devoir s'arrêter, marque la fin de la querelle religieuse proprement dite. La présence d'hommes aux visées ambitieuses et aux fortes personnalités, tels que Henri de Navarre et le duc de Guise, fait perdre de plus en plus aux guerres civiles postérieures leur caractère religieux; la poésie contemporaine devait s'en ressentir et prendra une allure politique de plus en plus marquée. D'autre part, les deux hommes les plus dignes de prendre la parole dans ces circonstances, Ronsard et d'Aubigné, gardant le silence sur ce sujet, ce n'était pas les poètes élégiaques, en faveur sous Henri III, qui allaient pouvoir les remplacer. La polémique se maintint dès lors dans un domaine plus général et perdit beaucoup de la vigueur et du caractère d'actualité qu'elle avait précédemment.

La première partie de l'ouvrage, plus spécialement historique, nous fait assister à la querelle verbale entre catholiques et huguenots, et ce n'est pas le moindre mérite de l'auteur d'avoir su nous guider d'une main sûre à travers cette multitude de pamphlets et de nous en avoir donné un classement.

Ce fut Nicolas Denisot, Jodelle et Belleau qui engagèrent les premières escarmouches. Ronsard entra ensuite dans la bataille et, de 1560 à 1564, consacra une bonne partie de son génie et de son temps à combattre la religion adverse, avec modération d'abord, puis en termes de plus en plus violents. Il s'attira de cruelles ripostes de ses antagonistes, parmi lesquels se distinguent Florent Chrestien, Jacques Grévin et surtout Antoine de La Roche-Chandieu, le plus acharné, et non le moindre par la force et par l'éloquence.

Après 1564, Ronsard, désavoué par la Cour, se retira de la lutte. Dès lors, l'histoire de cette querelle est plus simple et l'auteur se contente de nous énumérer, au fur et à mesure des événements, les œuvres auxquelles ils ont servi de prétexte. Des extraits abondants contribuent à l'intérêt de ces chapitres. Les dernières années de cette période témoignent d'ailleurs d'une lassitude très marquée.

La dernière partie est consacrée à une étude critique de cette poésie militante et essaie de lui attribuer sa place dans la production littéraire du siècle. Elle paraît avoir été quelque peu sacrifiée à la précédente et certains chapitres manquent peut-être de développement. Quelques négligences seraient à reprocher à l'auteur : il mentionne, par exemple, dans la première partie de son livre, la Déploration de l'estat de la France de P. du Rosier, et annonce qu'il l'étudiera en détail plus loin: cette étude se borne à la citation d'une dizaine de vers du poème. On eût souhaité qu'il mît davantage en lumière une des plus remarquables productions auxquelles ont donné naissance les guerres de religion.

La Réforme, après avoir paru un moment favoriser l'humanisme, qui se réclamait du principe du libre examen, devait se retourner contre lui par haine du paganisme et de tout ce que celui-ci comportait d'amour de la joie et des plaisirs sensuels.

Du moins, si cette littérature n'a qu'une valeur poétique. assez médiocre, a-t-elle apporté des accents plus virils dans une production qui menaçait de tomber dans le mièvre et le con

ventionnel. D'ailleurs, si les tentatives de Ronsard et de Du Bartas de créer un humanisme chrétien échouèrent, le souci d'éloquence qui fut la préoccupation capitale de tous ces poètes ne demeura pas une vaine chose et se retrouvera chez les grands auteurs du siècle suivant.

J. LAVAUD.

Pierre VILLEY. Recherches sur la chronologie des œuvres de Marot. Paris, H. Leclerc, 1921. 1 vol. in-8°, 176 pages.

Les grands écrivains du XVIe siècle. Evolution des œuvres et invention des formes littéraires. T. I: Marot et Rabelais, avec une table chronologique des œuvres de Marot. Paris, É. Champion, 1923 (Bibliothèque littéraire de la Renaissance). 1 vol. in-8°, 431 pages.

Nos lecteurs connaissent les minutieuses recherches de notre confrère M. Pierre Villey sur les Publications de Marot, publiées dans cette Revue en 1920 et 1921. De ce Tableau chronologique deux conclusions importantes se dégagent la première, qu'un intervalle parfois assez long sépare la composition de certaines pièces de Marot de leur publication, et la seconde, que l'auteur a eu souvent de bonnes raisons pour différer la publication de telles de ses œuvres. On ne peut donc se fier à ce tableau des publications pour suivre l'évolution du talent de Marot ou simplement pour établir les rapports de son œuvre avec sa biographie. Une seconde enquête s'imposait sur les dates de composition des œuvres de Marot. M. Villey a entrepris ce travail et, après en avoir exposé les résultats dans le Bulletin du bibliophile de 1920-1922, les a réunis en un volume. Les éditeurs futurs du texte de Marot y trouveront de suggestives remarques sur l'établissement d'une édition critique. M. Villey insiste avec raison sur l'indifférence de Marot pour l'impression de ses œuvres. Comme Mellin de Saint-Gelais, il était satisfait de savoir que l'on s'empressait de recopier ses vers, de les apprendre et de les réciter par cœur. Il n'avait cure de les voir en « lettres de moule ». Il n'est pour rien dans la disposition des pièces de la Suite de l'Adolescence (1534). La crainte de se voir compromis auprès de François Ier par des imprimeurs imprudents le décide à diriger lui-même l'impression de ses œuvres en 1538. Puis il revient à sa nonchalance

et vraisemblablement ne prend une part directe à aucune des éditions de ses œuvres qui se sont succédé de 1538 à sa mort. Aussi ni l'économie des recueils de Marot, ni l'orthographe du texte ne sont de l'auteur.

Cette enquête sur la chronologie des œuvres de Marot a apporté en outre quelques précisions nouvelles sur l'évolution de l'œuvre. M. Villey les a consignées dans le premier volume d'une étude qu'il a entreprise sur les grands écrivains du XVIe siècle : Marot et Rabelais. (Le second volume sera consacré à Ronsard et à Montaigne.) Comme il le fait justement remarquer dans l'avant-propos, l'exposition chronologique est une méthode propre à mettre en lumière l'originalité de nos écrivains du xvie siècle. Les conditions de la production littéraire sont alors particulièrement propices aux réactions des individualités. L'habitude de la vie mondaine ne les a pas encore nivelées, des stimulants venus de divers côtés : italianisme, humanisme, vie de cour, les poussent vers des voies nouvelles. « Libérées des entraves qui, à d'autres époques, se feront pesantes, et stimulées par une effervescence de pensée sans exemple, les œuvres vivent, se modifient, se transforment, s'adaptant aux génies des auteurs, avec une mobilité que nous ne retrouverons qu'exceptionnellement en d'autres temps. »

C'est donc l'évolution des œuvres qu'il s'est proposé d'étudier et en particulier la constitution des formes littéraires qui ont remplacé au xvIe siècle les formes du moyen âge. Pour Marot, les rapports de son œuvre avec la poésie des grands rhétoriqueurs avaient été déjà indiqués. Mais les recherches chronologiques de M. Villey apportent des renseignements tout nouveaux et de grande valeur sur sa formation intellectuelle et sur la transformation de sa poétique sous l'influence de la cour et de l'italianisme. Je signalerai comme particulièrement originales ses conclusions sur l'élégie marotique qui se confondait primitivement avec l'épître et ne dérive pas des modèles latins; - sur l'épigramme, qui ne doit rien au strambotto italien, mais s'inspire des maîtres anciens et des humanistes modernes; sur le sonnet, qu'il a cultivé tardivement, lors de son exil en Italie et qu'il ne tient que pour une variété de l'épigramme, sans prévoir la prodigieuse fortune à laquelle ce genre sera appelé.

M. Villey me semble aussi avoir mis en relief, mieux que personne ne l'avait encore fait, l'action que nos humanistes,

les Dolet, les Voulté, les Ducher, ont exercée directement sur la production poétique de Marot par leurs exhortations et par leurs conseils. S'il a pratiqué Martial, c'est vraisemblablement sur les instances de Dolet. Il avait souffert pour la cause de l'humanisme, il était victime de la Sorbonne : les savants l'adoptèrent donc et le comptèrent comme un des leurs. Bourbon de Vendeuvre, Voulté, Ducher traduisaient en latin quelques-unes de ses poésies. On le qualifiait de très docte.

Peut-être y avait-il lieu, à ce propos, d'examiner ce que la poésie de Marot doit à la poésie latine des humanistes. S'ils se sont inspirés de lui, ne s'est-il pas inspiré d'eux? Rappellerai-je que le beau cantique à la déesse Santé est traduit d'un poème latin de l'humaniste italien Flaminio, l'Hymnus in Bonam Valetudinem'. Des recherches poussées dans cette direction nous révéleraient, je crois, qu'avant les poètes de la Pléiade, Marot a puisé dans la poésie néo-latine des humanistes.

L'étude de l'œuvre de Rabelais, <«< un des sujets les plus attrayants qui s'offrent à l'historien de la littérature », déclare M. Villey, avait été préparée par les travaux de notre Société des Études rabelaisiennes. M. Villey les a utilisés en vue de démêler les véritables intentions de Rabelais et de déterminer la transformation du genre littéraire qu'il a cultivé. Parti, avec le Pantagruel, du simple récit pour rire, tissu de contes gigantesques et de facéties, analogue aux Grandes et inestimables chroniques, le roman rabelaisien s'ouvre avec le Gargantua aux grandes idées de la Renaissance et bénéficie de la culture intellectuelle de l'auteur. Au Tiers Livre, c'est l'érudit qui s'installe en maître dans le roman, expose ses idées, disserte, discute. L'action se réduit à rien. La matière n'est plus un conte, c'est une question à résoudre. Panurge doit-il se marier? C'est presque un roman nouveau, un roman philosophique. Le Quart Livre ne comporte pas beaucoup plus d'action que le Tiers Livre. Dans le cadre d'une navigation lointaine, Rabelais a placé des scènes de fantaisie et des satires. Les plus intéressantes sont les attaques contre les calvinistes et contre les papimanes ultramontains.

Sur l'authenticité du Cinquiesme Livre, M. Villey reste scep

1. Cette imitation est signalée par M. Farmer, Les œuvres françaises de Scévole de Sainte-Marthe, p. 50 (Toulouse, 1920).

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