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tique et justifie son attitude par la diversité des opinions émises par les critiques contemporains. Pour lui, il lui semble que si l'idée générale et les mythes sont de l'invention de Rabelais, il n'en est pas de même de la mise en œuvre de ces thèmes : il y manque en effet le dérèglement dans la fantaisie qui est caracté ristique de sa manière. - Exception faite pour quelques épisodes des premiers chapitres, ce serait également mon opinion. Mais je crois qu'on peut la fonder sur des arguments, et non simplement sur des impressions. En ce qui concerne, par exemple, le fameux épisode des chats-fourres, j'ai dit ailleurs' pour quelles raisons il est peu vraisemblable qu'il ait été rédigé par Rabelais il est d'une violence contre les juges qui ne se rencontre jamais dans les livres antérieurs; il est d'un comique médiocre; dans un sujet où les termes de procédure eussent été à leur place, on n'en trouve qu'un seul; enfin, dans les propos de Grippeminaud, archiduc des chats-fourrés, il n'y a pas une seule de ces allégations de textes juridiques qui caractérisent chez Rabelais le langage du Palais. M. Villey était donc autorisé à ne demander au Cinquiesme Livre aucun renseignement sur l'art de Rabelais.

Ayant étudié l'originalité de cet art dans la mise en œuvre des matériaux d'emprunt et dans leurs combinaisons, M. Villey consacre un chapitre au travail artistique de la forme. Il insiste particulièrement sur le goût de la surprise incessante, qui est pour lui le principe de l'humour de Rabelais. De là procèdent le mépris de la vraisemblance, la libre fantaisie, la fréquence des digressions et surtout la virtuosité verbale, qui accuse cette tendance à traiter le sujet du récit comme un simple canevas à plaisanterie.

Un dernier chapitre expose les destinées du roman rabelaisien jusqu'à nos jours.

Parmi les appendices de ce livre, je signale comme particulièrement utile la Table chronologique des œuvres de Marot, classées selon l'ordre alphabétique des incipit. M. Villey y a fait suivre chaque incipit de trois indications: 1o référence aux éditions Jannet ou Guiffrey; 2o date de publication; 3° date de composition.

Cette étude sur Marot et Rabelais est donc une heureuse

1. L'adolescence de Rabelais en Poitou, p. 159 (Paris, Société d'édition « Les Belles-Lettres », 1923).

application de la méthode par laquelle M. Villey avait renouvelé, avec sa thèse de doctorat ès lettres, les idées communes sur Montaigne. On jugera d'un coup d'œil l'efficacité de cette méthode en comparant au livre de M. Villey les articles, parfois d'ailleurs très judicieux, de Faguet sur Marot et sur Rabelais'. Combien de contradictions relevées dans l'œuvre d'un écrivain disparaissent aussitôt que chaque partie de cette œuvre est reportée à sa date et expliquée par les circonstances qui ont influé sur sa conception! Combien d'énigmes se dissipent! et combien de problèmes esthétiques ou psychologiques se résolvent sans effort!

L'effort a consisté à poser les fondations de l'édifice, c'est-àdire à fixer la chronologie des œuvres. C'est un labeur ingrat que ces recherches de chronologie. Jacques Boulenger, qui a établi l'ordre de publication des éditions du Pantagruel et du Gargantua; Henri Clouzot, qui a donné dans notre édition du Gargantua la Chronologie de la vie de Rabelais; Paul Laumonier, qui a dressé le Tableau chronologique des œuvres de Ronsard; d'autres encore parmi nos confrères « en sauraient bien que dire ». Mais entre tous les procédés techniques de la critique littéraire il n'en est pas qui donnent de résultats plus utiles 2.

Jean PLATTARD.

Nicolas BANACHEVITCH. Jean Bastier de la Péruse (15091554). Étude biographique et littéraire. Paris, aux Presses universitaires de France, 1923. 1 vol. in-8°, 244 pages.

Voici, vraisemblablement, la première contribution d'origine. serbe à l'étude de notre Renaissance. Elle est solide, claire,

1. Le seizième siècle, p. 35 et 77.

2. Dans l'étude de M. Villey sur Rabelais quelques inadvertances doivent être corrigées : P. 159. La riposte d'Amaury Bouchard au De legibus connubialibus n'a de grec que le titre, l'ouvrage lui-même est en latin. — Ibid. C'est le second livre d'Hérodote, et non le premier, que Rabelais traduisit en latin. Voir mon Adolescence de Rabelais en Poitou, p. 23. - P. 182. L'épisode du diamant faux envoyé par une dame à Pantagruel (ch. xXIII-XXIV) est emprunté vraisemblablement non à Arnauld de Villeneuve, mais à la XLI nouvelle de Masuccio Salernitano. - P. 206. « Dans le Gar

substantielle, d'une rédaction nette, sans fausses élégances et sans sécheresse. Puissions-nous recevoir de Belgrade et de la Yougoslavie beaucoup de travaux de cette qualité!

La vie, très courte, de Jean Bastier de la Péruse offre peu d'événements marquants. M. Banachevitch paraît avoir poussé à fond ses recherches sur ce personnage, en utilisant particulièrement ces travaux fragmentaires et de valeur inégale qui dorment ignorés dans les Bulletins et Archives des Sociétés archéologiques ou historiques de nos provinces. Quelques faits nouveaux se dégagent de son enquête. D'abord, La Péruse paraît lié avec Jodelle bien avant la représentation de la Cléopâtre (1553). Tous deux sont élèves de Muret au collège de Boncourt, où aura lieu la première représentation de Cléopâtre. L'influence de Muret sur Jodelle et La Péruse est aussi importante que celle de Dorat sur Ronsard et du Bellay; mais elles sont distinctes. Ce n'est pas à Dorat, c'est à Muret que revient l'honneur d'avoir poussé ces deux jeunes gens à cultiver le genre tragique. A Muret, et aussi peut-être à Buchanan. Sa traduction de la Médée d'Euripide fut connue de La Péruse et lui donna sans doute l'idée de sa tragédie. Car la Médée de La Péruse fut conçue non à Poitiers, où il alla étudier en droit en 1553, mais à Paris entre 1551 et 1553.

Lorsqu'il mourut, en 1554, il laissait cette œuvre inachevée. Jean Boiceau de la Borderie, son voisin de campagne en Angoumois, et Scévole de Sainte-Marthe l'éditèrent. Il est impossible d'ailleurs de discerner les retouches et corrections qu'y apporta ce dernier.

Cette tragédie de Médée fut la première tragédie française imitée directement de Sénèque. Avec elle commence la domination du tragique latin dans l'école de la Pléiade. Pourquoi nos premiers tragiques ont-ils imité Sénèque, au lieu de prendre pour modèles les tragédies grecques? Cette préférence s'explique par la grande faveur dont jouissait alors Sénèque dans les cercles lettrés en Italie et en France. Il était plus accessible que les tragiques grecs, même traduits en latin. Au reste, nos poètes n'ignoraient pas que les véritables archétypes de la tra

gantua, plus de réminiscences des romans de chevalerie. » Elles deviennent rares, mais on en trouve encore. Ainsi, il y a au chapitre xxvii une mention de Maugis des Quatre fils Aymon. — P. 281, note, lire Heulhard.

gédie étaient les tragiques grecs. C'est à Euripide et aux Grecs qu'ils se plaisaient à se comparer, non à Sénèque.

La Péruse n'a pas suivi servilement son modèle. Il s'est servi largement de la Médée de Sénèque, lui empruntant environ les deux tiers de sa pièce. Mais il a apporté quelques modifications à l'agencement du drame et ne s'est pas borné à traduire. Sa Médée fut représentée au moins une fois, à Parthenay, en 1572, par les soins d'un notaire ami des lettres.

Le poème tragique de La Péruse fut publié avec diverses autres poésies, odes, étrennes, mignardises, etc. M. Banachevitch établit fort judicieusement la part des emprunts ou réminiscences et celle de la sincérité dans ces œuvres lyriques. Elles promettaient un poète qui, tout en restant au-dessous de ses maîtres, Ronsard et du Bellay, aurait pu s'affranchir de l'imitation servile et peut-être trouver sa voie originale. Jean PLATTARD.

Pierre DE NOLHAC, de l'Académie française. Un poète rhénan ami de la Pléiade: Paul Melissus (Bibliothèque littéraire de la Renaissance). Paris, É. Champion, 1923. I vol. in-8°, 100 pages.

« Il n'est pas de figure germanique plus attachante et plus voisine de nous », dit M. de Nolhac, que celle de ce poète musicien qui fut lié avec nombre de poètes de la Pléiade et dédia le recueil de ses vers latins « ad Academiam Parisiensem », à l'Université de Paris. Il est beaucoup question de lui et de ses amis dans ses livres : à un esprit familiarisé, comme l'est M. de Nolhac, avec l'histoire des lettres et de l'humanisme au xvIe siècle, ils racontent sa vie, abondamment.

Il était né en Franconie: on peut le déclarer rhénan, parce qu'il a vécu dans la vallée du Rhin et qu'il y a eu ses meilleures amitiés. Il s'appelait Paul Schède (le surnom latin de Melissus, qu'il a adopté, rappelait le nom de sa mère); jouant sur son nom, il donnait à ses compositions en vers latins le titre de Schediasmata (en grec, improvisations). Il voyagea beaucoup, en Autriche, en Italie, en France, en Angleterre.

C'est sur les bords du Neckar et du Rhin qu'il entendit parler de Ronsard, par Louis des Mazures et quelques autres calvinistes français réfugiés là pour cause de réligion. En 1567, il

vint à Paris, fut présenté à Denys Lambin et Pierre Ramus, suivit les cours du Collège royal, en particulier ceux de Dorat, et connut Ronsard. Il lui dédia une ode, qui respire un grand enthousiasme pour la personne et pour l'art du Vendômois. Par-dessus tout, il admire cette union de la poésie et de la musique que Ronsard et ses amis avaient tenté de réaliser. Il fréquente les musiciens qui travaillent avec nos poètes, Goudimel, Roland de Lassus. Il se plaît à faire chanter ses propres vers. Bientôt, à l'imitation de Marot, il composera en vers métriques allemands une traduction des Psaumes.

De Paris, il se rendit à Genève, où il rencontra Joseph Scaliger, puis à Rome. Il y passa trois années, de 1577 à 1580, en relations suivies avec les Français groupés autour de l'ambassadeur Chastaigner de La Roche-Posay, parmi lesquels MarcAntoine de Muret. A son retour, il s'arrêta à Nuremberg et revint à Paris en 1584. Il y retrouva ses amitiés de 1567, en fit de nouvelles, fut reçu chez Jacques-Auguste de Thou, Ogier Ghislain de Busbecq, Camille de Morel, J.-A. de Baïf, Desportes. En 1585, il faisait paraître à Paris ses Schediasmata, « énorme recueil d'environ 1100 pages de fin caractère italique ». L'année suivante il donnait une ode latine dans le Tombeau de Ronsard, s'associant comme un Français au deuil des Muses françaises. Ce fut le dernier de ses poèmes parisiens. Il rentra à Heidelberg, où il fut nommé bibliothécaire de la Palatine, la plus illustre bibliothèque de l'Europe. Il mourut en 1602.

Son souvenir, depuis longtemps effacé, méritait d'être ranimé. Il a fourni à M. de Nolhac l'occasion de nous donner ce qu'il appelle modestement de menues trouvailles, en réalité une moisson de détails intéressants sur le monde littéraire dans lequel vécurent nos poètes de la Pléiade et même sur leur vie. Jean PLATTARD.

Henri JACOUBET. Les trois Centuries de maistre Jehan de Boyssoné, docteur régent à Tholoze, édition critique publiée avec une introduction historique et littéraire (Bibliothèque méridionale, publiée sous les auspices de la Faculté des lettres de Toulouse, 2e série, t. XX). Toulouse, Ed. Privat; Paris, A. Picard, 1923.

La bibliothèque de Toulouse possède parmi ses manuscrits le recueil des Dizains de Boyssoné, cet ami de Rabelais que

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