Une fois ce plan bien ou mal conçu, je crus ne pouvoir mieux faire louer sa clémence que par La Trimouille qui l'avait éprouvée; sa législation, que par son garde des sceaux Poncher; sa valeur, que par Bayard; et j'osai conduire son peuple jusques à son lit de mort, pour donner une image forte et touchante de l'amour si tendre et si vrai que ce peuple portait à son roi. Quant aux fautes de mon héros, je voulus, pour les affaiblir, en mettre l'aveu dans sa propre bouche; je voulus qu'il s'en accusât lui-même, afin qu'on les excusât davantage; et je pensai que le moyen de rendre ses erreurs pardonnables, était qu'il ne voulût pas se les pardonner. Je me suis trompé sans doute; j'ai mal loué Louis XII : mais enfin j'ai parlé de lui, et son nom seul doit rendre mon ouvrage intéressant pour tout lecteur sensible et français. ÉLOGE DE LOUIS DOUZE, PÈRE DU PEUPLE. LOUIS XII, après dix-sept ans de règue, au moment où son hymen avec Marie d'Angleterre lui donnait un allié puissant, et déconcertait les mesures de ses ennemis, LOUIS XII fut atteint de la maladie dont il mourut. Il n'avait que cinquante-trois ans ; mais ses campagnes, et surtout le chagrin, l'avaient plus vieilli que son âge. Né avec un cœur tendre, que le malheur n'avait pas endurci, veuf d'Anne de Bretagne qu'il avait adorée, il s'enflamma trop aisément pour une épouse jeune et belle. Cet amour lui coûta la vie, et à la France sa félicité. Les prières, les larmes de tout un peuple, ne purent sauver Louis. Il sentit approcher sa dernière heure, et voulut encore qu'elle fût utile. Il fit appeler le jeune François, son gendre et son successeur; et ne retenant avec lui que le brave La Trimouille, le garde des sceaux Poncher, et Bayard le chevalier sans reproche, Louis XII dit ces paroles à l'héritier de son trône : Mon fils, vous allez régner à ma place : je n'ai qu'un désir et qu'un espoir, c'est que vous régniez mieux que moi. La flatterie, qui . poursuit les rois jusque dans le tombeau, pourrait vous déguiser mes fautes; je veux moimême vous les révéler et si l'aveu que j'en vais faire, si les piéges où je suis tombé, les imprudences que j'ai commises, les maux que je me suis attirés, peuvent vous en éviter de semblables, je ne me plaindrai point d'avoir souffert pour vous instruire, et d'avoir acheté de mon infortune le bonheur dont vous ferez jouir les Français.... Les Français! je sens qu'à ce nom je retrouve un peu de force, et que le plaisir de parler d'un peuple que j'ai tant aimé, va soutenir ma voix défaillante. A ces mots, le jeune Valois, Poncher, La Trimouille, Bayard, laissent éclater leurs sanglots. Séchez vos pleurs, leur dit le monarque; les momens sont chers, ne les perdons pas. Je vais mourir, mais mon peuple reste; c'est de lui et non pas de moi qu'il faut s'occuper. J'étais moins jeune que vous ne l'êtes, mon fils, quand Charles VIII me laissa le trône; j'avais déjà trente-six ans. Cet âge devait être celui de la prudence :`mais j'avais mal employé ma jeunesse, et qui ne réfléchit pas de bonne heure vieillit presque toujours sans fruit. Privé de mon père dès le berceau, mis sous la tutelle d'une mère que j'aimais tendrement, mais que je craignais peu, je ne répondis pas aux soins qu'elle prit de mon éducation. Je n'eus de goût, je ne montrai d'ardeur que pour les exercices du corps: je méprisai les lettres, qui m'ont depuis consolé. Je crus que le premier mérite d'un prince du sang français était d'être un bon chevalier; et j'oubliai que le premier devoir d'un homme né pour commander à d'autres hommes, c'est d'être plus instruit que ceux qu'il doit conduire. Voilà, mon fils, voilà la source des erreurs de ma jeunesse, et peut-être des fautes de ma vie. Mon éloignement pour l'étude rendit mes passions plus fougueuses; je m'y livrai avec transport. Je n'avais point d'amis ; j'étais prince: mes flatteurs achevèrent de m'égarer. Je me déclarai hautement contre madame de Beaujeu, la fille et la sœur de mes maîtres, qui Louis XI avait donné la régence, et qui la méritait par ses qualités. En vain le prudent Louis XI m'avait fait jurer solennellement de troubler ses dernières dispositions pour ne pas la minorité de son fils; je fus parjure à Louis XI; je tentai de soulever Paris; j'excitai Maximilien à rompre la paix; je pris moimême les armes contre mon roi; et tandis que je ne pouvais gouverner mon imprudente jeunesse, j'allumai la guerre civile, en prétendant gouverner la France. J'en fus puni. Pris à la bataille de SaintAubin par ce même La Trimouille que vous voyez ici présent, et qui depuis m'a si bien servi, j'expiai par une longue et dure captivité le crime de m'être armé contre mon souverain. Je n'obtins ma liberté que pour faire un plus grand sacrifice. J'adorais Anne de Bretagne, j'en étais aimé : il fallut consentir, il fallut contribuer moi-même à son hymen avec Charles VIII. Ainsi (et puissent tous les princes de la terre avoir sans cesse mon exemple devant les yeux!) pour avoir été rebelle, pour avoir oublié mon devoir, je fus vaincu, captif, et forcé de livrer ma maîtresse à mon rival. La mort de Charles VIII me laissa le trône; et cette époque...... est celle de votre gloire, interrompit La Trimouille avec transport. Après n'avoir été qu'un prince ordinaire, vous fûtes le meilleur des rois. Le ciel, qui vous donna les mêmes vertus qu'à Titus, prit |