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une suite très-importante de dessins des maîtres français. Les peintres provinciaux y occupent une grande place. Là est son originalité et son mérite. La France a, vis-à-vis de ces délaissés, un long arriéré d'ingratitudes à liquider. Il ne faut pas que leurs œuvres n'aient d'autre asile les cartons de quelques amateurs plus éclairés, qui les admirent en que cachette. C'est aux villes qui les ont vus naître, à leur donner droit de cité dans leur musée. Si les villes ne veulent pas accomplir elles-mêmes ce devoir de justice, il se trouvera, espérons-le, dans chacune, un homme de goût tel que Xavier Atger, qui formera à ses frais, et à peu de frais en cette collection de dessins français, et qui la leur donnera, dût-il, comme Atger, la loger à l'École de médecine.

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DE L'ÉCOLE HOLLANDAISE

« L'art, a dit le grand chancelier Bacon, c'est l'homme ajouté à la nature, ars est homo additus naturæ. Il est impossible de mieux définir l'art panthéiste de la Hollande. Tous les peintres, dans cette patrie de Spinosa, semblent s'être bornés à voir la nature, à l'aimer, à la comprendre et à la traduire, chacun avec son sentiment et son goût, en s'y ajoutant. Ceux mêmes d'entre eux qui ont étendu jusqu'à l'Italie le cercle de leurs études, Both, Berghem, Pynacker, Karel-Dujardin, n'ont fait, au retour, que mêler et fondre le souvenir des contrées méridionales avec les vues réelles qu'ils retrouvaient sous leurs yeux. Mais cette espèce de règle commune est plus frappante encore chez les peintres hollandais qui n'ont point cherché hors de leur pays des inspirations et des modèles. Pour en trouver une preuve manifeste et palpable, il suffit de traverser, par divers temps et à diverses heures quelques fêtes de la Hollande.

Rencontrez-vous, par une journée sombre, un paysage austère où la nature du Nord étale ses duretés et ses tristesses, avec un ravin, une cascade, un vieil arbre abattu, sans troupeaux, sans bergers, montrant à peine, au lointain, quelque chétive cabane, isolée, solitaire, où l'on aurait regret à vivre? Vous dites aussitôt ; « Ah! voici l'amant de la mélancolie, Jacques Ruysdaël. » Vous trouvez-vous, peu après l'aurore, sur les bords d'un fleuve ou d'un canal où glisse une voile blanche; au delà, s'élèvent l'église et les maisons d'une petite ville; en deçà, de grosses vaches paresseuses ruminent dans l'herbe grasse des prairies, tandis qu'à travers des lambeaux de nuages déchirés, les rayons du splendide soleil matinal inondent tous les objets de leurs feux ? Vous vous écriez: «Voici le créateur de la lumière, Albert Cuyp. » Un peu plus tard, pendant le repos de midi, vous apercevrez un verger paisible et verdoyant où chaque arbre étend son ombre sur la pelouse, où, sous chaque ombre repose une vache, un cheval, un âne, une chèvre, un mouton, dans leurs attitudes

4. A cette heureuse définition, je voudrais faire un léger amendement et dire « L'art c'est l'homme s'ajoutant à la nature. »>>

les plus naïves et les plus naturelles; et vous dites à cette vue : « Voici La Fontaine devenu peintre, voici l'inimitable portraitiste des bêtes, Paul Potter. » Plus tard encore, dans la soirée, vous traversez une contrée riante, où paît à l'abandon un gras bétail, dont les pasteurs, embouchant leurs pipeaux sub tegmine fagi, semblent chanter leurs rustiques Amaryllis; vous avez enfin sous les yeux une idylle, comme l'écrirait un Théocrite ou un Virgile néerlandais; et vous dites à l'instant : « Voici le peintre de la nature aimable et sereine, Adrien Van de Velde. » Plus tard encore, la lune vient à s'élever au-dessus d'un trône de nuages, mirant son disque argenté sur la face immobile d'un étang sinueux, qu'entourent quelques chaumières cachées dans l'ombre des aunes et des peupliers; et vous dites: « Voici le peintre et le poëte des nuits, Arendt Van der Neer. » Une plage d'où s'étend à perte de vue, soit une nappe d'eau calme et transparente sur laquelle se balancent gaiement au soleil des embarcations pavoisées, soit le flot noirâtre de la mer du Nord tourmentant quelque navire en détresse : c'est Guillaume Van de Velde. Un fleuve qui se perd à l'horizon, réfléchissant la couleur monotone d'un ciel gris, terne et brumeux : c'est Van Goyen. Une forêt aux futaies gigantesques, aux percées profondes et lointaines, c'est Waterloo.

J'ai cité seulement ce que voit à chaque pas le voyageur, la terre, l'eau et le ciel; j'ai cité seulement le paysage et la marine. Mais la vérité n'est pas moins frappante, n'est pas moins vraie, quand il s'agit des habitants de la contrée, et, par l'artiste hollandais, l'homme est aussi bien rendu que les animaux et les plantes. Sans doute, grâce aux caprices de la mode qui emporte et renouvelle chaque année nos enveloppes visibles, ne laissant d'identité complète qu'aux bêtes et aux choses, sans doute je ne puis plus trouver précisément dans les rues d'Amsterdam la Ronde de Rembrandt, ou, dans l'hôtel de ville, le Banquet de Van der Helst, ou les longues robes de satin de Terburg, ou les gentilshommes empanachés de Wouwermans, ou les paysans avinés d'Ostade. Mais cependant, si, traversant une cité, je vois une jeune fille se pencher d'un air curieux sur la vieille balustrade d'une fenêtre entourée de lierre et de houblon, je reconnais Gérard Dow. Dans ce paisible intérieur de maison gothique, où file une bonne vieille, et qu'illumine à midi l'un de ces chauds rayons de soleil que le peintre a vus peut-être à Java, je retrouve Pierre de Hooghe. Ce canal bordé d'arbres, dans une ville propre et comme toujours endimanchée, où je compte chaque pavé de la rue, chaque tuile des toits, chaque brique des murailles, c'est Van der Heyden; et le Marché aux herbes d'Amsterdam témoigne encore de la fidélité de Metsu.

Nous arrivons donc, cela saute aux yeux, dans l'empire du naturalisme, après avoir laissé celui du spiritualisme en Italie. Nous entrons dans l'art protestant, dans l'art bourgeois, populaire, après avoir laissé l'art des grands temples et des grands palais. Les artistes du Nord, comme on l'a dit sans malignité, ressemblent aux amants rebutés de Pénélope ne pouvant posséder la maîtresse, ils se contentent des suivantes. Mais est-ce à dire que nous ne devions trouver ici qu'un réalisme brutal, matériel et grossier, qui fait flèche de tout bois et ventre de toute paille, qui, ne prenant que la surface et l'enveloppe des choses, ne s'adresse qu'aux yeux, et ne sait jamais pénétrer jusqu'au sentiment intérieur, jusqu'à l'âme? Là serait une complète erreur, une grave injustice. De même qu'en Italie, les plus substils, les plus mystiques des spiritualistes ont su revêtir leurs idées d'un corps apparent, c'est-à-dire les exprimer par des formes claires, exactes, précises, et les embellir par tout le charme du pittoresque; de même, en Hollande, les réalistes décidés, les simples imitateurs du simple vrai, ont su glisser dans les humbles sujets de leurs compositions tant de goût, de sentiment et de poésie, qu'ils les relèvent aux yeux de l'esprit jusqu'à les porter au niveau des grandes pages de l'art. « Il faut, écrivait Paul Delaroche, qu'un artiste oblige la nature à passer à travers son intelligence et son cœur. » C'est ce qu'ont fait les Hollandais. D'ailleurs, la simple perfection du travail suffit bien à émouvoir l'âme, ne serait-ce que par l'admiration. Il y a tel arbre mort de Ruysdaël qui touche le cœur, telle vache de Paul Potter qui parle éloquemment, telle cuisine de Kalf qui renferme un poëme. Lorsque Pascal dit cette parole: « Quelle vanitê que la peinture, qui attire l'admiration par la ressemblance des choses dont on n'admire pas les originaux ! » Il est peut-être philosophe, et surtout chrétien; il n'est pas artiste. En un mot, les peintres hollandais se sont mis aussi bien tout entiers dans leurs petits cadres que les peintres italiens dans leurs toiles gigantesques, et ils ne méritent pas moins que, devant leurs œuvres, on dise avec Bacon : Ars est homo additus naturæ.

Comment s'est formé, un peu tard, cet art réaliste et panthéiste des Hollandais? Ici, je vais laisser répondre un écrivain qui pense ce que je pense, et ce qu'ailleurs déjà j'ai essayé de dire, mais qui le dira mieux que moi. Il y aura d'ailleurs, à lui transmettre la parole, l'avantage et la force de toute citation bien placée, qui renferme toujours deux opinions et comme deux témoignages, celui de l'écrivain cité s'ajoutant à celui de l'écrivain qui l'invoque.

« La même révolution religieuse qui a créé une Hollande politique, dit M. Edgar Quinet (Religion, politique et art des Gueux, dans Marnix

de Sainte-Aldegonde), a créé l'art hollandais.......... Depuis la Réforme, les scènes de la Bible n'apparaissent plus à travers les traditions accumulées de l'Église... Plus de pompes, plus de fêtes; à peine un reste de culte; le christianisme interprété, non par les Docteurs ou les Pères, mais par le peuple..., d'où la simplicité des Écritures poussée jusqu'à la trivialité... Là est la révolution du xvi° siècle, là est aussi la peinture hollandaise. Comment les biographes de Rembrandt et ses interprètes ont-ils oublié jusqu'ici son caractère de réformé '?... Sa Bible est la Bible iconoclaste de Marnix; ses apôtres sont des mendiants; son Christ est le Christ des Gueux 2. »

« Quant à la magie du coloris sous un ciel de plomb, une pareille contradiction entre la nature et l'art est unique dans le monde. Pourquoi la pâleur ascétique de Lucas de Leyde, et tout à coup l'éclat fulgurant de Rembrandt? Ces contradictions ne peuvent s'expliquer aussi que par le principe même de la vie nationale. La Hollande a une double existence, à la fois européenne et orientale; elle vit surtout par les Indes, par ses colonies égarées à l'extrémité de l'Asie... Les colonies conquises dans un autre hémisphère, ce fut là le foyer éloigné et comme le verre ardent, où s'alluma l'art hollandais... Un coin du ciel des Maldives se reflète dans un taudis des Flandres... Java éblouit Amsterdam... De là l'effet fantastique et réellement magique de cette lumière composée qu'aucun œil n'a vue et que la nature n'a pas produite. Ce coloris flamboyant paraît sans cause, parce que la cause en est éloignée... Les peintres bataves n'ont pas vu eux-mêmes la terre de la lumière; mais ils voient chaque jour les vaisseaux, les matelots, les indigènes qui en arrivent, ils touchent les productions, les draperies, les costumes qu'on en rapporte, et qui tous gardent un rayon d'un ciel étranger. La pauvre, froide, triste nature du nord est amoureuse de ce soleil entrevu... Je voudrais définir la peinture

4. J'en demande bien pardon à M. Edgar Quinet et à M. Louis Viardot, mais ce caractère de l'œuvre de Rembrandt a été de notre temps plusieurs fois observé et mis en relief. (Note du rédacteur en chef.)

2. A l'explication que donne M. Quinet du peintre d'histoire de la Hollande, je n'ajouterai qu'un mot pour expliquer à son tour le paysagiste hollandais. Par son renoncement exagéré des choses de cette vie mondaine et sa tendance exclusive vers la vie céleste, le catholicisme avait nécessairement éloigné l'homme de la terre et de la nature. Le protestantisme d'abord, après la Renaissance et le retour au goût de l'antiquité, puis surtout les idées panthéistiques, l'ont ramené à l'amour de l'alma parens, de la Mère universelle.

3. Outre les raisons qui vont suivre, M. Éd. Quinet aurait dû remarquer aussi qu'entre Lucas de Leyde et Rembrandt, était venu Rubens avec l'école d'Anvers, et que la Meuse confine à l'Escaut.

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