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expose plus tard la destinée. Le roi Don Fernando parle sept langues : il est excellent musicien, comme tous ses compatriotes; il a même une voix agréable de ténor qui lui permet de faire sa partie, quand l'occasion s'en présente et que le hasard de leur vagabonde existence amène les grandes cantatrices à Lisbonne. Il est aussi sculpteur : nous connaissons de lui une statue équestre du maréchal de Rantzau, où se rencontrent des qualités estimables; enfin, il a peint les panneaux de la chambre à coucher de la reine. On le voit, c'est toute une éducation allemande et des plus soignées. Aussi le roi est-il un phénomène dans le Portugal. Non pas que cette race lusitanienne, si fine et si intelligente, soit abâtardie par l'ignorance, mais elle a perdu le sentiment des arts pour s'être abandonnée aux voluptés faciles, et c'est là sa punition. Seul, le roi aime, non pour leur prix, mais pour le plaisir qu'elles apportent à leur possesseur, ces curiosités de l'art qui sont la joie et le repos de l'esprit. Son cabinet est un des plus beaux du monde. Il y a amassé tout ce qui avait échappé aux rapines des marchands anglais, à l'avidité des brocanteurs, à l'ignorance des propriétaires, aux dédains de tous. Son appartement est le seul musée du royaume. Tout ce qu'il peut enlever à des besoins nombreux, il le consacre à augmenter ses collections. Il n'est pas riche et devrait l'être, tant il sait faire bien avec peu. C'est le protecteur nécessaire des rares artistes indigènes ou des artistes étrangers qui passent. Ses occupations sont purement artistiques. Il a entrepris, dans la Sierra de Cintra, la reconstruction du château moresque de la Peña, et il en fait une merveille. Le roi, son fils, ne pourrait trouver un meilleur intendant des beaux-arts, si personne songeait aux arts en Portugal!

On nous croira sans peine quand nous dirons qu'il est impossible de voir Don Fernando, sans ressentir pour sa personne une vive sympathie. Il est grand, d'une maigreur distinguée; il a des cheveux noirs, et il porte toute sa barbe. Ses yeux sont expressifs et doux, sa tournure est indolente, son parler traînant et monotone. Avec tout cela, un air de bonhomie allemande, et cette rondeur d'allures qui dénote, quand elle est naturelle, la franchise, la spontanéité et la générosité des sentiments.

Mais laissons de côté la personne du roi, pour nous occuper de ses œuvres, car c'est comme graveur que le roi Don Fernando nous appartient.

Les fac-simile que nous publions nous mettront à l'aise vis-à-vis du lecteur, car c'est en même temps qu'un spécimen, le résumé du talent de l'artiste, et, si je puis ainsi parler, la moyenne de son esprit.

Vous avez reconnu tout d'abord le sujet de la planche ici gravée. C'est le chat Murr écrivant ses Mémoires, ou plutôt, comme il l'a dit luimême, son Essai de Biographie (tout n'est-il pas à l'état d'essai dans la

rêveuse et nuageuse Allemagne?), et le personnage en habit de philosophe, qui le considère avec admiration, est sans doute le jaloux professeur Lothario. Murr, à la suite de ses promenades nocturnes sur les gouttières de l'Académie royale de Berlin, s'est éveillé, je veux dire endormi, chat de lettres, et le voilà qui griffonne ses élucubrations philosophiques dans le grenier de maître Abraham.

༥ C'était réellement un fort beau chat, fourré de noir et de gris parfai<< tement harmoniés, et pourvu d'une queue magnifique. Les lignes de son << front semblaient tracer des caractères cabalistiques, et sa robe, d'un poil <«<luisant et fin, brillait comme un tissu cuivré aux rayons du soleil. » La portraiture est exacte. L'appartement ou plutôt le taudis est bien celui d'un philosophe. Mais cet intérieur n'est pas éclairé. On aurait voulu voir entrer en même temps que le délateur, un de ces beaux rayons de soleil qui se brisent en éclairs dans l'œil irisé des chats. Mais le roi D. Fernando n'a pas en lui le sentiment de la lumière, et il ne l'a pas acquis même en vivant sous un des plus beaux ciels du monde. Il y a dans son cerveau une lutte entre le ciel brumeux de son pays natal et le soleil éclatant de son pays d'adoption. La brume l'emporte sur la lumière; il fait nuit dans son œuvre. Si quelque dessin échappe à la règle commune, c'est par miracle. Mais la critique n'est pas faite pour les artistes couronnés, et c'est dommage quand ils ont, comme Don Fernando, des qualités charmantes d'esprit et d'invention.

Le roi a fait à son dessin un encadrement dont le grand mérite est l'unité dans la fantaisie. Un sabbat de chats enguirlande de ses rondes fantastiques le sujet principal du Mein herr Murr. Au sommet, l'illustre angora triomphe dans une gloire constellée. Il est déjà passé à l'état de chat légendaire. Les griffes de l'envie ont épargné sa robe de philosophe, et ses amis déchirent ses rivaux. La jolie petite chatte Miesmies est sans doute dans l'assemblée miaulante. Elle y est venue escortée de ses deux farouches cousins; mais je ne vois pas Ponto, ce Philinte de la race canine, qui, dans l'île de Guernesey, a passé de la chaîne du baron de Wipp à la familiarité du grand poëte moderne, de Victor Hugo. Mauvais camarade, ce Ponto! ami des franches lippées et des libres victuailles, mais peu fidèle à l'infortune, et cachant sous un grand air d'amour de l'indépendance, l'ingratitude, cette indépendance de l'amour. Le drôle n'en a pas moins été le compagnon de Victor Hugo, qui lui a dédié ces jolis vers :

Je dis à mon chien noir: Viens, Ponto, viens-nous-en,
..... Le chien, c'est la vertu,

Qui, ne pouvant se faire homme, s'est faite bête,

Et Ponto me regarde avec son œil honnête.

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Je suis fâché que Victor Hugo se soit laissé prendre aux hypocrites déclarations de ce Ponto: le chat Murr le connaissait mieux! (Voir les Contes nocturnes.)

Vous remarquerez, s'il vous plaît, dans le dessin du roi l'exacte mimique de ces matous. Le roi aime évidemment les animaux; il en a copié beaucoup d'après les maîtres, il en a dessiné plus encore d'après nature. Il excelle à composer avec des enguirlandements de bêtes imaginaires ou réelles, ces jolis cadres dans le goût de Neureuther, qui fut l'Hoffmann de la peinture. Schnor, dans la salle des Niebelungen, et Cornelius, à la Pinacothèque, n'ont pas dédaigné ce genre d'illustration qui convient merveilleusement à l'esprit capricieux de ces fumeurs et de ces buveurs de bière. Le prince a suivi l'exemple des maîtres de son pays : il se complaît à ces bordures pleines de caprices. Là revivent tous les rêves fantastiques d'un cerveau qui dort éveillé. Sous le magique crayon s'agitent, jouent, boivent, mangent, font l'amour et s'escriment les homuncules, gnomes et lutins dont la terre d'Allemagne est peuplée. Ils courent le long des compositions les plus sérieuses, font des cornes aux portraits, gambadent avec des pieds de singe, s'étirent en vrilles de fleurs ou s'accrochent par la queue à des grappes humaines, à des fourmilières de choses innomées.

Ces petits êtres animés d'une vie fiévreuse, pleins de passions désordonnées veulent une imagination déliée et une main habile pour les faire mouvoir. Ils tournent facilement à l'absurde; s'ils ne sont charmants, ils sont grotesques. Eh bien! tous ceux du roi sont charmants, parce qu'ils se tiennent dans la limite parfaite du rêve et de la réalité, parce que leur mimique est exacte, parce que leurs passions sont humaines. Quelquefois, un simple trait, dessiné sur la bordure d'une grande composition, indique combien le royal artiste a peine à retenir son humeur sur le penchant du fantastique. Une hachure de plus, c'en était fait. La folle du logis courait la pretantaine.

La petite cavalcade qui sert de frontispice au présent article, indiquera, mieux que toutes les phrases possibles, la tendance habituelle de l'esprit du roi, et la grande facilité de cette verve humoristique plutôt que comique. Si le dessin n'échappait pas pour ainsi dire à la plume vagabonde du dessinateur, une telle verve pourrait facilement tourner à la satire. Les compositions du roi pourraient être redoutées: elles ne sont que recherchées. Jamais la caricature n'aurait eu plus beau jeu que dans les mains d'un artiste pris en dehors des conditions ordinaires. Dans une cour où les prétentions sont si multiples, où les vanités sont si grandes, où les haines sont d'autant plus vivaces qu'elles sont exposées à des

frottements plus rudes, à des rencontres plus fréquentes, la raillerie de don Fernando pourrait prendre ses coudées franches. Mais le prince est bon avant tout; sa douce nature le met au-dessus des malices de la caricature, et la satire n'approche pas de lui. Le côté plaisant des misères humaines et la misère des joies de l'humanité lui échappent. Il divertit, il ne fait pas songer; il amuse, et surtout il s'amuse lui-même. Jamais d'accident bien grave dans ses petites scènes. Tout le monde y vit heureux les rois y épousent des bergères.

Il n'y a qu'un homme que le roi ne ménage pas: c'est lui-même. Il s'est représenté, et c'est peut-être la seule caricature de l'œuvre, en costume d'Arménien, chantant un morceau avec l'Alboni, dans un Concert à la Cour. La rare maigreur du ténor contraste avec l'opulente nature de la prima donna. Le vieux maître de chapelle du roi tient le piano. Dans le fond, sont deux personnages du ministère d'alors; tous deux en extase et débordant de l'admiration qui convient en pareil cas à des courtisans. L'un, en robe de magistrat, nimbe au front, illuminé de l'Esprit saint, est feu Rodrigo Fonseca Magalhaes, un des rares hommes d'État que le Portugal ait eus, depuis le grand Marquis, le marquis de Pombal; l'autre, joli garçon transformé en Cupidon et qui, la bouche en cœur, des ailes au dos, semble voler au-devant des notes harmonieuses, est le ministre des finances de l'époque, le senhor don F***. Sur la bordure, le roi, toujours en costume d'Arménien, couronne l'Alboni, qui s'incline. Cette caricature a fait du bruit en Portugal: elle pourrait bien avoir dégoûté l'artiste d'en composer de pareilles. J'en sais une, cependant... mais ce sont affaires d'État qui ne sont pas de notre compétence.

Les scènes de genre touchent de trop près à la caricature pour que nous ne les mentionnions pas de suite. Il y a plusieurs représentations de posadas portugaises, les plus horribles auberges qui se puissent voir. Des muletiers s'accoudent dans leurs capes, ou font manger leurs chevaux; des âniers conduisent leurs bêtes à l'abreuvoir. Un pauvre saltimbanque, traînant son ours et tenant un singe dans ses bras, pousse devant lui son âne qui porte le bagage, plus deux chiens. Par une porte massive, on entrevoit la campagne. Cette planche est faite d'après un dessin d'Orchevilliers.

L'avertisseur vient de passer dans les rues en agitant sa sonnette. C'est l'heure d'aller jeter, dans le chariot aux ordures qui passe, toutes les immondices de la vie domestique. Les ménagères se hâtent avec lenteur, comme il convient à de véritables Portugaises. Un homme lance par la fenêtre son chat dans le tombereau. Une mulâtresse, souvenir déjà lointain du Brésil, renverse sa corbeille et reçoit les éclaboussures d'un

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