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couleur et de fougue; devant la scène tirée de Goethe de Berlichingen, que nous n'avons vu figurer à aucune Exposition, et qui a cette profonde vie du moyen âge si bien rendue par Goethe.

Parmi tous les chefs-d'œuvre qu'a signés Delacroix, il n'en est guère que nous préférions au Christ endormi pendant la tempête. La toile n'est pas grande, mais elle exprime toute l'immensité de la mer et tout l'effroi de l'ouragan. La frêle barque, désemparée, soulevée par le dos énorme d'une vague, semble prête à couler bas; la voile claque au vent, les cordages se brisent, les matelots éperdus se cramponnent au bordage, et le Christ tranquille dort sur son auréole. Ceux qui sont avec le Christ ne sauraient périr. Le Démosthène déclamant sur le bord de la mer est une des plus admirables marines que nous sachions. Ce serait, dit-on, une étude d'après nature, où le peintre aurait ajusté après coup une figure antique pour en faire un tableau! La mer ondoie, se brise, écume, retentit et fait de son mieux pour couvrir la voix de l'orateur.

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Nous n'avons pas besoin d'apprécier longuement les variantes de la Prise de Constantinople, du Massacre de la ville de Liége, et ces études de lions, de tigres et d'animaux féroces qui le disputent aux bronzes de Barye pour le caractère, la vie et le mouvement.

Jamais exposition n'a montré Meissonier sous un jour plus favorable; il est là avec toutes les nuances de son talent et des renouvellements de manière tout à fait curieux. Son petit monde s'est peuple de figures inédites qui seront les bienvenues. Le seigneur Polichinelle fait son entrée dans ce cercle de personnages studieux et tranquilles, amateurs de dessin, peintres à l'ouvrage, fumeurs de pipes hollandaises, buveurs de bière, violoncellistes et contre-bassistes, en frappant le plancher du talon de son sabot et en poussant le brrr sacramentel modifié par la pratique. Comme l'artiste a bien saisi le masque goguenard, luxurieux, fleuri d'ivrognerie, bourgeonné de vice; du sceptique bossu qui se moque de Dieu, du diable et du commissaire, ce qui est plus grave; du Don Juan difforme, amoureux de toutes les femmes, excepté de la sienne; du bâtonniste gouailleur entassant ses victimes, avec le plus beau sang-froid, sur le rebord encombré de la baraque où le chat les contemple d'un air indifférent et philosophique! Comme il a confondu habilement l'homme et la marionnette, la roideur du bois agité par des fils nervis alienis mobile lignum et la souplesse de l'être vivant remué par des muscles. M. Polichinelle est, du reste, richement vêtu; il a une bosse de satin jaune, des manches de satin blanc brodées d'or, une culotte de peluche cerise, des bas à coins, un chapeau à la Henri IV et des sabots rouges mignons, bien retroussés du bout. Aussi, il faut voir comme il a l'air superbe et arro

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gant, le vieux drôle; on dirait qu'il comprend l'honneur que Meissonier lui a fait de le peindre.

A l'ombre des bosquets chante un jeune poëte.

Ce vers du regrettable Ch. Reybaud, l'auteur d'un Voyage à Athènes et d'un beau volume de poésies, prématurément enlevé aux lettres et à ses amis, sert d'épigraphe à une sorte de Décaméron composé d'une dizaine de personnages, et qui offre cette particularité, unique dans l'œuvre de Meissonier, de renfermer des figures de femmes. On sait que la plus belle moitié du genre humain est exclue des tableaux de notre artiste, et certes on ne peut, en face de ce gracieux petit cadre, attribuer cette absence à une incapacité, car les quatre ou cinq dames, debout, assises ou demi-couchées qui, dans des poses de rêverie nonchalante, écoutent les vers du poëte, ne manquent ni de beauté, ni de jeunesse, ni de grâce, ni d'élégance. Elles sont charmantes, habillées à ravir de gracieux costumes pris au vestiaire des comédies romanesques de Shakspeare. Au fond, sur un banc où flottent les ombres des feuilles, le jeune poëte récite son ode ou son églogue, en soutenant son débit de quelques accords de guitare. Ses amis et des galants accoudés dans l'herbe, aux pieds des beautés, prêtent une oreille distraite à ce chant, qu'ils connaissent sans doute, et reposent leurs regards avec complaisance sur leurs jeunes maîtresses; un groupe amoureux s'est détaché du cercle et s'enfonce dans la profondeur mystérieuse du bois. Sur le devant, des fruits diaprent de leurs couleurs veloûtées une table de marbre blanc. Des chiens de noble race semblent prendre leur part du bonheur général, et comprendre l'harmonie du tableau. On ne saurait rien imaginer de plus fin, de plus délicat et de plus gracieux que ce cadre.

Le Neveu de Rameau est encore une figure neuve dans la galerie de Meissonier. Ce n'est cependant, au premier coup d'œil, qu'un homme assis près d'une table, une pipe au bec. Mais regardez-le bien; celui-là n'appartient certes pas à la race flegmatique des fumeurs hollandais. C'est un.....

De ces buveurs de bierre

Qui jettent la bouteille après le premier verre,
Qui cassent une pipe après avoir fumé.

Comme il est campé fièrement dans l'insolence de son cynisme paradoxal, le lampion sur l'œil, dandinant la jambe, débraillé, sa chemise débordant sur sa culotte de droguet, avec un habit d'un rouge scandaleux

et des bas de même couleur, au fond de ce cabinet borgne tapissé d'images d'Épinal, vis-à-vis de cette chope de bière, aspirant à petits coups secs et fréquents la fumée du tabac, pendant que son esprit vagabonde à la poursuite de quelque chimère !

Quant à la Garde bourgeoise flamande; c'est un sujet analogue au célèbre tableau de Rembrandt appelé si improprement la Ronde de nuit. De braves bourgeois caparaçonnés de buffle, armés de hallebardes, s'avancent vers le spectateur avec une gaucherie débonnaire et bien digne de pareils soldats. - Quel exemple de l'infinie variété de l'art! Ce que Rembrandt noie dans des ombres fulgurantes pleines de rayons et d'éclairs, Meissonier l'isole, le détache, le précise, le détaille, et tous deux font un chef-d'œuvre.

Les Bravi sont une des compositions les plus importantes du maître.Il a mis tout un drame dans ces deux figures de bandits qui écoutent derrière une porte les pas de la victime, et s'apprêtent à la frapper. Le Hallebardier offre une curieuse combinaison de rouges, rouge pur, cinabre, laque, jonquille, se détachant sur un fond vert; avec quel aplomb se piète cette figure à la tête blonde crânement renversée. Et la Confidence, cette perle, cette merveille où l'amoureux candide confie le secret de son jeune amour à l'homme de quarante ans qui ne croit plus à l'amour, et se lèvera, prétextant quelque affaire, dès que le dernier rubis de la bouteille se sera égoutté dans son verré!

Maintenant, est-il besoin de décrire en détail ces thèmes favoris de Meissonier le Jeune homme écrivant, l'Amateur chez un peintre, l'Homme relisant son manuscrit, le Jeune homme copiant un dessin? Non; tout le monde sait que les plus soigneux maîtres de Hollande n'ont rien fait de plus gracieux, de plus vrai, de plus intime et de plus nettement touché.

THEOPHILE GAUTIER.

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