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plein d'élégance, dans notre célèbre ville de Tours, par l'habile sculpteur Jean Just; car notre ville abonde en artistes excellents de tout genre. Parmi les sculpteurs, Michel Colomb, notre compatriote, y a passé toute sa vie dans une grande célébrité; parmi les peintres Jean Fouquet, ses fils Louis et François. Jean Poyer fut leur contemporain, très-supérieur, certainement aux Fouquet eux-mêmes, dans la perspective et la peinture. A ces artistes ont succédé Jean d'Amboise, Bernard, Jean de Posé'. » Parmi tous ces artistes, celui qui passait pour le plus habile est justement le peintre qui a exécuté la majeure partie des peintures du Livre d'heures d'Anne de Bretagne.

Trois articles d'un compte des dépenses de la reine, daté de 1497, renferment des détails relatifs, bien certainement, à ce livre. Le 3 septembre, Jean Riveron, écrivain, demeurant à Tours, reçut quatorze livres tournois, pour avoir écrit des Petites Heures à l'usage de Rome, par ordre de la Reine, et pour en avoir fourni le vélin. Il ne faut pas que ces mots Petites Heures nous arrêtent : cela ne veut pas dire qu'elles étaient courtes ou de petit format, cela signifie seulement qu'elles étaient abrégées sur les grandes Heures de Rome, et à l'usage de la Reine.

Le second article est plus curieux encore que le premier. Le 29 août, Jean Poyer, enlumineur et historieur, demeurant à Tours, toucha la somme considérable de cent trente-trois livres tournois, pour avoir fait dans ce livre, vingt-trois histoires riches, deux cent soixante et onze vignetes, et quinze cents versés. Les mots histoires riches se rapportent aux grandes miniatures; il y en a quarante-neuf dans le livre, mais je l'ai dit, elles sont évidemment de plusieurs mains; d'autres peintres ont pu faire les vingt-trois autres. Quant aux deux cent soixante et onze vignettes, ce sont, je le crois, les plantes, les fleurs et les fruits. Le livre en contient certainement un plus grand nombre : il y en a trois cent trente-deux; mais Jean Poyer a pu ne continuer que plus tard cette partie de l'ornementation pour laquelle il aura reçu un autre paiement. Par ces mots quinze cents versés, il faut entendre les lettres ornées et les vignettes qui séparent chaque alinéa du texte, chaque verset des psaumes. Ces lettres, ces vignettes dépassent le nombre de trois mille; mais il est impossible de savoir comment le verset était compté à l'artiste par les agents de la Reine. Ceux-ci comprenaient sans doute dans un seul verset plusieurs grandes lettres et certaines vignettes très-petites, ce qui a pu donner un chiffre total de quinze cents.

1. Joannis Brechæi Turoni jureconsulti ad titulum Pandectarum de Verborum et Rerum significatione Commentarius, cum indice, etc. Lugduni, 1556. In-fol.

Jean Poyer doit être considéré comme le principal auteur du Livre d'heures d'Anne de Bretagne. C'est lui qui a conçu la disposition si riche et à la fois si élégante de toutes ces peintures et des ornements qui les rehaussent. On a vu qu'il était considéré par les contemporains comme l'artiste le plus habile en perspective de l'école établie à Tours. Ce témoignage est d'autant plus précieux que tous ceux qui ont vu le livre de la Reine admirent à quel point la perspective est observée dans les minia

tures.

Le troisième article du compte de 1477 est relatif à la reliure du Livre d'heures de la reine Guillaume Ménager, marchand de Tours, reçoit vingt souls tournois pour une petite pièce de velours cramoisi, destinée à couvrir les Heures écrites par Riveron et peintes par Poyer '.

Je ne doute pas que la reine n'ait fait travailler à ce livre pendant toute sa vie. Les chiffres du premier et du dernier feuillet sont de l'année 1499 au plus tôt, époque de son mariage avec Louis XII. Certaines pages blanches éparses dans ce volume autorisent à penser qu'il n'a jamais été fini. La bordure de la page 418 est évidemment restée incomplète. De plus, il manque deux grandes miniatures, ce qui en aurait porté le nombre total à cinquante et une. Mais il faut observer que le portrait d'Anne de Bretagne, placé en regard de la Descente de croix, a dû être peint séparément, peut-être bien quand le livre était presque terminé. J'ai remarqué précédemment que la Reine, dans ce portrait, a dépassé sa trentième année; en 1497, elle n'avait encore que vingt ans. C'est à la page 171 du manuscrit, en regard des premiers versets des Complies et de la bordure où sont peintes les cerises, qu'il manque une grande miniature. Pour être en rapport avec l'office qui commence à cette page, la miniature devait représenter le couronnement de la Vierge, sujet traité plusieurs fois par les peintres de cette époque. Une autre grande miniature doit aussi manquer en regard de la page 315, où commence une oraison à la divine sapience. L'embarras de traiter un sujet aussi mystique a peut-être arrêté la main de l'artiste.

Quel a été le sort de ce beau livre depuis le jour où la Reine a cessé de vivre, 9 janvier 1514, jusqu'aux premières années de la Révolution, où il fut placé dans le cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Paris? Je penche à croire que les souverains se le sont transmis les uns aux autres, et qu'il a fait partie de leur cabinet particulier. On ne peut douter qu'il ne se trouvât dans celui de Louis XIV à Versailles, puis

4. Ces articles curieux extraits des comptes de dépense de la Reine ont été signalés par M. le comte de Laborde. T. I, p. 274, De la Renaissance des Arts à la cour de France, etc., 1850, 4851, in-8°.

qu'il fut relié avec une peau de chagrin noir, semblable à celle qui couvre le livre d'heures de ce roi. Sous Louis XV et sous Louis XVI, on l'y voyait encore; le rédacteur d'un catalogue manuscrit des livres compris dans le cabinet du roi en 1775 a consacré au Livre d'heures d'Anne de Bretagne une notice assez exacte. Depuis 1792 jusqu'à la création du Musée des souverains, en 1853, ce livre est resté au département des manuscrits 'de la Bibliothèque de la rue Richelieu.

Il me reste à dire quelques mots de la belle reproduction fac-simile du Livre d'heures, publiée par M. Curmer, éditeur de tant de beaux livres et de cette belle Imitation de Jésus-Christ qui contient des copies fidèles des miniatures de nos plus beaux manuscrits.

La reproduction du Livre d'heures d'Anne de Bretagne a été exécutée avec le plus grand soin par les presses lithochromiques de la maison Lemercier. Les bordures qui représentent les plantes, les fleurs et les fruits, ont réussi au delà de toute espérance; le papier a la même épaisseur, la même teinte, la même solidité que le vélin. Une traduction française des offices latins est imprimée, page pour page, avec les beaux caractères de la maison Claye, de manière à pouvoir être jointe au texte, ou bien à former un volume séparé. Cette traduction, soumise à l'autorité ecclésiastique, est l'œuvre de M. l'abbé Delaunay, curé de Clichy.

L'éditeur a pensé qu'il était nécessaire de donner l'explication des noms latins et français des plantes, des fleurs et des fruits si admirablement peints dans ce volume. Il a confié ce travail à M. Decaisne, professeur de botanique au Muséum d'histoire naturelle, qui s'en est acquitté avec toute la science et la précision qu'on pouvait attendre de lui.

La publication du Livre d'heures d'Anne de Bretagne se fait par livraisons; elle est avancée déjà. Les amis de la vieille France et de nos gloires nationales ont répondu à l'entreprise hardie du courageux éditeur; il est assuré maintenant d'un nombre de souscripteurs suffisant pour lui permettre de continuer son œuvre en toute sécurité.

LE ROUX DE LINCY.

MUSÉES DE PROVINCE

LE CHATEAU BORÉLY, A MARSEILLE

Vers le milieu du siècle dernier vivait, à Marseille, un armateur nommé Nicolas Borély. Parti, dit-on, comme mousse à bord d'un bâtiment de commerce, il avait, ainsi que tant d'autres, débuté par une petite pacotille, puis il s'était établi négociant, puis il avait acheté des navires. A l'âge de cinquante ans, il se trouvait à la tête d'une fortune considérable, et comme il avait, en 1747, rempli les fonctions d'échevin, le roi, trois ans après, l'anoblissait par lettres patentes. C'est alors qu'il songea à se construire une maison de campagne en rapport avec sa haute position. Il acheta près du village de Bonneveine de vastes terrains situés entre la mer et une petite rivière, et il y jeta les fondements du château qui porte son nom.

L'édifice commençait à s'élever sous la direction d'un architecte du nom de Brun, quand la mort suprit Nicolas Borély. Il légua à ses fils le soin de poursuivre son entreprise. Tous deux réunirent leurs efforts et n'épargnèrent rien pour faire du château Borély la plus belle habitation des environs de Marseille. Le château de Mazargues, que Mme de Sévigné avait habité et qu'elle a baptisé Belle-Ombre, n'était auprès qu'une masure, aussi bien que le château des Aygalades construit par le maréchal de Villars.

En 1767, Clérisseau, architecte et peintre d'architecture, de retour d'Italie, où il venait de dessiner la plupart des monuments antiques, s'arrêta en Provence. Les frères Borély le saisirent au passage et lui demandèrent un dessin pour la façade. Ce dessin a été conservé; mais heureu sement pour le château, il n'a pas été suivi. On y sent l'incohérence d'idées d'un homme qui a beaucoup vécu dans le passé, aux prises avec la vie moderne. Il ne fallait pas songer à modifier la division principale

des étages et des ailes : le château était fait et n'attendait que sa façade. Clérisseau y accumulait les inutilités de mauvais goût, telles que des statues sur le balcon d'appui des fenêtres, des frises soi-disant antiques au-dessus des croisées, des bustes dans des niches rondes. Enfin il dissimulait l'attique derrière un immense fronton décoré de trois statues qui soutenaient les armes des Borély et leur devise: Altiora vincit. De ce projet bizarre Brun n'a conservé que le fronton réduit à deux statues; mais il l'a placé au-dessus de l'attique; sur la façade ni bas-reliefs, ni bustes, ni pilastres. Les lignes les plus simples lui ont suffi pour faire un édifice plein d'élégance.

Pour les jardins, les frères Borély s'adressèrent également à un artiste du pays, Embry, ingénieur et architecte. Le plan qu'il dressa en 1770 existe encore, et c'est celui qui a été suivi. Une grande allée, qui longe la terrasse à balustres, permet d'apercevoir la mer depuis la grille ouverte sur le chemin. De cette allée partent, à angle droit, deux avenues de platanes prolongées jusqu'à la rivière. Entre les deux, au pied de la terrasse, s'étend une pièce d'eau, puis, en contre-bas, une pelouse ornée d'une statue; un bosquet termine la perspective en dérobant la vue des champs. L'espace entre l'avenue de platanes et le mur de clôture était occupé, de chaque côté, par un parterre à la française. Un jardin anglais remplaça plus tard celui de droite. Ces dispositions ont le mérite d'être larges et simples. Dans quelques années, il n'en restera plus trace. Un innocent fac-simile du bois de Boulogne les aura remplacées.

Le même goût qui dirigea la construction du château et la distribution des jardins a présidé à l'ameublement. Ce ne sont que trumeaux sculptés, boiseries grises décorées d'attributs, vastes cheminées avec leurs devants peints en trompe-l'œil. Des meubles en marqueterie italienne, d'autres de la fabrique de Boule, des tables en rotin attestent la richesse de l'ancien mobilier. La grande salle de réception a conservé son divan en point de Beauvais, qui en occupe toute la largeur, au fond d'une sorte d'alcôve fermée par des colonnes dorées. De magnifiques glaces ornent les deux cheminées, et dans les coins se dressent d'énormes vases du Japon. La chambre d'honneur a été également respectée : le lit à courtines avec ses rideaux et sa courte-pointe, les fauteuils, les ganaches, les crapauds, tout est recouvert de la même étoffe tendue sur les murs, et cette étoffe, c'est cette fine toile de l'Inde à grands ramages, devenue aujourd'hui une curiosité, où l'on voit se détacher en vives couleurs sur un fond blanc des arbres fantastiques peuplés d'oiseaux fabuleux.

Les frères Borély eurent le bon esprit de comprendre que le premier des luxes est le luxe des beaux-arts. Le château à peine achevé, une occa

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