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lente mémoire. A force d'entendre répéter à son maître les mêmes noms d'artistes, il les a à peu près retenus. Mais au lieu de cet homme intelligent, supposez un valet stupide : à quelles folles risées ne s'exposait pas la ville de Marseille ?

L'école italienne, veuve d'André del Sarto, offre encore quelques morceaux de choix. Tel est, en première ligne, le Portrait de Michel-Ange par Jules Romain. Rien ne s'oppose à ce que Jules Romain ait peint Michel-Ange, son aîné de dix-huit ans seulement. Les traits rappellent, en effet, ceux du grand sculpteur. Cependant le nez, trop droit, ne porte pas assez la marque du coup de poing de Torregiani. Bien que les yeux brillent d'un sombre éclat, ils accusent plutôt l'intelligence que le génie, et l'expression en somme est commune. Mais si Buonarotti se reconnaît à peine dans ce portrait, Giulio Pippi s'y retrouve tout entier, avec son dessin d'une fermeté magistrale, sa puissance de modelé et d'expression, le sentiment de la vie morale, et une vigueur d'effet obtenue par la simple opposition de lumières et d'ombres également intenses.

Les tableaux de Giorgione sont rares. Ce serait donc pour le château Borély une bonne fortune de posséder une œuvre de ce maître, si l'Hérodiade qui y figure sous son nom portait les caractères de sa peinture; malheureusement il n'en est rien. L'Hérodiade nous paraît sans analogie avec ce que nous avons pu voir de Giorgione à Florence, à Milan et à Paris. Au contraire, on ne saurait disputer à Paul Véronèse le Portrait d'une jeune princesse. Elle est en pied, debout, la main droite sur une table, l'autre bras pendant le long de la robe. Ce petit bras, par sa grâce et sa morbidesse, vaut à lui seul un chef-d'œuvre. La couleur rappelle celle des Pèlerins d'Emmaüs.

Une esquisse, qui représente saint Bernard ressuscitant un enfant, n'est pas indigne du pinceau de Tintoret, à qui on l'attribue. La Vierge entourée de saints et de différents personnages, peinture franche et un peu brutale, dit mieux encore les qualités du grand coloriste vénitien. Quant au Portrait du doge Morosini, si tous les portraits de cet homme illustre que l'on rencontre un peu partout, sont de la main de Tintoret, où aura-t-il pris le temps de peindre le reste?

Sur l'un des côtés de la chapelle est un saint Jérôme du Calabrèse, peinture énergique et mâle. Le Portrait du cardinal Cibi, par Carle Maratte, offre aussi de belles qualités : on sent fixé sur soi le regard perçant et soupçonneux de ce prélat politique. Il faut citer encore une petite esquisse de Trevisani, l'Agonie du Christ au Jardin des Oliviers. Mais les plus curieux tableaux italiens que possède le château Borély sont deux Fêtes mythologiques de Sébastien Conca. Ce peintre, peu connu de la dé

cadence romaine, représente assez bien la grandeur traditionnelle de l'art italien se débattant sous l'invasion des grâces françaises. Son contemporain Boucher n'eût pas mieux composé ces fantaisies sensuelles. Peut-être eût-il rendu plus appétissantes les chairs des femmes nues, et celles des enfants plus grassouillettes; mais il serait tombé dans une couleur grise ou dans une fraîcheur de tons voisine de la crudité. Conca a conservé une vigueur de coloris, une largeur de mouvements, et, en certaines parties, les nuages et les arbres par exemple, un sentiment des grandes masses, qui de loin sentent encore le maître.

Une Marche de troupeaux, de Benedetto Castiglione, semblable à celles qui remplissent les grands palais de Gênes; une étude d'homme en turban, de Bonvicini, dit le Moretto; un tableau d'une bonne couleur, qui présente au fond d'une arcade la Vue de Venise, et que, pour cette raison, on donne à Canaletti; enfin, deux Ruines signées « P. Panini, 1753. » Ces œuvres secondaires complètent, au château Borély, le lot de l'école italienne.

L'école espagnole ne compte que trois noms et quatre tableaux. Le Moine, de Zurbaran, n'est pas une de ces sombres figures dont l'œil cave reluit au fond d'un capuchon. Celui-ci déjeune, accoudé à une table où ne manque qu'une chose, le déjeuner. Un morceau de pain sec accomplit seul le voyage de la main à la bouche; un verre d'eau claire s'apprête à le suivre. La main est maigre, mais le visage a cette bouffissure exsangue qui est l'embonpoint du cloître. L'habitude d'une volonté mortifiée contracte les sourcils et le front. L'ennui de la pénitence allonge les lèvres en une moue de mauvaise humeur; sur les épaules pèse comme une chappe de plomb la lassitude de la règle. Devant cette peinture, énergique seulement par sa fidélité, on se sent pris de compassion, et l'on regrette pour le pauvre homme la Cuisine des anges de Murillo.

Que Murillo ait peint la Cuisine des anges de la même main qui a su envelopper d'or la Conception, ou noyer de soleil la misère hideuse du Pouilleux, cela se comprend. On admet moins facilement qu'il ait pu descendre à peindre en bonshommes secs et roides les Sept OEuvres de Miséricorde qu'on lui attribue au château Borély. Un tel tableau ferait honneur à Téniers ou à un autre petit maître, car la couleur en est fine et légère; mais il n'ajoute rien à la gloire de Murillo.

Le Saint Pierre repentant, de Ribera, que l'on voit dans la chapelle, date du temps où le peintre bourreau possédait encore cette souplesse relative, acquise à l'école du Caravage. Le Portrait de Jean de Procida, du même maître, serait aussi un excellent morceau, si des nettoyages successifs n'avaient réduit la surface colorée à la valeur négative d'une teinte plate.

Les écoles du nord ne présentent pas de grandes toiles. A part quelques portraits de Denner, de Gonzalès Coques, de Ferdinand Bol, de Léonard Bramer; à part une Tête de femme, assez belle esquisse de Rubens, et deux études de Daniel Saiter, l'art flamand et l'art hollandais n'ont au château Borély que des tableaux de genre et de paysage. On y trouve, à côté des inévitables Bout et Boudewyns, trois sujets rustiques de Jean Miel, très-agréables; un Paradis terrestre, de Jean Breughel, qui a conservé toute sa fraîcheur; un Gibier, de Griff, et un Passage de rivière, de Van der Meulen, composition pleine de feu, peinte surcuivre du pinceau le plus fin, dans une gamme blonde qui n'est pas commune. Que dire maintenant de l'Intérieur attribué à Pierre de Hooghe? Ce tableau terne et froid ne rappelle en rien les élans lumineux d'un des plus grands maîtres du soleil après Rembrandt. On ne voit pas non plus pourquoi le nom de Karel Dujardin serait inscrit sous une figure académique d'homme nu, qui, malgré ses qualités de couleur et d'exécution, n'a pas de rapport direct avec sa manière habituelle. Un petit Marché aux poissons, charmant de naïveté et de finesse, nous jette en de bien autres perplexités. Certes, quand nous lisons dans l'inventaire municipal qui nous tient lieu de catalogue: Paysage par Turpin de Clisse, »> nous restituons volontiers << Turpin de Crissé. » S'il imprime - «Cuisinière, par Sorgues, » Paysage en hauteur, par Thomas Savick,» — « Portrait, par Coquis Gonzalès, »> on reconnaît sans peine Zorg, Thomas Wyck, Gonzalès Coques. Mais, ici, comment expliquer cette ligne énigmatique : « Marché aux poissons en Hollande, par Joorec,» alors surtout que le concierge, rectifiant l'erreur de l'inventaire, prononce le même nom Skoo?

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Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses.

Autre rébus. Comme auteur de deux Ateliers de peintre, l'inventaire et le concierge, d'accord cette fois, désignent un artiste imaginaire nommé Copaaher. S'agirait-il de Schowaerts? Les tableaux sont curieux : l'un représente une sorte de bourgeois gentilhomme hollandais, entrant dans l'atelier du peintre comme en pays conquis; l'autre, une réunion d'artistes étudiant d'après le modèle nu.

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L'un des plus précieux tableaux du château Borély, dans son état actuel, est un grand Paysage, de Jacques Ruysdael. C'est le soir. Le soleil a disparu; un reflet ambré éclaire seul le ciel, pommelé de petits nuages gris, et le ciel à son tour se reflète dans une mare tout entourée de verdure. Ici un vieux chêne aux bras décharnés achève de mourir; là se dressent, dans toute la force de l'âge viril, des ormeaux à la cime superbe. A leurs pieds, d'autres arbres adolescents aspirent à les suivre.

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Parmi les roseaux s'élève la tige fragile des jeunes rejetons. Aucune figure humaine ne trouble cette auguste solitude. Je me trompe : un rhabilleur maladroit a imaginé de placer au bord de la mare un pêcheur à la ligne. O poésie!

Un Paysage, de Jean Both, avec figures d'André; une Marine trèsdélicate, signée P. Zeeman; deux petites Vues de Hollande, l'une de Salomon Ruysdael, l'autre de Decker, sont encore d'agréables tableaux de cabinet. Quatre paysages de Van Bloemen, dit Orizzonti, ornent la galerie et y font assez bonne figure. On ne saurait passer sous silence deux sujets de basse-cour de Van Boucle ou Van Boekel, artiste estimable et peu connu, dont la peinture, largement exécutée dans des tons harmonieux, se prête bien à la décoration des demeures seigneuriales.

Les amateurs, on le sait, préfèrent de beaucoup, aux productions de notre art national, les chefs-d'œuvre problématiques de l'art italien ou hollandais. On ne peut donc s'attendre à trouver au château Borély de nombreux spécimens de l'école française. Le petit nombre de tableaux français qui s'y conservent mérite cependant l'attention. Et d'abord une Madone, de Simon Vouet, a remplacé sur l'autel de la chapelle la Sainte Famille, d'André del Sarte. Autant l'œuvre du Florentin était chaude, autant l'œuvre du peintre français est douce et limpide. Il y a une grâce pudique dans le sourire de la Vierge Mère. Le bambino dort d'un aimable sommeil. Devant cette pure image, Fénelon aurait prié avec amour.

Un portrait d'homme, qui n'a jamais représenté, ainsi qu'on le voudrait, Philippe de Champaigne, n'est peut-être pas non plus une œuvre bien authentique de Sébastien Bourdon, tandis qu'on ne saurait disputer à cet artiste un tableau de Mendiants, mis sans façon par l'inventaire sur le dos de Pâris Bordone. Jacques Courtois le Bourguignon a peint peu de batailles d'un effet aussi piquant que celle qui porte le numéro 133. A côté de ces noms du xvIIe siècle se place celui de Pierre Puget, leur contemporain. Le portrait du grand sculpteur, que nous avons décrit en parlant du Musée de Marseille, appartenait à la collection du château Borély. Cette collection possède du même maître un autre tableau, le Sommeil de Jésus, une statue, trois bas-reliefs et plusieurs dessins. Tous ces objets ont fait sans doute partie du précieux cabinet formé ou plutôt conservé par le petit-fils de l'auteur du Milon, Pierre-Paul Puget, qui vivait encore en 1752. Une inscription tracée sur le dos d'un des dessins semble indiquer la date à laquelle les frères Borély en firent l'acquisition des mains du dernier substitué, Joseph de Puget Savignon, ancien officier d'infanterie en 1773.

Le Sommeil de Jésus est peint dans la manière du Salvator Mundi,

du Musée de Marseille. Le dessin, plus serré, se ressent davantage de l'influence des Carrache. Du reste, même inspiration naturaliste, même pâte grasse, même coloris clair et riche dans les lumières, intense dans les ombres. Une particularité singulière distingue ce tableau. Le cadre dépasse de près d'un pied la feuillure ovale : sculpté en haut relief et entièrement doré, il représente un édifice païen qui croule de toutes parts et que surmonte, au sein d'une gloire rayonnante, un groupe de têtes d'anges occupés à regarder dormir Jésus. Le sujet de la peinture, l'enfance du Messie, se trouve ainsi complété par celui du cadre, la chute du paganisme, symboliquement exprimée selon la tradition italienne. Si Puget lui-même ne fut pas l'auteur du cadre, on ne peut l'attribuer qu'à François Canavaque, sculpteur sur bois, son élève et son ami.

Après la Peste, de De Troy, et l'Histoire de Tobie, de Pierre Parrocel, le XVIIIe siècle n'offre rien d'important. Une petite Marine, de Joseph Vernet, y atteste le passage à Marseille du peintre des ports de France. Deux tableaux de Kapellen témoignent de l'influence qu'il exerça sur les peintres de l'Académie. Ces deux pastiches, moins réussis que ceux de Henry, ne s'élèvent pas au-dessus d'une honnête médiocrité. Plus curieuse est une Marine, peinte par un des nombreux artistes de la famille des La Rose. Celle-ci paraît dater du commencement du XVIIIe siècle et avoir pour auteur le fils de J.-B. de La Rose, longtemps directeur des travaux de peinture à l'arsenal de Toulon. Elle représente simplement une galère en pleine mer, reproduite avec un soin minutieux qui n'omet aucun

détail.

Un Paysage de Bruandet, avec figures de Demarne, et une Chasse de Swebach, datée de 1822, nous amènent au XIXe siècle. Voici tout à côté l'Intérieur de l'atelier de Granet; le peintre aixois s'y est représenté jouant aux cartes avec le modèle, vêtu en capucin, qui vient de poser devant lui. Un effet vibrant, obtenu par l'opposition des noirs et des blancs, fait tout le mérite de ce tableau. Deux petites toiles, d'une inspiration analogue, portent le nom du comte de Forbin et la date 1838. Enfin, le dernier tableau que nous puissions mentionner est une Vue de Roquebrune, peinte en 1831 par le comte Turpin de Crissé. Le choix d'un beau site, un sentiment distingué du dessin, une exécution soignée mais sèche et quelquefois mesquine; à ces caractères on pourrait croire que le noble comte a fait partie de l'Académie de France à Rome, du temps de Buttura.

Rien de moins académique, en revanche, que la statue du Faune, de Pierre Puget. Comme l'Esclave, de Michel-Ange, que l'on voit au Louvre, le Faune est une de ces œuvres de premier mouvement, jetées sur un bloc de marbre dans toute l'imprévoyance, on pourrait presque dire

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