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tournures de Michel-Ange, et il y a dans sa bouche une légère moue qui se marie délicieusement avec le caractère haulain et pensif du regard. Comme nous le disait le conservateur du Cabinet des Estampes, c'est une Junon dans le paradis. Quant à l'exécution, elle est måle et suave tout ensemble, ferme comme un Giorgion, effumée comme un Luini. Le peintre a mis quelques différences, ou, pour mieux dire, quelques nuances de faire, dans la figure de l'enfant Jésus. Cette figure, adorable de naturel, de grâce et d'abandon, est traitée de ce pinceau tendre et nourri que les Italiens appellent savoureux (saporito). Le modelé est plein de rondeur, mais le relief des parties est subordonné à l'ensemble, et les muscles, foin d'être ressentis, comme ils le sont quelquefois dans les petits anges de Raphaël, sont exprimés avec discrétion, ainsi qu'ils doivent l'être sous le derme délicat de l'enfance. On peut citer particulièrement comme un chefd'œuvre dans l'art de peindre le bras gauche de l'enfant, la poitrine et le ventre. Les deux autres figures du tableau sont moins belles, soit que l'artiste les ait volontairement sacrifiées, soit qu'il eût épuisé sa chaleur et sa verve sur les deux figures principales. La tête de saint Joseph paraît avoir été peinte d'après le modèle qui a servi à Raphaël pour la Sainte Famille dite de Fontainebleau; c'est le même vieillard, mais chacun des deux grands peintres l'a vu à sa manière. Il en existe à Paris, dans la collection d'un amateur bien connu, un dessin à la pierre noire par Sébastien del Piombo, et nul doute que ce dessin, qui reproduit le même trois quarts, la même pose, n'ait été fait pour la peinture que nous avons sous les yeux. En revanche, le buste de saint Jean ne semble pas avoir été étudié sur nature: la main de cet enfant est plutôt celle d'une jeune fille; toutefois, l'exécution en est savante, onctueuse, et n'a rien qui dépare le superbe tableau que nous décrivons.

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<< Tout d'abord nous l'avions vu comme les autres curieux; mais, sur la demande qui nous a été adressée d'en rédiger la notice, nous avons dû l'examiner de plus près et à plusieurs reprises, et nous avons invité à notre tour les personnes les plus autorisées, les plus compétentes, à nous éclairer de leurs avis. Leur opinion a été unanime sur un point, à savoir que la Sainte Famille qu'on leur montrait était un morceau de la plus grande, de la plus éclatante beauté. La plupart ont nommé Sébastien del Piombo comme l'auteur probable de cette peinture, et quelques-uns ont ajouté que, si elle était dans le style de Raphaël, on pourrait la lui attribuer sans rien diminuer de sa gloire. Cette remarque a été faite une première fois par un vétéran de la critique des grands journaux', qui s'est excusé de ne prononcer aucun nom en disant ce mot spirituel : « Je crois me connaître en peinture, mais je ne me connais guère en tableaux.» Cependant, ce qui n'était encore qu'une présomption, une opinion respectable par le nombre et la qualité des suffrages, est devenu pour nous une certitude, à la suite de nos recherches. Nous savions qu'au musée Bourbon, à Naples, il existe un tableau semblable à celui-ci, mais dont il n'y a d'achevé que les têtes. D'autre part, Vasari dit formellement dans la vie de Sébastien: « In uno quadro fece una nostra Donna, che con un panno cuopre un putto che fu cosa rara, e l'ha oggi nelle sua guarda roba il cardinal Farnese. (Il peignit une Madone couvrant l'enfant Jésus d'une draperie, peinture d'une beauté rare, qui se trouve aujourd'hui dans le cabinet du cardinal Farnèse.) » Or, dans la Sainte Famille du Musée Bourbon, il n'y a de fini que les têtes : le reste n'est qu'ébauché. Comment comprendre que Vasari ait cité, parmi tant de tableaux de Sébastien, un morceau demeuré à l'état

1. Ce spirituel vétéran est M. Delécluze, qui exerce avec tant d'autorité la critique artistique dans le Journal des Débats.

d'ébauche, et comment concevoir que le cardinal Farnèse eût dans son cabinet une peinture inachevée? Il faudrait supposer que Sébastien, qui vivait à Rome, où vivait aussi le cardinal Farnèse, fut surpris par la mort avant d'avoir terminé son tableau. Mais, s'il en était ainsi, on le saurait, comme on sait tous les morceaux que Raphaël, Titien et autres grands peintres ont laissés incomplets; comme on sait, par Vasari, la fresque de Sainte-Marie-du-Peuple, que Sébastien, interrompu par la mort, ne put achever. Il faut remarquer aussi que, longtemps avant sa mort, Sébastien s'était brouillé avec Michel-Ange à l'occasion de la chapelle Sixtine, que lui, Sébastien, voulait qu'on peignît à l'huile et non à fresque. La Sainte Famille en question ne fut donc pas le dernier ouvrage de Sébastien, puisqu'elle porte, dans la désinvolture de la Vierge, la trace évidente de l'intervention amicale de Michel-Ange. Encore une fois, si Sébastien n'avait pu achever sa Sainte Famille, Vasari n'aurait pas manqué d'en faire la remarque en cet endroit de son livre, puisque, dans la phrase qui suit, il signale précisément un autre tableau de Sébastien del Piombo qui ne fut pas mené à bonne fin: «Abbozzò, ma non condusse a fine una tavola di san Michele. (Il ébaucha, mais ne termina point un tableau de saint Michel.) » Il serait vraiment bien extraordinaire que, parlant à la fois de deux peintures inachevées, la Sainte Famille et le Saint Michel, Vasari n'eût pas fait, sur ces deux peintures, une observation qui était en ce moment sous sa plume, et qui s'appliquait également à l'une et à l'autre. Pour sortir de cette difficulté, en présence d'un tableau aussi admirable et autant admiré, il faut croire que Sébastien del Piombo, ayant reçu du cardinal Farnèse la commande d'une Sainte Famille, ne commit pas l'inconvenance de lui envoyer une peinture aux trois quarts ébauchée, mais qu'il fit pour ce prince de l'Église le magnifique tableau que nous avons sous les yeux; qu'ensuite le cardinal, ayant voulu en avoir une répétition, soit pour l'offrir en cadeau, soit pour en orner quelque autre palais, le peintre, ennuyé de se copier lui-même, n'eut pas la patience d'aller jusqu'au bout. Cela s'accorde, du reste, à merveille avec le caractère de Sébastien del Piombo, véritable épicurien, qui prêchait à ses amis l'indifférence en matière d'art et de gloire, menait joyeuse vie et préférait de beaucoup la bonne chère à la peinture: Tenendo più conto della vita, che dell' arte.

« Il est donc, pour nous, plus que probable que les Farnèse ont possédé à la fois la peinture superbe que nous décrivons (celle dont parle Vasari) et une répétition restée à l'état d'ébauche, hormis les têtes (celle qui est à Naples). Maintenant, que cette peinture ait été trouvée à Tolède, dans un couvent en démolition, rien de plus simple, puisque les Farnèse ont été, par leurs relations, encore plus Espagnols qu'Italiens, et que leur héritage fut transmis à la maison d'Espagne, en 1714, lorsque Élisabeth Farnèse devint reine d'Espagne par son mariage avec Philippe V.....

CHARLES BLANC.

Les conclusions ont été acceptées par le public, et M. Delbergue Cormont a pu adjuger cette toile sur la dernière enchère de 40,000 francs. Est-ce pour le compte du gouvernement? se demandait la foule qui envahissait la salle. Non; ce rare et précieux panneau n'entrera ni dans le musée français, ni, fort heureusement, dans aucune collection étrangère. Il a été acheté, nous a-t-on dit, par un riche amateur parisien.

VENTE DE CHINOISERIES.

Le mois qui vient de finir a vu l'une des plus belles ventes de porcelaines de l'année, celle de M. Émile Tastet. En y comprenant les bronzes, les jades et les curiosités diverses, le catalogue montait à 363 numéros seulement; mais l'importance et le choix des morceaux, ainsi que leur magnifique conservation, les rendaient, pour la plupart, dignes d'entrer dans les cabinets d'élite.

Cependant cette vente s'est faite dans de mauvaises conditions. Avec une loyauté trèslouable, M. Tastet n'a voulu retirer que les pièces sur lesquelles il eût trop perdu, et le résultat final lui a été onéreux. Ceci s'explique: les curiosités deviennent excessivement rares en Chine; il faut les acquérir là-bas à des prix élevés, augmentés encore par le transport, par la casse, par les droits d'entrée, etc. Or, malgré la vogue actuelle de ces curiosités en Europe, et surtout en France, l'importateur rentre difficilement dans ses avances, si sa marchandise ne se présente pas aux enchères dans les meilleures conditions possibles.

Pour M. Tastet les conditions ont été mauvaises, et cela surtout parce que son catalogue était par trop sommaire. On peut le dire avec raison depuis que le goût des curiosités se développe en France, les rédacteurs de notices semblent prendre à tâche de s'abaisser au niveau des intelligences les plus ordinaires.

Sans remonter au XVIIIe siècle et aux admirables catalogues de Gersaint et de Julliot, il est facile de démontrer qu'à cet égard nous allons en sens inverse des lumières de notre temps. En 1826, Sallé faisait une vente de précieux objets chinois, et, malgré l'indifférence de l'époque, il enrichissait son catalogue de curieux détails de mœurs, d'indications historiques, d'explications sur les marques et les inscriptions chinoises. Pour en arriver là, il faisait appel à l'expérience des savants, et donnait un poids réel à ses énonciations en les mettant sous le patronage de M. de Guignes, ancien ambassadeur en Chine, et du sinologue Klaproth. En 1845 arrivait la vente du cabinet de M. de Guignes lui-même; la notice en était faite avec un soin égal, et les musées, les collections d'élite, s'empressaient d'acquérir des pièces si bien décrites et dont l'intérêt était démontré d'avance.

Comment la curiosité pouvait-elle être éveillée à la vente Tastet par des indications telles que celles-ci: 210. Bouteille forme gourde, porcelaine gris verdâtre jaspé. Ceci n'était rien moins cependant qu'un rouge soufflé, la plus rare des fabrications chinoises. C'était le premier spécimen qui, depuis quinze ans peut-être, passât en vente publique, et il a été adjugé pour 29 francs, grâce à la loyauté de M. Tastet qui, bien qu'éclairé sur le mérite de cet objet et le haut prix qu'il aurait dû atteindre, n'a pas voulu le soutenir lui-même.

182. Vase de forme basse, porcelaine fond jaune, décor de dragons en camaïeu vert. Ici c'est une autre pièce adjugée pour rien et qui portait en dessous la marque de la période Tching-te (4516 à 1524), marque rarissime, n'existant jusqu'à ce jour que dans un seul cabinet.

197. Trois petits bols portant dessous des inscriptions en caractères chinois, etc... Eh, qu'importe! si l'on ne prend soin de nous informer de la signification de ces caractères! Sont-ce des dates? Font-ils remonter la pièce au XIV, au xve ou au XVIe siècle? La

question est importante pour la valeur historique, et, si les bols sont anciens de plusieurs centaines d'années, ils valaient bien la peine d'être mis séparément sur table, et non point réunis comme de vulgaires tasses à prendre le café.

Dirons-nous quelque chose des vases à sujets? Non, car ceci nous entraînerait trop loin. Que signifient de pareilles désignations: Vase à mandarins... Vases à jeux d'enfants? Croirait-on, en lisant ces phrases banales, qu'il s'agit de porcelaines anciennes du plus beau décor, à personnages historiques ou sacrés ? Que ces enfants qui jouent sont ceux de la famille impériale, essayant les insignes de leur puissance future? Qu'on peut voir, au-dessus de la scèné civile et réelle, le tableau mystique, l'invocation religieuse, c'està-dire l'ancêtre sanctifié de la dynastie plaçant l'enfant impérial sous la protection de Chiou-lao, le dieu de la longévité?

De pareilles explications seraient superflues, nous le savons, pour les revendeurs à bas prix, mais elles sont indispensables pour appeler aux expositions de l'hôtel Drouot les amateurs réels et les marchands connaisseurs qui ne recherchent point uniquement des vases à monter par paires.

Nous qui savons au prix de quels sacrifices M. Tastet entretient en Chine un représentant connaisseur pour rechercher les pièces, nous déplorerons le résultat de sa dernière vente, mais nous l'engagerons en même temps à peser les réflexions qui précèdent et à en profiter pour l'avenir. Dans l'état de nos mœurs, un catalogue de vente doit avoir autorité et mettre l'acquéreur au-dessus de la crainte des erreurs et des mystifications. Cette autorité, pour les ventes Debruge, Dumesnil, Préault, etc., résultait de la science des auteurs des catalogues. Pour les ventes de la duchesse de Montebello, de MM. Rattier, Humann, Norzy, elle ressortait du goût élevé des possesseurs et de la notoriété des pièces acquises par eux. A l'avenir, il dépend de M. Tastet d'invoquer, pour ses ventes recommandables, mieux que le hasard du moment et le caprice des enchères commerciales.

VENTE DE DESSINS, SÉPIAS ET AQUARELLES, PAR RAFFET

La vente de dessins, sépias et aquarelles de Raffet appartenant à M. Furne et ayant servi à illustrer divers ouvrages, a obtenu un rare succès. Le public s'est disputé avec passion ces petites compositions habilement distribuées, dessinées avec soin, lavées avec une largeur étonnante. Nous n'avons pas besoin de les décrire à nos lecteurs; ils les trouveront pour la plupart dans l'Histoire de la Révolution de M. Thiers, ou encore dans l'Histoire de Napoléon, par M. de Norvins, dans l'Algérie ancienne et moderne, par M. Galibert, etc., et quoique le burin du graveur les ait, la plupart du temps, plutôt travesties que traduites, ils y verront encore un reflet du talent du maître. Ce talent sera dans quelques jours apprécié et jugé avec autorité par notre collaborateur M. Paul Mantz, et nous n'entendons point anticiper sur sa notice biographique et critique.

Nous avons quelquefois parlé de l'insuffisance des catalogues modernes. Jamais elle n'a été plus sensible que dans celui-ci. Quels renseignements peut-on y puiser. En regard du titre, un extrait de M. Thiers, d'Henri Martin ou de l'Évangile. Pas un mot de description, pas un détail qui serve à différencier la même scène répétée deux fois.

- N° 9, mort de Bonchamps; no 10, mort de Bonchamps. Nous le répétons encore,

M. Francis Petit s'est créé parmi les experts une place tout à fait à part, par l'urbanité de ses manières, la sûreté de son goût, la loyauté de ses transactions; c'est à lui qu'il appartient de nous donner des catalogues plus dignes de la critique moderne. Toutes les ventes importantes des maîtres contemporains passent par ses mains; il viendra un jour où l'on sera bien désillusionné, en cherchant dans le recueil de ses catalogues les notes qu'il serait si facile d'y placer en quelques mots simples et justes.

Prise de la Bastille. 240 fr. Massacre des prisons, septembre 1792, on amène les Suisses devant le tribunal. 440 fr. Adieux de Louis XVI à sa famille. 520 fr.Triomphe de Marat, deux officiers municipaux marchant en tête du cortége, Marat élevé sur les bras de quelques sapeurs, a le front ceint d'une couronne de chêne. 510 fr. Mort de Bonchamps. 500 fr.; il est étendu sur un matelas et près d'expirer d'un coup de feu dans le bas-ventre. La dernière charrette; c'était assurément l'une des plus remarquables aquarelles de cette vente; aussi a-t-elle été vivement disputée, et adjugée à 700 fr. Journée du 13 vendémiaire 1795, mitraillade sinistre sur les marches de SaintRoch. 700 fr. Veille de la bataille de Rivoli, effet piquant de clair de lune. 605 fr. La garde consulaire à Marengo, une des compositions de Raffet qui montrait le mieux avec quel art il savait mettre en perspective les masses des bataillons et des corps d'armée. 703 fr.- Capitulation d'Ulm, le général Mack tend son épée à Napoléon entouré de ses officiers. 650 fr. Lutzen, petite mêlée pleine de fougue, gravée dans l'histoire de Napoléon par de Norvins. 560 fr. Le dernier des Abencerages, Aben-Ahmet, en long manteau rouge, s'approche d'un jeune chevalier à genoux au pied d'une colonne, les deux bras croisés sur sa poitrine et la tête inclinée. 230 fr.

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L'ancienne garde impériale, collection de costumes assez médiocrement dessinés sur un petit format et coloriés pour le modèle avec des tons d'aquarelle un peu montés, a atteint des prix relativement plus élevés encore, car il me semble plus difficile de se passionner pour une figure isolée que pour une scène qui offre le double intérêt du sujet et de l'exécution. Napoléon en uniforme de chasseur à cheval, d'une petite ressemblance. 355 fr. Porte-drapeau des grenadiers à pied. 320 fr. Tambour-major des grenadiers à pied. 315 fr. Tirailleur voltigeur, 205 fr. Chasseur à cheval. 255 fr. Les autres modèles d'uniformes ne sont point descendus au-dessous de 100 fr.

Si je ne me trompe, cette suite démontre en quoi Raffet est inférieur à Charlet. Celui-ci a créé dans sa garde impériale, des types élevés et abstraits en simplifiant le détail, en insistant sur la physionomie générale, en élevant la ressemblance par la rude majesté des traits principaux, il a créé une suite que l'on consultera toujours, moins pour voir comment s'habillait la grande armée que pour chercher à connaître les héros familiers qui la composaient. Raffet en précisant ses indications s'est souvent laissé entraîner à ne point regarder au delà du sujet qui posait devant lui, et que détaillait son crayon ingénieux et spirituel.

Ne quittons point Raffet sans annoncer la vente de son atelier. Elle sera faite sous la direction de M. Fr. Petit pour les toiles, et de M. Vignères pour les gravures, les 40, 14 et 12 mai. Elle renferme tous les croquis laissés par le maître; des dessins, des aquarelles, des projets, des études peintes à l'huile avec une force qu'on était loin de lui soupçonner généralement; enfin des armes et des costumes de tous les pays et de toutes les époques.

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