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fort. A Cologne il vit son cousin Nicolas, dit le Hongrois', et peu de jours après, le vendredi qui suit la Saint-Pierre, il arriva à Anvers. Albert Dürer descendit chez Jobst Plankfelt, et, le soir même de son arrivée, l'un des représentants de la riche maison des Fugger l'invita à souper. Le lendemain, son hôte le conduisit chez le bourgmestre qui habitait une « maison grande outre mesure et assez bien arrangée, ayant des chambres fort belles, des portes splendidement ornées et un vaste jardin. En somme, c'est une maison, dit-il, si précieuse, que je n'ai vu la pareille dans aucun des pays de l'Allemagne.

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Les peintres d'Anvers, fiers de recevoir un artiste de si grand renom, voulurent lui rendre des honneurs dignes de son mérite. Ils l'invitèrent, lui, sa femme et sa servante, à un dîner excellent servi dans de la vaisselle d'argent. Mais laissons parler Albert Dürer :

« Leurs femmes aussi étaient toutes présentes, et, lorsqu'on me mena « à table, les spectateurs se dressèrent de chaque côté comme si l'on «< conduisait un grand seigneur. Il se trouvait parmi eux de hauts per«sonnages qui me saluèrent de la manière la plus humble, et se mon« trèrent très-bienveillants envers moi. Ils me dirent qu'ils voulaient tous « faire leur possible pour me plaire en tout ce que je voudrais. Et lorsque « je fus assis, un messager de MM. les conseillers d'Anvers arriva avec << deux valets, et me fit cadeau, `au nom des seigneurs d'Anvers, de quatre «< pots de vin, en me disant qu'ils voulaient m'honorer par là et me témoigner leur bonne volonté. Je leur fis mes humbles remercîments, et je « leur offris.mes services. Après, vint maître Pierre, le charpentier de la

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«< ville, qui me fit cadeau de deux pots de vin, avec l'offre de son service. Après avoir été joyeusement attablés ensemble jusque fort avant dans la << nuit, ils nous reconduisirent avec des flambeaux d'une manière très<«< honnête et polie, et me prièrent d'user de leur bonne volonté pour tout « ce qui me ferait plaisir, me promettant de m'aider en tout. >>

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Albert Dürer voulut remercier les peintres de leur accueil. Il visita, avec Jobst Plankfelt, Quintin Matsys, ainsi que les plus célèbres d'entre eux, ce qui lui fournit l'occasion de voir dans leurs ateliers les travaux qu'ils préparaient pour la réception du roi Charles-Quint, et de se lier d'une manière toute particulière avec Joachim Patenier, peintre de paysage, qui lui prêta son élève et ses couleurs. Érasme, l'illustre écrivain qui, plus tard, fut l'ami d'Holbein, vint le trouver et solliciter son amitié en lui faisant cadeau d'une mantille espagnole et de trois portraits d'hommes. Les fêtes de l'Assomption étaient arrivées, et Albert Dürer as

4. Il était fils de Laslen Dürer, faiseur de brides, frère du père d'Albert Dürer.

sista à la grande procession de l'église Notre-Dame. Cette scène, trois siècles plus tard, devait inspirer à un peintre d'Anvers, M. Leys, un chefd'œuvre dont nos lecteurs se rappellent peut-être d'avoir vu la reproduction dans un de nos numéros précédents.

Albert Dürer avait la pensée d'aller à Bruxelles visiter madame Marguerite qui, comme son père l'empereur Maximilien, protégeait beaucoup les arts, et possédait l'un des cabinets les plus riches de ces temps. Pour s'assurer les bonnes grâces de la gouvernante des Pays-Bas, il fit remettre à maître Conrad, excellent graveur en bois au service de madame Marguerite, un saint Jérôme dans sa cellule, un saint Antoine, une Mélancolie, ses trois dernières Vierges et une sainte Véronique. Dans une petite excursion qu'il fit à Malines le 2 septembre, il l'invita à dîner et s'empressa, lors de son arrivée à Bruxelles, de faire son portrait au crayon.

Les monuments de Bruxelles, le jardin des animaux de cette ville, les tableaux de Roger van der Weyden, et surtout les merveilles rapportées du Mexique, firent son admiration. Aussitôt que madame Marguerite connut l'arrivée d'Albert Dürer à Bruxelles, elle s'empressa de l'envoyer chercher. Elle l'accueillit avec une grande bienveillance, et lui promit de le servir auprès du roi Charles. Albert, pour reconnaître sa bonté, lui fit présent de sa petite Passion, qu'il semble avoir chérie entre tous ses ouvrages. Tout semblait sourire à Albert Dürer. Bernard van Orley, le peintre en nom de la cour, l'invita à dîner, et avec lui Jean Marini, le trésorier, Mateni, l'intendant du roi, Pusfladis, le trésorier d'État. Albert Dürer fit les portraits de la plupart de ces hommes importants et leur fit cadeau de sa Passion, qu'il offrait de préférence lorsqu'il voulait s'assurer la protection d'un personnage haut placé. Madame Marguerite le voyait toujours avec plaisir, et, chaque fois qu'il se rendait chez elle, il avait l'attention de lui apporter quelques-unes de ses pièces. Il finit même, dans une de ces visites, par lui donner l'œuvre complet de ses gravures, ainsi que deux compositions si précieusement dessinées sur parchemin qu'il ne les estimait pas moins de trente florins.

Les grands seigneurs, les riches banquiers le fêtaient du mieux qu'ils pouvaient. Messeigneurs de Bruxelles, Bonisius, le riche négociant de Malines auprès duquel était Érasme, les représentants des Fugger, les facteurs portugais Tomasin et Roderigo, les sieurs de Rogendorf, étaient beureux de le recevoir. Les seigneurs de Nuremberg, Léonard Groland, Jean Ebner et Nicolas Haller, fiers de leur concitoyen, l'hébergeaient à Bruxelles et l'accompagnaient dans les excursions qu'il fit à Aix pour assister au couronnement du roi Charles, à Louvain, à Cologne, et partout ils payaient la dépense. Dans ces promenades, Albert Dürer emportait tou

jours avec lui un album sur lequel il dessinait les personnages et les objets qui lui paraissaient intéressants. C'est sur l'un des feuillets de ce précieux album1 qu'il exécuta le portrait de Gaspar Sturm, âgé de quarantecinq ans, que nous faisons reproduire ici, grâce à l'obligeance de M. Frédéric Reiset, qui a bien voulu le détacher de sa précieuse collection. Cette tête montre avec quelle conscience Albert Dürer dessinait pour lui-même, n'omettant aucun des détails qui peuvent personnifier un individu. Au verso de ce dessin, fait à la mine d'argent, est esquissée une vue de la maison de ville d'Aix-la-Chapelle.

Ce fut pendant les quelques jours passés à Cologne, qu'il reçut, des seigneurs de Nuremberg, la confirmation de la pension de cent florins que lui continuait le roi Charles, successeur de l'empereur Maximilien, qui la lui avait accordée.

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Albert Dürer quitta Cologne en bateau, descendit le Rhin jusqu'à Till, où il prit la Meuse pour retourner à Anvers. Il profita de son nouveau séjour en cette ville pour visiter la Néerlande, « pays charmant et bizarre, à cause de l'eau qui est toujours au-dessus du niveau de la mer. » Pendant ce voyage, il faillit lui arriver un funeste accident avant d'aborder à Armuyd. « Dans le moment où nous touchions le rivage et qu'on y « jetait le câble, un grand vaisseau paraissait se diriger sur nous avec rapidité. Dans la crainte du danger, les passagers se hâtèrent de des«< cendre du bateau. Je laissai passer tout le monde avant moi, et j'y res«< tai seul avec Georges Kolzler2, deux vieilles femmes, le batelier et un « petit garçon. Mais l'autre vaisseau venait toujours avec plus de force, et <«< il fut impossible de l'éviter. Notre câble, quoique fort, se rompit, et un « grand coup de vent qui s'éleva dans ce moment nous poussa rapide«ment en pleine mer. Nous criâmes au secours, mais personne n'osa se «hasarder, et le vent continuait à nous pousser au large. L'homme du « bateau s'arrachait les cheveux de désespoir. Tous les marins étaient << sortis; nous n'étions que six personnes dans la barque, qui n'était plus «< assez chargée, et nous commençâmes à craindre pour notre vie. Cepen« dant, je dis au patron de prendre courage, d'espérer en Dieu, et d'avi«ser à ce qu'il y avait à faire. Il nous dit que si nous parvenions à hisser " la petite voile, nous pourrions essayer ensuite de regagner la côte. Nous <«<lui aidâmes avec beaucoup de peine à hisser la voile à moitié, et nous. approchâmes du port. Lorsque ceux qui étaient à terre virent les efforts

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4. Un grand nombre de ces dessins, recueillis par M. Nagler, se trouvent actuellement au Musée de Berlin. Beaucoup d'autres se voient dans la Bibliothèque de Bamberg. 2. Peut-être George Kotzel, qui, en 1459, éleva à Nuremberg une chapelle sur le modèle de celle du Saint-Sépulcre.

« que nous faisions pour aborder, ils vinrent à notre secours, et nous

débarquâmes enfin. »>

A son retour à Anvers, il se vit accueilli par les artistes avec la même bienveillance que par le passé. Les orfévres l'invitèrent, lui et sa femme, au carnaval des maîtres; ils lui offrirent un repas exquis, pendant lequel il lui fut fait, dit-il, « beaucoup trop d'honneur.»

Le lundi après Pâques, il se rendit à Bruges en voiture, avec Hans Luber et maître Jean Ploos, bon peintre de cette ville qui l'hébergea. Les artistes, les orfèvres et les négociants tinrent à lui manifester l'estime qu'ils avaient pour son talent. Chaque jour voyait recommencer l'un de ces festins homériques dans lesquels coulaient à grands flots les vins les plus renommés; et, le soir, la société tout entière le reconduisait chez lui à la lueur des flambeaux.

A Gand, Albert Dürer ne fut point reçu d'une manière moins brillante. Le doyen des peintres, accompagné des plus distingués d'entre eux, vint lui rendre visite, et l'accueillit «< comme un grand artiste. » Ils l'accompagnèrent tous ensemble pour lui montrer les merveilles de leur ville, et, entre autres choses, le célèbre tableau de l'Adoration de l'Agneau, que les frères Van Eyck avaient exécuté pour Philippe le Bon; le duc de Bourgogne s'y trouve en effet représenté à cheval. « C'est un ouvrage. admirable, dit Albert Dürer, qui montre un grand génie, particulièrement dans les figures d'Ève, de Marie et de Dieu le père. »

Revenu à Anvers, Albert Dürer souffrit d'un mal dont il avait senti les premières atteintes en Zélande; mais, bientôt remis, il assista à la noce de maître Joachim Patenier, devenu son ami, qui lui en fit tous les honneurs.'

Jusqu'alors Albert Dürer était toujours le grand artiste que les seigneurs et les riches marchands s'enorgueillissaient de recevoir. Ses notes montrent combien il était sensible à toutes ces marques d'estime, et combien il aimait ces réceptions dont il était le héros. Mais tout allait bientôt changer. La réforme proclamée par Luther divisait l'Europe, et nul homme ne pouvait rester indifférent à ce qui se passait. Albert Dürer prit parti pour les idées nouvelles, et lorsque le faux bruit de l'arrestation de Luther se répandit à Anvers, il éclata en reproches contre ceux qui avaient <«< trahi1, vendu l'homme pieux, éclairé par le Saint-Esprit, qui était << parmi nous le représentant de la véritable foi chrétienne. Vit-il encore, « ou l'ont-ils assassiné? Je ne le sais pas.

«Mais ce que je sais, c'est qu'il aura souffert pour la vérité, parce qu'il

1. Frédéric le Sage, qui l'avait fait élever, était parvenu à le faire enlever, et lui avait donné son château de Wartbourg pour refuge.

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Dessin de l'Album de voyage d'Albert Dürer, de la collection de M. F. Reiset.

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