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ensemble, le graveur devait prendre son point de départ dans l'idée même de la composition. Les deux jeunes filles assises, telle est, avec l'ange qui protége l'une et avec le démon qui perd l'autre, la scène principale. Placés au centre du tableau, ces quatre personnages ont reçu du peintre de plus grandes dimensions, et ont été traités d'une palette plus vive et plus variée. Le graveur devait suppléer aux ressources qui lui manquaient par un burin plus énergique, par un modelé plus vigoureux. C'était le seul moyen d'appeler et de retenir le regard du spectateur.

Le sujet du Christ rémunérateur et vengeur, quoique plus terrible en ce sens qu'il nous met en face de l'irréparable et de l'éternel, a reçu d'Orsel de plus petites dimensions, et une coloration plus simple et moins attirante, parce que, au point de vue de la scène principale, il n'est pas encore réalisé, et qu'il ne doit occuper l'attention qu'en second lieu. C'est par la clarté de la lumière céleste où siége le souverain juge, et non par la richesse des tons, qu'il frappe les yeux. Il fallait donc aussi que cette composition fût gravée dans une harmonie plus douce et que le relief en fût moins accentué.

Mais le problème le plus délicat à résoudre, c'était de subordonner à ces deux tableaux les huit petites compositions et les mille détails d'ornementation qui les entourent. Le peintre avait triomphé de cette difficulté par l'emploi de couleurs simples sur un fond d'or et par l'opposition d'une bande de mosaïque. Mais la tâche du graveur était bien plus épineuse, et c'est ici que Vibert nous paraît être entré dans l'intimité même de son art. Il a mis ces huit petites compositions et tous les ornements qui les accompagnent dans un demi-ton ferme et transparent, dans une demilumière qui projette des ombres douces, et il est ainsi arrivé, par un tout autre moyen que le peintre, à un parti général qui correspond fidèlement à l'effet du tableau; mais ce n'a pas été sans de nombreux sacrifices, ni sans une volonté persévérante et de longs tâtonnements, qu'une telle unité a pu être obtenue.

Maître de ce résultat, l'artiste aurait pu se contenter du moyen qui l'y avait conduit. Sur les pas du peintre, il s'engage plus avant encore dans la traduction de l'idée. Il est une marque évidente à laquelle se reconnaissent les maîtres, c'est quand les figures principales sont aussi les plus fortes d'expression et les plus belles de forme: c'est le caractère manifeste du tableau d'Orsel. A mesure que se présentaient sous le pinceau de l'artiste les figures les plus importantes et de l'ordre le plus élevé, il avait su trouver plus de beauté, il avait agrandi son style et donné plus de ressort à ses expressions. Vibert comprit aussi qu'il lui faudrait, dès le commencement, se tenir sur ses gardes, et réserver pour l'expérience de

la fin tout ce qu'il y avait de plus difficile à rendre et de plus décisif. Dans la gravure, comme dans le tableau, les deux jeunes filles attirent d'abord les regards par la diversité de leur expression : l'une remplie de ce trouble qui trahit une lutte où la passion se contient encore; l'autre si heureuse et si calme en son innocence. Viennent ensuite l'ange et le

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démon, qui forment comme la conscience visible des deux jeunes filles, et où le burin, prenant une force magistrale, entre en lutte avec toute la complexité de la peinture.

Dans le second tableau, la figure du Christ appelle d'abord l'attention par la dignité et par l'énergique immobilité de son maintien : c'est le Pouvoir incontesté. Là encore se retrouvent les deux jeunes filles avec leur double expression, poussée en ce moment, l'une jusqu'à l'absolu désespoir, l'autre jusqu'à l'entière béatitude. De chaque côté se voient aussi l'ange protecteur et le démon. Dans ces diverses figures, le graveur, comme le peintre, a su rester précis avec douceur et énergique avec mesure.

Si maintenant nous passons aux huit petits sujets, qui sont bien secon

daires en apparence, et que le peintre et le graveur ont su maintenir à leur place, rendons-leur un moment, à l'aide de la loupe, une importance dont Orsel et Vibert ne les ont dépouillés qu'au profit de l'ensemble, et nous verrons aussitôt se développer devant nous la vie et l'expression avec autant de force que dans les deux autres. Observez cette mère qui scrute jusqu'au fond des yeux la pensée secrète de l'homme d'armes qui lui demande la main de sa fille, et voyez-la dans le tableau des fiançailles exprimer par toute son attitude, à celui qui va devenir son gendre, le bonheur qu'elle implore pour sa fille. Mais le mariage a eu lieu, et la jeune femme est devenue mère. Étendue sur le lit de douleur, elle présente à son mari, tout armé et prêt à partir, le nouveau-né en qui tous deux revivent pour s'aimer plus étroitement encore. Puis est venue l'heure du retour. L'homme d'armes est assis et aide aux premiers pas de son enfant, qui tend ses petits bras à sa mère. Tableau simple, mais charmant, qui ne peut guère être compris en dehors de la famille.

En regard de ces quatre tableaux qui représentent, pour ainsi parler, quatre des stations du bien, se placent quatre degrés qui mènent à l'abîme. La jeune fille, qui a rejeté le livre de la sagesse, s'enfuit avec son ravisseur sur un cheval lancé au galop. Elle est ivre de joie, et, audessus de sa tête, le démon ailé rit aussi. Mais déjà elle est abandonnée. En vain, à genoux sur le sol nu, elle crie pitié pour son enfant; le cœur et la maison de celui qui l'a séduite leur sont fermés à tous les deux. Alors elle s'en retourne au seuil paternel avec son cher et triste fardeau ; mais là aussi un mur infranchissable s'élève devant elle : c'est son père et sa mère qui se placent, comme un rempart, entre elle et leurs deux autres enfants. Dieu seul serait son refuge; elle le méconnaît, et, se détournant de la pénitence, elle se précipite dans le désespoir. Le démon vainqueur souffle sur elle une haleine sanglante: elle tue son enfant et se pend à un arbre.

La double légende est achevée, la double leçon est complète.

Dans les plus petits détails, dans les moindres ornements, vous retrouvez partout la même pensée, le bien et le mal se disputant le monde,

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et vous en suivez le développement selon l'ordre établi par le peintre, en vertu de l'idée mère dont il avait entrepris la réalisation. C'est évidemment là une œuvre sûre d'elle-même, où éclate l'originalité accrue et mûrie par la réflexion. Vibert ne s'y était pas mépris, et, en l'assignant pour but au principal effort de son burin, il porte les esprits chercheurs à se mettre en quête des voies et moyens par où il est arrivé ä comprendre si bien cette simple, mais profonde peinture.

La gravure qu'il en a faite et où il a concentré, on peut le dire, la

substance de ses plus fécondes années, a pour commentaires naturels les travaux par lesquels il y a préludé et les préceptes qu'il en a tirés. Ce qu'il y a, en effet, de particulier dans l'ensemble de la production de ce maître, c'est que la production en elle-même, l'étude d'où elle dérive et la doctrine où elle se généralise, ne forment qu'un seul et même tout.

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De bonne heure, il fut habile au maniement des outils que réclame la pratique de la gravure. Jeune encore et au sortir de l'atelier de M. Pauquet, son premier professeur, il essaya ses forces en dessinant et en gravant, d'après Gaspard Netscher, la Leçon de basse de viole; mais, malgré le bon accueil qui fut fait à cette gravure du genre familier, Vibert se sentait appelé vers un genre plus élevé, la gravure d'histoire, et il alla demander à M. Richomme la faveur d'être admis parmi ses élèves. M. Richomme, après avoir examiné une épreuve de la Leçon de basse, prit Vibert par la main, et, le présentant à ses nouveaux condisciples, leur dit « Voilà un jeune homme qui sait son métier, et qui vient avec « vous apprendre son art. »

On ne pouvait mieux penser ni mieux dire.

Après une année d'étude, Vibert s'enquit auprès de son maître s'il devait participer au concours du grand prix de Rome qui allait avoir lieu. «Non, lui répondit M. Richomme, vous auriez à peine la chance d'un « second prix. Travaillez encore deux ans. » Par un effort d'obéissance qui ne se retrouve guère dans les jeunes esprits de nos jours, Vibert refoula son ambition précoce. Deux ans après (1828), il remportait le premier prix.

Ce qui le préoccupe surtout en arrivant à Rome, on le reconnaît bien à cette marque, ce n'est pas la gravure (il en croit déjà posséder les moyens et le mécanisme), c'est le dessin, cet art princeps, si l'on peut dire, qui, par l'étude approfondie de la forme, explique la nature, et qui, par le choix, la fortifie. Les Stanze de Raphaël captivent tout d'abord les regards de Vibert, et séduit par le rendu étonnant qui caractérise chacune des parties de la Bataille de Constantin, il fait quelques études d'après cette fresque, où la main énergique de Jules Romain s'est si fièrement mise au service des cartons de Raphaël. Mais au milieu de ces Stanze, où tant d'œuvres diverses viennent solliciter le regard et éclairer la pensée, Vibert, secondé d'ailleurs par l'heureuse disposition de son esprit, ne tarde pas à se tourner de préférence vers les pages plus intimes et plus modestes où respire toute la virginité de ce génie complexe, qui a presque surpassé l'art grec dans la conception et la reproduction du beau. L'élève, déjà plus mûr, de la villa Médicis, quitte la Bataille de Constantin pour la Dispute du Saint-Sacrement.

Il ne fallait pas une médiocre hardiesse pour chercher et admirer Raphaël dans celle de ses peintures qui était alors la plus délaissée et dont le sens allait se perdant. Bien qu'elle fût tout entière de ce divin maître, elle appartenait trop à ce que l'on nomme sa première manière, elle était trop simple, trop chaste, trop contenue, pour que les artistes français, mal préparés à la comprendre, pussent hésiter à lui préférer celles des fresques de Raphaël où l'ampleur de l'effet et de l'exécution frappe tout d'abord les yeux. Mais Vibert ne s'y méprit pas, et l'angélique pureté qui revêt, comme d'un nimbe, la Dispute du Saint-Sacrement, la lui signala dès cette époque et la lui désigne encore au moment de sa mort c'étaient ses paroles, comme la peinture par excellence. Il se mit à la copier, et, pour mieux pénétrer dans l'intimité du modèle, il résolut d'en reproduire en quatre dessins toute la partie inférieure. Le premier de ces dessins se ressentait de l'enseignement puisé dans l'atelier de Paris; toutes les difficultés que le trait y pouvait offrir, l'artiste les avait esquivées en s'abritant sous l'effet trop prononcé des ombres. Plus sin

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