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cère dans le second, il n'accompagna plus le trait que par des ombres douces, et mit ainsi à découvert tous ses défauts, seul moyen de les pouvoir combattre. Dans le dernier dessin, l'imitation est franche et rigoureuse. Vibert savait enfin la langue de Raphaël. Le spectacle de cette lutte, assez rare alors parmi les lauréats de notre école, frappa l'attention et mérita la sympathie de deux artistes français qui n'appartenaient pas à la Villa Médicis l'un, Victor Orsel, est mort après avoir peint, dans l'église de Notre-Dame-de-Lorette, un hymne à la Vierge de peu de surface, mais d'une grande profondeur; l'autre, M. Alphonse Périn, après avoir donné sa mesure dans la chapelle du Christ de la même église, se consacre tout entier désormais à la reproduction de l'œuvre d'Orsel.

Celui-ci, voyant dans Vibert un artiste tout préparé à le comprendre, lui parla des illustres graveurs qui avaient appartenu, soit à l'école, soit au siècle de Raphaël. A peine Vibert les connaissait-il de nom; et on ne lui avait pas appris à en faire grand cas. Mais Raphaël le mettait tout naturellement sur la route des travaux de Marc-Antoine et l'initiait à la connaissance des principes sur lesquels s'appuient ces admirables gravures que l'on n'a point surpassées. « Si j'étais graveur, disait « souvent Orsel, j'éprouverais une grande jouissance d'artiste à remettre «< ces principes en honneur, sans négliger toutefois les qualités d'harmo«nie et d'agrément. »

Orsel avait une puissance communicative dont M. Ingres lui-même s'est plu à reconnaître l'action. Vibert en fut tout pénétré, et, à son départ de Rome pour Florence, il emporta dans son esprit, comme une graine féconde, les paroles de l'ami qu'il s'était fait. Ses études prenaient en outre une direction de plus en plus sévère. Sur la recommandation d'Orsel, il s'arrête à Assise pour y contempler les inventions fortes et naïves du Cimabuë et du Giotto, ces vieux maîtres dont les noms et les ouvrages étaient alors oubliés; puis il se rend à Florence. Dans cette belle Toscane, au milieu de ces fresques inspirées par le Dante, sa félicité d'artiste est au comble, et il se fortifie par un commerce journalier avec les créations des Orcagna, des Masaccio, des Fiesole, des Andrea del Sarto. Au cloître de l'Annunziata, dans la fresque où Andrea del Sarto, à l'âge de vingt-trois ans, a représenté la vie de saint Philippe dei Servi, il retrouve cette fleur de talent, cette fraîcheur de pensée, cette vérité de scène, cette netteté, cette simplicité d'expression qu'il avait tant aimée dans les Stanze de Raphaël. Son choix est arrêté. Il se met à l'œuvre et il rend, avec la savante ingénuité dont il a enfin trouvé le secret, la scène de l'enfant que ressuscite la dépouille mortelle de saint Philippe. Il fait ensuite un dessin d'après le portrait de Masaccio peint par lui-même,

puis il revient à Rome où il est rappelé par les règlements de l'École. Sa gravure du portrait de Masaccio est de cette époque. On n'y retrouve plus ce joli mécanisme d'outil qu'il avait regardé jusque-là comme l'art de la gravure, et qui n'en est que le métier. Laissant de côté les losanges et les autres combinaisons du même genre, il simplifie les moyens et regarde l'emploi des tailles comme nécessairement dicté par les plans et par les formes; il renonce à toute prétention de rendre la couleur des objets par du noir, et il considère cet obscurcissement des lumières comme la ruine des principes mêmes de la construction. On le voit: ses études et la parole d'Orsel avaient porté fruit. Reprendre les principes de Marc-Antoine et y joindre l'agrément d'Albert Dürer, telle est en résumé la doctrine qu'il tenait d'Orsel et dont il ne s'est jamais départi.

L'accueil sympathique fait à la gravure de Vibert par la critique parisienne, à l'exposition des envois de Rome, ne pouvait qu'affermir l'artiste dans sa voie nouvelle. Aussi lorsqu'il se trouva seul à Rome, par suite du départ d'Orsel et de M. Périn, que le contre-coup de la révolution de 1830 ramenait à Paris, il retourna au Vatican, dans ces chères Stanze où il était pour ainsi dire né à la lumière et au sentiment du beau. Il y copia au crayon, dans la chambre du Saint-Sacrement, la fresque du jugement de Salomon. En s'attachant par-dessus tout à l'ensemble, comme avait fait Raphaël, il parvint, comme lui, à dissimuler les imperfections de détail qui ont échappé à l'exécution rapide de la fresque. Après cette sérieuse étude, où il avait prouvé si clairement qu'il comprenait et respectait la pensée du maître, il se sentit attiré dans la galerie Camuccini par un précieux joyau, la Vierge à l'œillet, qui appartient à la première manière de Raphaël, et où la candeur de l'exécution s'allie avec tant de charme et d'à-propos à la grâce toute juvénile de la conception et de l'expression. Il en fit une délicate copie et en commença la gravure.

au seuil

Mais le voici arrivé à cette heure amère où cessent les rêves du jeune homme pour faire place aux graves soucis de l'âge mur. Adieu les belles promenades et les longues méditations à travers les basiliques et les musées de la ville éternelle. La munificence de l'État a fini sa tâche. Il faut quitter cette Villa Médicis, où l'on n'avait qu'à se laisser penser et vivre; il faut entrer dans cette bataille de la vie, dont le bruit expirait de l'école. Parce que l'on sentait les beautés des chefs-d'œuvre, on s'était cru soi-même un grand artiste; parce que la seule difficulté semblait être de produire, on s'était, au sortir de l'école, lancé hardiment au milieu de la foule. Que de brusques et cruelles déceptions! A l'un, fait pour copier, manque la vertu créatrice; l'autre pourrait copier, mais la vie de chaque de jour qui lui crie - Marche et souffre! - lui donne à peine le temps

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concevoir. Quel terrible passage! et combien peu réussissent à le franchir!

Une chaire de gravure venait d'être instituée (1833) à l'École des Beaux-Arts de Lyon. Elle fut offerte par le maire à Vibert, sur la recommandation d'Orsel et de M. Bonnefond, directeur de cette école. Vibert s'empressa d'accepter. Il voyait dans cette chaire un refuge où il échapperait aux exigences des éditeurs et de la mode, et où il lui serait possible de réaliser son rêve de graveur. Ce fut donc par la porte du professorat que l'élève de Rome sortit des bancs et entra dans la vie.

Il se rendit d'abord à Paris, où se trouvait Orsel, qui venait d'exposer au Louvre, avec un grand succès, son tableau le Bien et le Mal. Mieux préparé que tout autre, par ses études en Italie, à l'intelligence de cette page ou plutôt de ce poëme, il comprit que le reproduire à l'aide du burin, ce serait un de ses meilleurs titres d'honneur et le point culminant de sa carrière. Il sollicita d'Orsel la faveur de graver cette noble peinture, et il se mit à l'œuvre. Depuis cette époque jusqu'à l'entier achèvement de son travail, il ne l'interrompit que pour s'occuper de ses élèves. Et quand les vacances de l'école de Lyon lui rendaient toutes ses heures, il s'empressait d'aller les passer à Paris, soit dans l'atelier d'Orsel, soit à Notre-Damede-Lorette, sur l'échafaudage où ce grand peintre a trouvé en même temps la mort et la gloire. Là, Vibert recevait de précieux avis pour la solution des difficultés que lui présentait sa gravure, et il puisait dans l'exemple du maître, des forces nouvelles pour la reprise de son enseignement.

Mais Orsel mourut, et Vibert, outre la douleur que lui causa cette mort, put croire brisée cette chaîne amicale de conseils qui le guidait si sûrement dans l'interprétation du tableau d'Orsel. Son erreur fut courte. M. Périn, armé de la même doctrine que son ami, le remplaça auprès de Vibert, qui put arriver ainsi à la fin de sa gravure sans dévier des principes convenus avec le peintre.

C'était pour se consacrer exclusivement à l'interprétation de cette belle page, qu'il avait accepté les rudes et trop souvent ingrates fatigues du professorat. C'est aussi à graver la Mater Salvatoris d'Orsel, qu'il espérait employer les dernières années de sa vie. Après sa mort, on trouva sur sa table, dans son atelier, le noble dessin qu'il voulait reproduire, la planche de cuivre où brillaient déjà les premières tailles, et le dernier burin qu'il avait employé. Il avait laissé chaque chose comme pour y revenir au bout d'une heure.

Recherchant le bien et le beau en eux-mêmes, sans se préoccuper des entraînements de la mode, et retrouvant, comme Orsel, le secret des

pensées qui avaient dirigé les vieux maîtres, il eut le même sort que lui. Tous les deux moururent prématurément et dans le vif de leur œuvre : les restes d'Orsel furent ramenés à Oullins, où il était né, et ceux de Vibert à Paris, sa ville natale. Tous deux laissent un exemple qui ne sera pas stérile, et des travaux qui seront l'honneur de l'école française.

Ni l'un ni l'autre n'a reçu de distinction honorifique; mais, tandis que M. Alphonse Périn édifie à la mémoire d'Orsel un monument composé de la reproduction des dessins de l'illustre défunt, M. Reveil, ancien maire de Lyon, et M. Vaïsse, sénateur, ont fait acheter par cette ville les plus beaux dessins de Vibert. A défaut de portrait ou de buste, on pourra admirer ainsi l'âme et l'intelligence de cet excellent artiste, qui s'est trouvé être à la fois un homme de bien.

Lorsque, dans la série des mouvements de l'esprit humain, arrive l'époque où le plaisir des yeux tend à devenir la règle et où le grand art semble ne plus être que le secret d'esquiver, le plus agréablement possible, les difficultés de la science, il est bon, il est salutaire que des hommes de cœur, revenant sur leurs pas, se mettent en quête de la raison des choses, et, reprenant comme à nouveau leurs études, cherchent à ne plus donner pour base à leurs œuvres que la vérité, la simplicité et l'émotion du cœur. Ils peuvent ne pas être immédiatement compris par tout le monde; mais, à quelque degré que leurs efforts et leur bonne volonté les aient fait parvenir, l'estime de ce petit nombre de juges éclairés et sincères qui, d'année en année et de siècle en siècle, finissent par composer ce tribunal suprême que l'on nomme la postérité, ne leur manquera pas.

Telle est la lutte qu'à l'exemple d'Orsel soutenait Vibert. Sa gravure du Bien et le Mal en est à nos yeux l'acte le plus décisif. Considérée en elle-même, non plus comme tout à l'heure, au point de vue supérieur de l'idée, mais à celui de l'exécution, elle ne présente pas moins d'intérêt. Elle devait se faire modeste et n'occuper les yeux qu'après avoir aidé les expressions et les idées à produire leur effet, ou plutôt elle devait se mettre exclusivement au service de l'expression et à celui de la forme et du style. Plus le graveur s'efface derrière le peintre, plus il devient éloquent, mieux il atteint au but de son art. Si, au lieu de vanter tout d'abord l'habileté de sa main, l'ingénieuse combinaison de ses moyens, la variété de ses travaux, la belle couleur de ses tons, on vante la force de ses expressions, la justesse de ses formes, la propriété de son style; si, en un mot, le traducteur s'élève au niveau du peintre, il se sera montré un véritable graveur, dans la signification sincère du mot.

Est-ce à dire qu'il faille négliger et abandonner l'art même de l'exé

cution, comme dans beaucoup de gravures faites par des peintres? En aucune sorte. On ne doit pas donner un seul coup de burin qui n'ait sa raison d'être, qui ne soit le plus propre à exprimer d'une manière concise la forme ou le plan qu'il est appelé à rendre.

La gravure de Vibert est à la fois classique et originale. Elle nous paraît appelée à figurer parmi les productions les plus substantielles de l'École française. En la prenant pour modèle et pour sujet d'étude, on y apprendra non-seulement à graver, mais à penser. Et je ne parle pas ici de la pensée philosophique, mais de cette faculté de concentration première, qui est nécessaire à l'art comme à la science, et sans laquelle on n'arrive qu'à de vaines surfaces dénuées de support. Sans la pensée, l'art n'est plus qu'un arbre de belle apparence qui manque de racincs et que le moindre souffle jette par terre.

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