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« L'art, dit Winckelmann, doit commencer, comme la sagesse, par la connaissance de nous-mêmes. » Quel objet plus digne de nos études pourrions-nous choisir dans la nature entière, que l'être en qui sont résumées toutes les créations antérieures, en qui sont fondus tous les contrastes et toutes les harmonies, la variété et l'unité, le pair et l'impair, la liberté et la règle, la disparité et la symétrie?

Le corps de l'homme, debout sur le sol, est le prolongement d'un rayon du globe, perpendiculaire à l'horizon. L'axe de son corps, parti du centre de la terre, va rejoindre les cieux. Cette ligne verticale, qui est l'axe, divise le corps de l'homme en deux parties

parfaitement symétriques. Passant à égale distance des organes doubles

et au milieu des organes simples, elle montre, dans la largeur, une admi

rable pondération. Deux yeux reçoivent l'impression de la lumière; deux oreilles perçoivent les sons, deux narines s'ouvrent aux odeurs, et si une membrane unique est affectée aux saveurs, elle est manifestement divisée en deux segments pareils par une ligne médiane. Cette ligne traverse tout le corps sans être partout apparente; mais le trajet en est indiqué, comme l'observe Bichat, par des points de repère évidents, tels que «les rainures de l'extrémité du nez et du milieu des lèvres, la fossette du menton, le nombril, le raphé du périnée, la saillie des apophyses épineuses, l'enfoncement moyen de la partie postérieure du cou. » L'homme, enfin, a deux épaules, deux bras et deux mains, deux jambes et deux pieds, c'est-à-dire une vie droite et une vie gauche, l'une pouvant, au besoin, suppléer l'autre. Mais, dans la longueur, il n'en est plus de même. Ici, l'inégalité des divisions vient contraster avec la symétrie bilatérale et en rompre l'uniformité. Les bras sont plus longs que le torse, les jambes sont plus longues que les bras, et le torse domine à son tour les autres membres par son volume et son importance. Mais la similitude reparaît, au sein de l'inégalité, dans la subdivision des membres, car le bras se partage en trois parties inégales, comme la jambe, et le pied se termine par cinq doigts, comme la main. Ainsi le corps humain, offrant l'opposition dans la symétrie et la diversité dans l'équilibre, réalise ce principe de l'antique initiation : « L'harmonie naît de l'analogie des contraires. »

Toutes les expressions harmoniques sont réunies dans la figure de l'homme. « La forme de la tête humaine, dit Bernardin de Saint-Pierre, approche de la sphérique, qui est la forme par excellence. Sur sa partie antérieure est tracé l'ovale du visage, terminé par le triangle du nez, et entouré des parties radiées de la chevelure. La tête est, de plus, supportée par un cou qui a beaucoup moins de diamètre qu'elle, ce qui la détache du corps par une partie concave.

«Cette légère esquisse nous offre d'abord les cinq termes harmoniques de la génération élémentaire des formes. Les cheveux présentent la ligne; le nez, le triangle; la tête, la sphère; le visage, l'ovale; et le vide audessous du menton, la parabole. Le cou, qui, comme une colonne, supporte la tête, offre encore la forme harmonique très-agréable du cylindre, composé du cercle et du quadrilatère.

«Ces formes ne sont pas tracées d'une manière sèche et géométrique, mais elles participent l'une de l'autre, en s'amalgamant mutuellement, comme il convenait aux parties d'un tout. Ainsi, les cheveux ne sont pas droits comme des lignes, mais ils s'harmonisent, par leurs boucles, avec l'ovale du visage. Le triangle du nez n'est ni aigu, ni à angle droit; mais, par le renflement onduleux des narines, il s'accorde avec la forme en

cœur de la bouche, et, s'évidant près du front, il s'unit avec les cavités des yeux. Le sphéroïde de la tête s'amalgame de même avec l'ovale du visage. Il en est ainsi des autres parties, la nature employant, pour les joindre ensemble, les arrondissements du front, des joues, du menton et du cou, c'est-à-dire des portions de la plus belle des expressions harmoniques, qui est la sphère. »

Tout ce qui avait, dans les animaux, le caractère de la nécessité, est devenu beauté dans le corps de l'homme. Le torse, enveloppe protectrice de la vie organique, présenterait une masse lourde s'il n'était évasé avec élégance, varié de parties osseuses et de parties molles, accidenté par les saillies et les dépressions qu'y forment les clavicules et les omoplates, l'attache des bras, les aisselles, les os impairs du sternum, qui divise la poitrine en deux, et de la colonne vertébrale, qui partage également le dos, les côtes et leurs cartilages, le creux de l'estomac, les deux mamelles pectorales, convexes et arrondies, avec leurs aréoles, les sillons latéraux de l'abdomen, les crêtes iliaques, la concavité des aines, et enfin le nombril, qui est la porte murée de la vie organique, comme les yeux sont les fenêtres ouvertes de la vie animale. Que si la base du corps eût été proportionnée au tronc, elle eût été difforme; si la jambe n'était pas double, elle formerait une base trop étroite, et si chacune des deux jambes n'eût pas été plus mince que le torse, elle eût été embarrassée de son propre poids et n'aurait pu mouvoir le tronc qu'elle doit porter. Mais le jeu de ces combinaisons mécaniques se cache sous le revêtement d'un tissu qui adoucit toutes les formes, assouplit tous les rouages et marie toutes les courbes imaginables.

Quelle étonnante richesse d'articulations, quelle prodigieuse quantité de formes et de caractères dans les extrémités supérieures et inférieures du corps, c'est-à-dire dans le bras, l'avant-bras et la main, dans la cuisse, la jambe et le pied! Et à travers cette diversité, combien d'analogies agréables et de consonnances! Ainsi, le creux des saignées et l'aplatissement de l'avant-bras sont opposés à la saillie des muscles qui recouvrent l'épaule et l'humérus, comme la concavité des cuisses contraste avec le renflement du mollet. De même que l'avant-bras s'amincit près du poignet, de même la jambe s'effile près des malléoles; passant de la rondeur au méplat, ces deux parties du corps sont l'une et l'autre moins larges de face que de profil. Tandis que les genoux se correspondent symétriquement, les chevilles, dans chaque jambe, sont différentes de hauteur et de volume et forment ainsi deux accidents inégaux entre eux, mais également répétés d'une jambe à l'autre. Que dire des pieds et des mains, et de l'innombrable variété de contours, d'aspects, de physionomies que

présentent ces membres, suivant qu'ils sont déviés à droite ou à gauche, agités ou en repos, contractés ou abandonnés, fléchis ou étendus! Quel animal pourrait manifester, par l'ensemble de ses mouvements, tout ce que la seule main de l'homme peut exprimer? Par les mains, dit Montaigne, « nous requérons, nous promettons, appelons, congédions, menaçons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, nombrons, confessons, répétons, craignons, doutons, instruisons, commandons, encourageons, jurons, témoignons, accusons, condamnons, absolvons, injurions, méprisons, défions, flattons, applaudissons, bénissons, moquons, réconcilions, exaltons, réjouissons, attristons, déconfortons, désespérons, étonnons, examinons, taisons. »>

Enfin le corps humain est une machine d'autant plus admirable, que le mécanisme en est évident pour l'esprit, mais voilé au regard. A chaque instant, cette géométrie vivante est dissimulée par le mouvement, rompue par la perspective, masquée par la grâce. La figure humaine est donc une parfaite image de cette eurythmie qui, chez les Grecs, signifiait l'ensemble de toutes les mesures, la variété des accords contenue dans l'unité du concert.

Cherchons maintenant à quoi répond cette beauté par excellence, cette merveilleuse eurythmie du corps humain.

L'homme est le seul être créé pour la vie de relations, pour la vie de l'espèce. Au-dessous de lui, l'existence est emprisonnée dans les conditions de l'organisme ou réduite aux mouvements de l'instinct. Considérons une plante elle vit d'une vie interne et solitaire, d'une sensibilité silencieuse. On la voit naître, croître et périr sur le sol qui en reçut le germe. Elle peut avoir quelque régularité dans ses formes répétées, correspondantes ou alternes, mais elle n'a que des dimensions: elle n'a pas encore de proportions. En effet, la proportion est le rapport constant d'une certaine partie avec le tout et avec les autres parties du tout... Que si l'être ainsi ébauché vient à se revêtir d'un appareil d'organes extérieurs, le végétal s'élèvera de la vie organique à la vie animale, à celle qui doit le mettre en communication avec les êtres environnants; il va entrer dans le règne où se prépare l'habitation de l'intelligence; il était vivant : il devient animé.

Dans les animaux se manifestent déjà l'ordre, la proportion et la symétrie; mais comme la plante était une ébauche de la vie, l'animal n'est qu'une ébauche de la beauté. Fixé en certaines régions, borné à une seule industrie, gouverné par l'instinct, il n'a qu'un semblant de liberté et de vouloir. Il établit des relations, mais il n'a, pour communiquer ses désirs

ou ses craintes, qu'une voix, un glapissement, un cri. Ayant tout reçu de la nature, leurs vêtements, leurs fourrures, leurs armes et des aliments à leur portée, les animaux n'ont plus rien à conquérir, et le progrès, par cela même, leur est interdit. Ce sont des instruments admirables qui paraissent attendre une volonté supérieure pour la servir. Ils ont la vie extérieure, sans doute, mais non point la vie de l'espèce. Incapables de pénétrer l'essence des choses, ils ne sauraient posséder entièrement le beau, parce qu'ils n'en possèdent point l'idée.

Maintenant, si nous montons au sommet de la création terrestre, nous voyons tout à coup apparaître la raison. Ce qui était animé est devenu intelligent; ce qui était symétrique est devenu beau. La plante était muette; l'animal avait une voix, un cri : l'homme seul a le langage et la mélodie. Le végétal était captif, la bête se mouvait dans le cercle fatal de ses instincts: l'homme seul est libre, et il est libre en vertu du principe même qui lui fait comprendre la nécessité. En lui, la vie extérieure de l'animal est devenue collective; il communique non-seulement avec ses contemporains, mais avec tous les êtres qui furent distribués dans l'étendue des âges; il vit de la vie universelle de l'espèce, c'est-à-dire de la seule vie qui puisse développer l'être. «L'humanité, dit Pascal, est un homme qui vit toujours et qui apprend sans cesse.»

A l'inverse des animaux, qui ont tout reçu, l'homme a dû se donner toute chose, et par cela même la loi du progrès lui a été imposée. Sa faiblesse l'a conduit à découvrir les éléments de la force; sa nudité l'a contraint de se créer des vêtements et d'inventer une architecture; son impuissance, en un mot, l'a forcé à devenir le maître. Aujourd'hui, faute d'avoir des ailes, il s'élève au-dessus des nuages. Une Vapeur avait rendu son corps aussi rapide que le vent : un fil rend sa volonté aussi prompte que l'éclair. Tous ces miracles ont été accomplis par l'intelligence, et l'intelligence, encore une fois, n'a pu se développer que par la vie de l'espèce. Cette vie est si essentielle à l'homme, que les organes qui devaient la servir lui ont été donnés doubles. Voilà pourquoi il a deux yeux, deux oreilles, deux bras et deux jambes, deux mains et deux pieds, une vie gauche et une vie droite. Mais cette symétrie, qui lui était commune avec la plupart des animaux, ne suffisait point à sa grandeur. Il fallait que le plus intelligent des êtres en fût aussi le plus beau. Comment l'âme, qui peut transfigurer la laideur, n'achèverait-elle point la beauté?

Qu'il y a loin du plus parfait des animaux à l'homme parfait! La beauté de l'animal est toute de convenance. Elle tient à l'évidente destination de ses membres pour la fonction particulière qui lui est départie. Un lévrier, un cerf, une gazelle offrent si bien le caractère de l'agilité, que,

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