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lantes? Pourquoi ce groupe des Grâces! Pourquoi ces têtes narquoises de béliers, ces sylvains lascifs, et ailleurs ces tritons, ces coquilles, ces monstres marins et ces salamandres effroyables? Il ne suffit pas de se nommer Polydore de Caravage et de laisser courir sa main hardie sur le papier, en y semant mille fantaisies, pour avoir produit un chef-d'œuvre. Ici les principes austères, les déductions élevées de la Grammaire de M. Charles Blanc trouvent leur application et leur preuve : « Pour con« server sa dignité, sa grandeur, l'art doit avoir son but en lui-même. » Profiler la poignée d'une épée, y jeter des groupes heureux, des masques spirituels, des feuilles nerveusement déchiquetées, ce n'est point remplir toutes les conditions du programme imposé à l'ornemaniste. Tout cela forme un corps qui veut être animé par une pensée lisible.

Or, cette pensée, nous la trouvons dans plusieurs des ouvrages de Polydore, et notamment dans le vase dont nous offrons la gravure à nos lecteurs. Il faut donc faire deux parts dans l'œuvre du peintre milanais : l'une, comprenant les compositions ornementales issues d'une idée féconde, mûrement réfléchies, châtiées par leur auteur; celles-là, suivant nous, avaient une destination connue d'avance, et ne durent apparaître qu'avec l'assurance de recevoir l'approbation universelle. L'autre part, formée des caprices du loisir, résultat d'une sorte de gymnastique intellectuelle, nous montre l'artiste ouvrant la digue à son génie, essayant, sous les formes les plus variées, pour les usages les plus distincts, le groupement de la figure humaine et des richesses ornementales. Ces ébauches d'un grand homme, sorties du secret de l'atelier et venues jusqu'à nous à travers les siècles, ne sont-elles pas essentiellement curieuses et respectables? Quel enseignement pour le dessinateur et pour le critique! Comme on regarde avec une attention soutenue, avec une secrète émotion, ces débauches du crayon, abandonnées souvent par le maître, entourées d'un culte d'admiration par les élèves qui s'en inspiraient pour en jeter les reflets dans les bronzes, les ciselures, l'ivoire et le bois sculptés du xvi siècle! On se sent heureux de saisir au passage ces manifestations de l'art élevé, prêtes à descendre dans la foule, pour animer toutes choses et mettre en harmonie les monuments publics, les palais splendides et jusqu'aux modestes boutiques (botteghe), où l'artisan laborieux étalait ses produits sans prétention, mais non sans art.

ALBERT JACQUEMART.

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Les nombreux biographes de Pierre Lescot ne nous apprennent point qui fut son père, et tous se bornent à dire qu'il appartenait à la famille d'Alissy, laquelle occupait un rang élevé dans la noblesse de robe. Le renseignement est peu exact, car la famille de Lescot ne s'appelait pas d'Alissy, mais bien de Lissy; il est également peu instructif, et, pensant qu'il ne l'était point assez pour qu'on s'en contentât, nous nous sommes efforcé d'en découvrir d'autres. Nous avons recueilli ceux qui suivent.

Guillaume Dauvet, seigneur de Clagny, conseiller du roi, maître des requêtes de son hôtel, et second président de la cour des Aides, dont la mort eut lieu postérieurement au mois de septembre 1515, épousa Jeanne Luillier, dame de Francart, et de ce mariage naquit Anne Dauvet, qui fut la femme de Pierre Lescot', seigneur de Lissy en Brie2. Celui-ci, pourvu de l'office de procureur du roi en la cour des Aides, par lettres du 19 octobre 1504, reçu en sa charge le 4 novembre suivant, fut élu prévôt des marchands en 1518, et mourut en 15333. Il posséda, du chef de sa femme, un hôtel situé à Paris, en la rue du Port-Saint-Landry, qu'il

4. Ce nom, en vieux langage, signifiait l'Écossais. Lescot descendait vraisemblablement de l'ancienne famille parisienne ainsi appelée, et dont plusieurs membres figurent parmi les contribuables, dans les rôles de la Taille, sous Philippe le Bel.

2. Le P. Anselme (Histoire généalogique, t. VIII, p. 775, C) dit de Lizy-sur-Ourcq; mais il se trompe, car, dans tous les titres, le mot est écrit Lissy, et nous avons fini par acquérir la certitude matérielle que le fief des Lescot était celui de Lissy, canton de Brie-Comte-Robert, à 10 kilomètres de Melun.

3. D'après une note des registres secrets de la cour des Aides (Archives de l'Empire, reg. Z 757, p. 3).

vendit à Pierre Filhol, archevêque d'Aix', et aussi le fief de Clagny, paroisse de Montreuil, près de Versailles, à l'occasion duquel, le 5 février 1531, il eut à donner aux Célestins un reçu de 8 écus au soleil, qui existe encore et porte sa signature. C'est ce Pierre Lescot, procureur du roi en la cour des Aides, qui fut le père de Pierre Lescot, l'architecte.

Si ce dernier avait réellement, quand il mourut, l'âge de soixantehuit ans qu'on lui prête, il dut naître en 1510, c'est-à-dire vers la même époque que Philibert de l'Orme, Jaques Androuet du Cerceau, et Jean Bullant. Il était Parisien, au dire de Jean Goujon, qui, ayant longtemps travaillé avec lui, le connaissait bien, et vante son mérite 3. Il ne fut point seigneur de Lissy comme son père, mais il fut, comme lui, seigneur du fief de la Grange du Martroy, en la justice de Montreuil, et, comme son grand-père maternel, seigneur de Clagny, qualité en laquelle, au bas du

4. Comptes de la Prévôté, ap. Sauval (t. III, p. 617). Pour notre Histoire du Vieux Paris, nous avons dû rechercher les titres de propriété de cette maison, et nous les avons retrouvés remontant jusqu'au milieu du xiv siècle (1360). Elle appartenait alors aux religieux de l'abbaye de Saint-Jean-de-Laon, et, comme elle n'avait point été amortie, le roi, en la censive duquel elle était, força ces moines à la « mettre hors de leurs mains. >> En conséquence, le 25 février 1385, ils donnèrent procuration pour l'aliéner, à dom Jean d'Estrecelles, qui la vendit effectivement, et au prix de 600 francs d'or, à un secrétaire du roi, Nicolas Bougis, lequel en fut ensaisiné le 24 mai 1386. Bougis, le 4 août 1398, la céda à son tour, et moyennant 4,350 écus d'or, à Guillaume Cardonnel, chanoine de Bayeux et prémier médecin du dauphin. Cardonnel, devenu archidiacre de Josas, en fit don au chapitre Notre-Dame, le 4 octobre 1448, pour fonder son obit. Au mois de février 4442, le chanoine Étienne Pion la prit à bail du Chapitre ; il la transmit ensuite à Jean Dauvet, qui fut premier président du Parlement, et en fit renouveler le bail à la date du 7 décembre 1446, mais en en retranchant apparemment certaines dépendances ou « louaiges. » Guillaume Dauvet, le seigneur de Clagny, fils aîné de Jean Dauvet, mort en 1474, lui succéda dans la possession de la maison; elle échut, après lui, à son beau-fils Pierre Lescot, seigneur de Lissy, et celui-ci, un peu avant sa mort, s'en défit au profit de Pierre Filhol, archevêque d'Aix. En 1547, elle appartenait à Gilbert Filhol, seigneur de la Fauconnerie; en 1550, à sa veuve; en 4554, à Guillaume Boucherat; et, en 1558, au conseiller du roi, Me Louis Dumoulin, ou plutôt à sa femme, Louise Bastonneau, héritière de Guillaume Boucherat. L'emplacement de la maison de Lescot est en partie occupé aujourd'hui par la propriété portant le n° 49, sur le quai Napoléon, en la Cité.

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3. Dans l'Épitre aux lecteurs, que nous avons citée dans notre notice sur De l'Orme,

et qui se trouve à la fin de la traduction de Vitruve par Jean Martin.

4. Ayant eu le titre d'abbé, il a été fréquemment appelé l'abbé de Clagny; de là cette assertion, si souvent répétée, qu'il possédait en commende l'abbaye de Clagny : il n'y a jamais eu d'abbaye de ce nom.

reçu donné aux Célestins l'an 1531, il en ajouta un autre qui nous a fourni le spécimen de sa signature que nous donnons ici.

On ne connaît guère, de la vie de Lescot, que les détails contenus dans une épître qui lui fut adressée par le poëte Ronsard, et dont nous copierons textuellement les parties intéressantes, préférant les reproduire à les paraphraser :

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Toy, l'Escot, dont le nom jusques aux astres vole,

As pareil naturel car, estant à l'escole,

On ne peut le destin de ton esprit forcer,
Que toujours avec l'encre on ne te vist tracer
Quelque belle peinture, et jà, fait géomettre,
Angles, lignes et poincts sur une carte mettre.
Puis, arrivant ton âge au terme de vingts ans,
Tes esprits courageux ne furent pas contans
Sans doctement conjoindre, avecques la peinture,
L'art de mathématique et de l'architecture,

Où tu es tellement avec honneur monté

Que le siècle est par toy surmonté.

Bien que tu sois noble et de mœurs et de race1,
Sans en chercher ailleurs, riche en bien temporel,
Si as-tu franchement suivi ton naturel;

Et tes premier régens n'ont jamais peu distraire
Ton cœur de ton instinct, pour suivre le contraire.

Jadis le roy François, des lettres amateurs,

De ton divin esprit premier admirateur,

T'aima par-dessus tout ce ne fut en son âge
Peu d'honneur d'être aymé d'un si grand personnage,

Qui soudain cognoissoit le vice et la vertu,
Quelque desguisement dont l'homme fût vestu.

Henry, qui après luy tint le sceptre de France,

Ayant de ta valeur parfaite cognoissance,
Honora ton sçavoir, si bien que ce grand roy
Ne vouloit escouter un autre homme que toy,
Soit disnant, et soupant, et te donna la charge
De son Louvre enrichy d'édifice plus large,
Ouvrage somptueux, à fin d'estre montré
Un roy très-magnifique, en t'ayant rencontré.
Il me souvint un jour que ce prince, à la table,
Parlant de ta vertu, comme chose admirable,

1. Ronsard, on s'en souvient, ne faisait pas le même éloge de De l'Orme.

Disoit que tu avois de toi-même appris,

Et que, sur tous aussi, tu remportois le pris:
Comme a faict mon Ronsard qui, à la poésie,
Maugré tous ses parens a mis sa fantaisie.
Et pour cela tu fis engraver sur le haut
Du Louvre une déesse, à qui jamais ne faut

Le vent à joue enflée, au creux d'une trompette,

Et la monstras au roy, disant qu'elle estoit faite

Exprès pour figurer la force de mes vers,

Qui, comme vent, portoient son nom vers l'univers1. >>

Pierre Lescot était trop bien en cour pour ne pas avoir sa part dans la distribution des bénéfices et des charges que François Ier et Henri II octroyaient, en manière de récompense, à leurs serviteurs. Il fut ainsi conseiller et aumônier ordinaire du roi, et abbé commendataire de Clermont, près de Laval2. On le pourvut de plus, le 18 décembre 1554, d'un canonicat dans l'église Notre-Dame de Paris, au chœur de laquelle il fut solennellement conduit et placé, du côté gauche, le lundi 31 du même mois3. Son nom apparaît effectivement en la liste des chanoines, du jour de Pâques 1555; mais on ne le voit point, pendant cette année, au bas des conclusions du Chapitre. La raison en est sans doute que la réception de Lescot n'avait point été définitive, par suite d'une opposition dont le motif nous est révélé dans une délibération du vendredi 7 août 1556,

Claude Binet, le biographe

1. QEuvres de Ronsard, p. 985 de l'édition de 1609. de Ronsard, raconte ainsi l'anecdote à laquelle le poëte fait allusion : « Il n'y avoit grand seigneur en France qui ne tinst à grande gloire d'estre en son amitié, et ses œuvres en font assez de foy. Ce fut aussi ce qui esmeut le sieur de Clany (P. Lescot), à qui le roy Henry avoit commis la conduite de l'architecture de ses chasteaux, de faire engraver en demy-bosse, sur le haut de la face du Louvre, une déesse qui embouche une trompette, et regarde de front une autre déesse portant une couronne de laurier, et une palme en ses mains, avec cette inscription en table d'attente et marbre noir :

VIRTUTI REGIS INVICTISSIMI.

Et comme, un jour, le roy estant à table, lui demandoit ce qu'il vouloit signifier par cela, il luy répondit qu'il entendoit Ronsard par la première figure, et par la trompette, la force de ses vers et principalement de la Franciade, qui pousseroit son nom et celuy de toute la France par tous les quartiers de l'univers. »

Les bas-reliefs dont il est ici question sont au-dessus de celle des portes de l'aile occidentale, qui est contiguë à l'encoignure sud-ouest de la cour.

2. Au moins dès 1556. Il énonce tous ces titres dans un hommage du 13 septembre 1559.

3. Reg. capitulaires de N.-D. Arch. de l'Emp., LL. 250, p. 913.

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