vente Piérard, le portrait d'un Seigneur de la cour de Henri VIII, par Holbein, un Noli me tangere, esquisse de Rembrandt, et un Petit Cavalier, par Terburg. Enfin, dans l'école française, un Chardin, des Instruments de musique posés sur une table avec une négligence magistrale, des Fragonard, amusants, lumineux et bruyants; enfin, parmi les Watteau, le portrait de Madame de Julienne, dans le costume mythologique et vivement décolleté de la Seine. La vente de cette importante collection aura lieu les lundi et mardi 2 et 3 avril prochains. Exposition particulière le samedi, et exposition publique le dimanche. Une autre vente remplie d'intérêt sera celle des terres cuites, plâtres, tableaux et curiosités, de Victor Huguemin, statuaire plein d'âme et de sentiment, qui est mort naguère dans toute la force de l'âge, et dont nous aurons quelque jour occasion d'apprécier le talent. Cette vente aura lieu le mardi 3 avril prochain, à l'hôtel Drouot. On y remarquera un grand nombre d'esquisses en terre cuite très-finement exécutées, et les plâtres de ses principales statues la Suzanne au bain, la Psyché endormie, dont le marbre est au palais de Saint-Cloud; la Valentine de Milan, une des plus belles statues du jardin du Luxembourg; le groupe de Charles VI, le Christ au jardin des Oliviers, le Sommeil, femme couchée, charmante statuette qui a figuré à la dernière Exposition, et un grand nombre d'autres compositions intéressantes, entre autres un tableau de Nicolas Poussin, Hercule et Omphale. PH. BURTY. Les quatre Heures du Jour, scènes rustiques, gravées par Adrien Lavieille, d'après les dessins originaux de J.-F. Millet. Paris, imprimerie de J. Claye. La pierre, effleurée de profil par les rayons obliques, projette derrière elle une longue et mince bande d'ombre. Déjà la campagne s'éveille et se peuple : la paysanne matinale part pour l'ouvrage, droite et ferme sur le double panier de son âne, et son homme la suit à pas comptés, le chapeau enfoncé jusqu'aux oreilles, la fourche reposant sur l'épaule gauche, la houe passée sous le bras droit; au loin, la petite gardeuse de vaches tire par la corde ses élèves, qui s'arrêtent pour attraper une touffe d'herbe au passage. Le berger, enveloppé dans son lourd manteau de laine, regarde son chien qui rassemble le troupeau. Le laboureur, assis sur l'un de ses chevaux, arrive de la ferme pour atteler la charrue : c'est le matin. Le moissonneur, accablé, a jeté là ses gros souliers de cuir et sa faucille; il s'est couché sur un tas de gerbes, le front baigné de sueur, les reins brisés par le travail, au pied d'une meule à peine finie. Sa femme, étendue auprès de lui, laisse aller sur ses bras sa tête brunie. Plus loin, les boeufs cherchent en vain un peu d'ombre sous la charrette dételée, et plus loin encore (détail mélancolique et fort) la moisson inachevée dresse ses épis pressés, que ne fait ondoyer aucun souffle : c'est le midi. Puis Jacques Bonhomme passe sa veste déjà mouillée par le serein; son panier est rempli et sa fourche repose à terre. La charrue, abandonnée au milieu du sillon interrompu, découpe sur le crépuscule les détails de sa silhouette angulaire, et le charretier, le fouet à la main, regagne la ferme, qui s'estompe dans la brume. La fumée de l'atre monte en longues spirales à l'horizon, au-dessus des toits du village. Des reflets fugitifs s'allument et meurent dans les derniers tons étouffés du couchant, et la lune fait déjà scintiller son croissant : c'est le soir. Assis sur un escabeau de bois, le paysan tresse les osiers d'un panier, et, pendant ce temps, sa femme rapièce ses hardes à la lueur résineuse d'un chelu. Le berceau de l'enfant endormi est posé auprès de sa mère, devant le lit aux rideaux de serge et à la pente découpée. Le chat sommeille sur les cendres de l'âtre à demi éteint : c'est la nuit. Telles sont, sinon dans leur effet magistral, que notre plume est inhabile à rendre, au moins dans toute la conscience de leurs détails, les quatre Heures du Jour, mises sur bois par M. J.-F. Millet lui-même, et gravées par M. A. Lavieille. Elles inspirent l'amour de la campagne et le respect pour le paysan; elles nous font sortir enfin de la paysannerie enrubanée des Watteau, et des banalités du paysage composé. M. Millet exprime toujours nettement sa forte volonté, et la gravure, par la convention acceptée du blanc et du noir, rend à merveille l'intention de l'artiste, et légitime ce que son système a parfois d'un peu trop philosophique. Les lecteurs de la Gazette des Beaux-Arts connaissent déjà M. Lavieille de longue date, et nous-mêmes avons eu le plaisir d'écrire dans ces colonnes1 ce que nous pensons de ses travaux, à propos des Douze Mois de l'année, d'après les compositions de M. Ch. Jacque. Cette nouvelle série ne ressemble en rien à celle dont nous parlions alors. Pour traduire un autre maître, M. A. Lavieille a su employer d'autres procédés. Les dessins de M. Ch. Jacque sont d'une précision extrême. Il indique nettement au graveur les traits qu'il doit suivre, et la traduction peut arriver ainsi à un fac-simile complet. Aussi disions-nous que ce n'étaient ni des eaux-fortes, ni des burins, mais des bois, et d'excellents bois. M. J.-F. Millet, plus habitué à manier le fusain que la mine de plomb ou la plume, livre à son interprète un travail moins net, ou, comme l'on dit en terme d'atelier, moins lisiblement écrit. De là naît une grande difficulté: celle de rendre sans lourdeur le trait large qui enveloppe le contour. Le matin est une merveille de clarté et de justesse. Les premiers plans sont vigoureux sans lourdeur, les fonds sont gris et légers sans minutie. Mais nous reprocherons à M. Lavieille de n'avoir point supprimé, ou du moins très-atténué, le trait carré qui circonscrit cette composition. Il la rapetisse et l'alourdit sans nécessité; c'est comme un trait de tireligne autour d'un dessin d'architecte. Le midi est extrêmement lumineux, et le soir offrait des difficultés que M. A. Lavieille a vaincues avec un rare bonheur. Presque tout est dans la demi-teinte. Point d'opposi tions pour faire valoir les tons, ni d'accessoires qui, en permettant à l'échoppe de varier les travaux, intéressent l'œil par l'habileté du procédé. Le champ s'éloigne à perte de vue, sans qu'une pierre vienne rompre sa monotonie grise, et le ciel est exprimé par des tailles à peine croisées et un peu courbes, qui rendent admirablement la lumière incertaine du crépuscule. Mais le plus excellent de ces bois est pour nous encore la nuit dans la chaumière. Nulle part le noir n'a páté dans les ombres; la demi-teinte effleure les objets par des tailles croisées et libres. L'échoppe a sillonné le morceau de buis avec autant de souplesse et de caprice que la pointe aurait égratigné le vernis du cuivre. La vaisselle et les pots qu'on entrevoit à demi sur le dressoir, dans la partie droite, sont un che.d'œuvre de clair-obscur. 1. Voir la Gazette des Beaux-Arts, t. IV, p. 317. Nous le répétons encore: M. Lavieille ne veut pas que ses bois imitent des eauxfortes, singent des burins, ou contrefassent des lithographies. Tantòt il est simple comme des maîtres allemands, tantôt souple comme les maîtres français du xvi siècle. Il a beaucoup étudié toutes les écoles, et son talent s'est mûri à la fréquentation des meilleurs morceaux. Cette suite des quatre Heures du jour comptent déjà parmi les meilleures pièces de son œuvre considérable. Nous pensons sincèrement qu'elles compteront un jour parmi les meilleures gravures sur bois qu'ait éditées notre époque. Il a été tiré un certain nombre d'épreuves, avec le plus grand soin, sur chine et avant toutes lettres. Les artistes les plus illustres de notre temps, les peintres, les dessinateurs, les graveurs, ont souscrit à cette intéressante série, et il en a été réservé quelques-unes pour les amateurs qui se passionnent sans parti pris pour les bonnes productions de l'art, à toutes les époques et dans toutes les écoles. PH. BURTY. Nous recevons la lettre suivante : « Monsieur le rédacteur, « Je suis allé ces jours-ci au Cabinet des Estampes, pour y demander communication d'une photographie. Après quelques recherches, on m'a répondu qu'elle manquait; que les photographes ne se considéraient pas comme obligés par la loi à faire le dépôt, et que cette photographie était du très-grand nombre de celles qui ne sont point parvenues à la Bibliothèque. « Je ne viens pas réclamer contre cette disposition; je suis charmé que la photographie puisse multiplier ses produits sans aucune entrave; mais pourquoi ces entraves existent-elles pour le graveur? Certes, à considérer l'état actuel de notre profession, on pourrait penser qu'elle mérite bien quelque protection dans un pays où elle a brillé d'un éclat que les autres arts, la peinture et la sculpture, ont à peine surpassé; mais nous ne demandons pas des encouragements, qu'on nous refuserait sans doute, nous demandons parité de droits, égalité des artistes devant la loi. « Je n'énumérerai pas ici les nombreux griefs de la gravure contre la photographie. Que la photographie prenne, dans la faveur aveugle d'une partie du public, la place que la gravure y avait conquise au prix de tant d'œuvres admirables; qu'on préfère le travail de l'outil à celui de l'homme, dans un temps qui, donnant un démenti au vieux proverbe, veut faire l'art court et la vie longue, ars brevis, vita longa, soit; c'est l'esprit du siècle qu'il faut subir avec patience, et la patience a toujours été la vertu du graveur. Nous voudrions seulement que la photographie, dans la terrible concurrence qu'elle nous fait, restât sur son domaine propre, qui est l'interprétation directe de l'objet, et ne vint pas chasser sur le nôtre, qui est l'interprétation par le sentiment, par le goût, par l'art, en un mot. Or, cette usurpation, pour nous servir de l'expression la plus modérée, a lieu tous les jours. Tous les jours le photographe donne, comme la reproduction d'un tableau, la reproduction d'un dessin fait d'après une gravure de ce tableau. Il est bien vrai que la partie matérielle du travail du graveur, les tailles et les hachures, n'y paraît pas ; mais on lui a dérobé la meilleure partie, celle qui lui a coûté le plus de peines, qui a réclamé de sa part le plus de savoir et d'intelligence. Contre cette spoliation, la justice est impuissante. << Elle ne l'est pas à l'égard de l'imprimeur qui négligera de faire la remise des cinq exemplaires que réclame la loi. Ici l'inégalité est choquante. Qu'un malheureux graveur consacre une ou plusieurs années à reproduire un tableau de maître sur une planche d'acier qui ne vaudra pas moins de cinq ou six mille francs, en tenant compte du temps qu'il aura consacré à ce travail, il faudra qu'avant d'être assuré de la vente d'un seul exemplaire du tirage, il remette à l'État cinq exemplaires qui, à 25 francs chacun, je suppose, représentent une somme de 425 francs. Le photographe, lui, en deux heures, obtient une reproduction du même tableau. Avec un cliché qu'il estime une vingtaine de francs, il tirera un nombre indéfini d'épreuves, et il aura sur le graveur l'avantage de ne pas payer d'impôt. Si la vente est nulle, le dommage sera insignifiant; mais le graveur, que deviendra-t-il ? « Je ne me plains pas de l'exonération dont jouit la photographie; je me plains des exigences du fisc à l'égard de la gravure, et de la différence des situations faites par la loi à l'une de ces industries rivales. Ne serait-il pas équitable qu'elles pussent produire dans les mêmes conditions, et que la gravure fût exempte de l'impôt préventif qui pèse sur elle? Tout au moins sommes-nous en droit de solliciter une diminution de l'impôt. Elle nous serait acquise, si une modification apportée dans la loi sur le dépôt légal réduisait à deux, au lieu de cinq, le nombre des estampes dont la remise est exigée. Les estampes seraient alors assimilées à tous les ouvrages imprimés dont on ne dépose que deux exemplaires. La question que soulève notre correspondant anonyme est de la compétence du législateur. Quel que soit l'intérêt sympathique que nous inspire sa réclamation légitime, on comprend que nous ne puissions la traiter dans les colonnes de ce journal. Nous nous contenterons d'une simple observation. Le dépôt légal est moins un impôt qu'une garantie donnée à la propriété des œuvres d'art et des productions intellectuelles. Du jour où le dépôt est effectué, l'État garantit le dépositaire; il met en quelque sorte à son service ses tribunaux, ses juges, ses gendarmes, pour l'aider à poursuivre, à punir le contrefacteur et lui faire obtenir la réparation du préjudice qui lui a été causé. L'esprit de la loi assujettit sans doute aux mêmes conditions le photographe, le graveur, le lithographe et toutes les industries imagières; dans les termes où elle est conçue, elle n'a pu nommer une profession qui n'existait pas à l'époque de sa promulgation et dont il aurait fallu deviner l'existence future. Mais quelle que soit l'application qui en est faite aujourd'hui, il n'est pas moins certain que le photographe a un aussi grand intérêt que le graveur à accepter les exigences de la loi pour en recueillir les bénéfices. Elle seule peut lui assurer sa propriété. Il en est du dépôt légal pour les œuvres d'art comme de l'enregistrement pour les actes d'intérêt privé auquel il donne une date et une authenticité légale. Sans cette formalité, il n'y a ni sécurité ni droit reconnu. Disons plus faute d'avoir fait inscrire son titre sur les registres du dépôt légal, il peut se rencontrer tel cas où non-seulement on perdrait sa propriété, mais où on se verrait poursuivi comme contrefacteur par celui même qui l'a ravie. Supposons, par exemple, qu'un photographe, qui est allé dans un pays lointain relever des vues de sites et de monuments, n'opère pas, à son retour, le dépôt réclamé par la loi. A peine aura-t-il mis un exemplaire en vente, que le premier venu qui sait se servir du daguerréotype pourra s'approprier le fruit de ses peines et de ses travaux. Bien plus, il s'expose à se voir poursuivi comme contrefacteur par celui même qui s'est emparé de son œuvre et qui s'est donné un titre de propriété en faisant le dépôt que le véritable producteur avait négligé. Si ce cas se présentait, et il peut se présenter au premier jour, le photo graphe se trouverait dans la situation d'un inventeur qui aurait divulgué imprudemment son invention avant d'avoir un brevet, et qui aurait fourni à un spoliateur plus avisé le moyen d'en prendre un et de s'emparer ainsi de sa découverte. On voit donc que la loi offre au photographe comme au graveur une garantie précieuse qu'il est bien imprudent de négliger pour échapper aux charges, relativement minimes, qu'elle impose. C. B. Un peintre de talent, M. Charles Leroux, vient d'être nommé député dans le département des Deux-Sèvres. Nous nous félicitons de voir entrer au corps législatif un homme qui sera à même d'y défendre, en connaissance de cause, les intérêts de l'art et ceux des artistes. La belle Exposition de tableaux de l'École moderne, dont notre collaborateur M. Théophile Gautier a rendu compte dans nos précédentes livraisons, vient de recevoir d'importants remaniements. Environ cinquante tableaux et dessins nouveaux ont été placés dans le Salon du boulevard des Italiens. Tous sont remarquables, et quelques-uns sont des chefs-d'œuvre. On peut mettre en première ligne l'Amende honorable, tableau de M. Eugène Delacroix, que les amateurs se souviendront certainement d'avoir vu à la vente de la galerie du duc d'Orléans, une admirable Marine, du même maître, et d'autres peintures qui ont figuré à l'Exposition universelle de 4855: le Tasse dans la maison des fous, les Convulsionnaires de Tanger, l'esquisse de Boissy d'Anglas à la séance du er prairial; l'aquarelle du Lion étouffant un Serpent, est connue par la belle reproduction qu'en a faite lui-même M. Delacroix. Nous citerons encore un dessin de M. Ingres, d'un style superbe, le Duc d'Albe à Sainte-Gudule, trois fines et charmantes scènes d'intérieur de M. Meissonier, un paysage de Marilhat, six tableaux de Decamps, parmi lesquels le Boucher turc et les Petits Nautoniers, cette aquarelle qui a été si remarquée à la vente de la collection Seymour. Le tableau de Bonnington, Henri III recevant l'ambassadeur d'Espagne, adjugé à la même vente au prix de 49,500 fr., se trouve aussi actuellement à l'Exposition, et si ce prix paraît encore exorbitant, on comprend du moins, en voyant cette vive et spirituelle esquisse d'un grand coloriste, qu'un amateur passionné l'ait payée si royalement. Quelques artistes, dont aucune œuvre ne figurait à l'Exposition, y sont à présent représentés par des morceaux de choix. La Madeleine de M. Riesener est peinte avec beaucoup de puissance et une grande distinction de couleur. On sait quel charme ont les paysages de M. Français; celui que nous préférons, parmi les quatre que nous trouvons exposés ici, est le Port de Génes, toile étincelante de lumière et d'une exécution achevée. M. Diaz fils tient bien sa place à côté de son père: ses paysages d'hiver sont d'une finesse remarquable. Nous avons aussi retrouvé avec plaisir un joli tableau de M. Vetter, le Quart d'Heure de Rabelais, que nous avions vu à un des derniers Salons, et dont nous avions gardé bon souvenir. M. Daubigny, dont la Moisson précédemment exposée ne suffisait pas à mettre dans tout son jour le talent si franc et si sain, a maintenant à l'exposition deux excellents paysages. Nous mentionnerons enfin d'autres tableaux de MM. Robert Fleury, Chaplin, Cabat, Jules Dupré, Paul Delaroche, Millet, Th. Rousseau, Troyon, Ziem, Willems, et nous terminerons en engageant vivement nos lecteurs à visiter de nouveau l'Exposition où des hommes de goût ont réuni ces belles peintures, grâce au concours bienveillant des possesseurs de galeries. Le succès qui a couronné leur tentative les encouragera, nous l'espérons, à la renouveler. Tous les artistes seront |