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loppant l'esprit du mal et toutes pleines de séductions dangereuses. De là, l'éloignement de l'institution cléricale pour les arts païens, sentiment qui, dans nos colléges laïques, se traduit par le silence. Et, cependant, les grands papes qui firent peindre sur les murailles du Vatican l'École d'Athènes et le Parnasse, qui consacrèrent à l'Apollon, à l'Antino üs, les plus belles chambres de leurs palais, ces pontifes à jamais illustres et qui, eux aussi, furent infaillibles, ne croyaient pas faire une œuvre impie en présidant à la résurrection de la beauté antique. Pourquoi donc serionsnous plus chrétiens que Jules II et Léon X?

Chose étrange! la France, qui compte en ce moment dans son sein les plus habiles artistes du monde, est, en ce qui touche la connaissance de l'art, une des nations les plus arriérées de l'Europe, elle, si renommée, toutefois, pour la finesse de son jugement et pour la souveraineté de son goût. En Angleterre, les livres qui traitent des arts et du beau, sont connus de toute personne bien élevée. Dames et demoiselles ont lu, soit dans les originaux, soit dans les innombrables revues qui en rendent compte, les écrits de Burke, de Hume, de Reid, de Price, l'ingénieuse Analyse de Hogarth et les graves Discours de Reynolds. En Allemagne, les idées les plus abstraites en matière d'art, sont familières à un public immense d'étudiants. Cette science du beau, ou, si l'on veut, cette philosophie du sentiment que Baumgarten appela l'esthétique, est enseignée avec beaucoup d'importance et d'éclat dans les universités allemandes. Les hautes spéculations de Kant touchant le sublime, les strophes de Schiller sur l'idéal, les plaisanteries mordantes et humoristiques de Jean-Paul, les idées de Mendelsohn, la polémique entre Lessing et Winckelmann, les profonds discours de Schelling, les grandes leçons de Hégel, tout cela est su, compris et discuté par d'innombrables adeptes. A Genève, où il y a aussi des professeurs d'esthétique, les Réflexions de Toppfer et les Études de M. Pictet sont beaucoup plus connues que ne le sont en France les éloquentes pages de Lamennais et de M. Cousin.

Ici, au contraire, tandis que l'art est vivant, qu'il entre partout, qu'il attire, intéresse et convertit tout le monde, la faculté de juger les œuvres de la statuaire ou de la peinture, semble complétement étrangère à notre public. De toutes parts s'ouvrent des Salons officiels et des expositions privées, où se précipite une multitude sans idées, sans lumières, et qui, faute d'un rudiment, donne tête baissée dans un déluge d'erreurs. Chaque jour, au milieu de ce Paris, qui se croit une nouvelle Athènes, nous voyons des personnages de distinction, des Lucullus naturalisés, des millionnaires de l'esprit, entrer à l'hôtel Drouot comme pour y donner publiquement le spectacle des hérésies les plus monstrueuses, illustrer aujour

d'hui un caprice que mille badauds imiteront demain, et enchérir jusqu'au scandale les paravents, les chiffons ou les poupées d'un peintre de septième ordre, alors que les grands maîtres, les augustes souverains de l'art sont marchandés honteusement, et passent la frontière, ne pouvant soutenir la concurrence que leur font un joli bâtard de Watteau ou tel paysagiste devenu à la mode, parce qu'il porte un nom anglais. De sorte que la France du XIXe siècle présente cette incroyable anomalie d'une nation intelligente qui fait profession d'adorer les arts, mais qui n'en sait ni les principes, ni la langue, ni l'histoire, ni la vraie dignité, ni la véritable grâce.

Ce désordre moral tient à l'éducation que nous recevons au collége. La plupart des jeunes gens, sollicités, au début de leur carrière, par mille préoccupations diverses, négligent une étude dont les premiers éléments leur ont manqué. Quelques-uns, qui auraient le loisir de s'y livrer, en sont éloignés par la défiance d'eux-mêmes, faute d'un commencement d'initiation. La seule logique des choses doit faire disparaître cette lacune de l'enseignement public. Il faut, en effet, ou proscrire l'antiquité tout entière, ou laisser tomber le voile qui couvre les plus belles œuvres de son génie, qui sont aussi les plus morales et les plus nobles. Une telle réforme serait plus profitable à la France que bien des conquêtes et bien des batailles. Nous ne serons pas à la tête des nations, tant que nous n'aurons pas annexé aux domaines de notre esprit cette belle province où fleurissent les jardins de l'idéal.

Qu'il nous soit permis de raconter ici, à quelle occasion nous est venue l'idée du présent livre. Nous trouvant un jour à dîner avec de hauts magistrats, dans une des grandes villes de France, la conversation tomba sur les arts. Tous les convives en parlèrent, et non sans esprit, mais trèsdiversement, chacun pensant avoir le droit de se retrancher dans son sentiment personnel, en vertu de l'adage : « On ne peut disputer des goûts. » En vain nous nous élevâmes contre ce faux principe, en disant que, même à table, il n'était pas admissible, et qu'un magistrat célèbre, le classique par excellence de la gastronomie, Brillat-Savarin, se fût révolté contre un pareil blasphème. L'autorité d'un si grand nom ne fut pas respectée, et l'on se sépara gaiement, après avoir débité avec grâce des erreurs à faire frémir. Cependant, parmi les hommes éminents de la compagnie, il s'en trouva qui, un peu confus de ne pas avoir les notions les plus élémentaires de l'art, demandèrent s'il existait un livre où ces notions fussent présentées sous une forme simple, claire, et assez brève pour ménager le temps du lecteur. Nous répondîmes que ce livre n'existait point, et qu'au sortir du collége, nous eussions été heureux nous-même de le rencontrer;

que beaucoup d'ouvrages avaient été composés sur le beau, qu'on avait écrit des traités sans nombre sur l'architecture comme sur la peinture, et plusieurs volumes sur la statuaire, mais qu'un travail d'ensemble, un résumé lucide de toutes les idées que le monde a remuées touchant les arts du dessin, restait encore à faire.

Ainsi nous fut suggérée l'idée de ce livre. Embrassée d'abord avec enthousiasme, puis abandonnée par frayeur, et reprise, enfin, dans un nouvel élan de courage, cette idée a longtemps germé dans notre esprit. Les difficultés qu'elle soulevait étaient effrayantes, en effet, car non – seulement il fallait se rendre un compte sévère de ses impressions et de ses pensées, mais il fallait encore s'exprimer, sur des matières si rebelles à toute analyse, dans cette langue française dont la clarté est inexorable. Passe encore de manier l'esthétique sous le voile officieux de la langue · allemande, chez un peuple qu'enchante le crépuscule des idées, et qui a le privilége de voir clair dans l'ombre. Mais en France, au milieu d'une nation de race latine, dont l'indigène bon sens est une perpétuelle ironie contre les rêveurs, comment parler du subjectif et du non-moi, et du sublime dynamique et de toutes ces choses qui, déjà passablement obscures, demanderaient au moins des expressions intelligibles, une forme claire, dépouillée de tout pédantisme, exempte aussi de trivialité. Que penserait, que dirait Voltaire, s'il ouvrait certains livres qui se sont publiés après lui sur l'esthétique, si, par exemple, il lisait dans l'Anglais Burke « que l'effet du sublime est de désobstruer les vaisseaux, et que l'effet du beau est de relâcher les fibres du corps. » Imagine-t-on quels trésors d'esprit et de bonne humeur il eût ajoutés à son immortelle plaisanterie ?

Oui, c'était le plus difficile et le plus impérieux de nos devoirs que d'être clair. Le temps n'est plus où les écrivains pouvaient se renfermer dans une sorte de franc-maçonnerie interdite au vulgaire. Il faut écrire aujourd'hui et parler pour le grand nombre, et s'il est une chose qu'il faille rendre facile, n'est-ce pas l'étude de la beauté et de la grâce? Si nous n'avons pas reculé devant les difficultés de notre tâche, c'est que nous étions soutenu par l'amour des belles choses et par le plaisir de les mettre en lumière. Mais, pour aller de bon cœur jusqu'au bout, nous avons besoin que le lecteur veuille bien ajouter à son attention un peu de bienveillance. Le statuaire Puget avait coutume de dire : « Le marbre tremble devant moi »; animé d'un tout autre sentiment, l'auteur de ce livre dira, au contraire : « Je tremble devant le marbre ».

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Dans les âges primitifs du monde, c'est-à-dire avant l'apparition de l'homme sur la terre, la nature pouvait présenter le spectacle du sublime, mais non point l'image du beau.

Bouleversé par des catastrophes qui déplaçaient les mers, déchiraient les continents et soulevaient des montagnes de granit, le globe terrestre n'était habité alors que par ces monstres dont les ossements fossiles nous épouvantent, et qui vivaient eux-mêmes, entre deux abîmes, sur les débris d'espèces colossales, à jamais éteintes. En supposant que l'homme

eût pu vivre sur cette planète à demi embrasée, où ne respiraient que les ancêtres des rhinocéros et des éléphants, le chaos prodigieux des premiers âges lui eût annoncé une puissance créatrice, terrible, immense, infinie, et si le langage humain eût existé, l'homme eût appelé la scène du monde, non pas belle, mais sublime.

C'est que le sublime suppose une création, tandis que le beau se rapporte à une idée d'arrangement. L'un peut se trouver partout, même dans le chaos, même dans l'horrible; l'autre ne saurait être conçu en dehors de certaines lois d'ordre, de proportion et d'harmonie. Le beau est toujours humain et toujours à notre portée; mais le sublime participe du divin et nous ouvre une échappée de vue sur l'infini.

La beauté n'apparut donc sur la terre que dans cet âge tempéré où l'architecture des organes de l'homme, élaborée par l'incubation des siècles, se dessina pour la première fois aux clartés du jour. Heureux moment que celui où la nature sentit jaillir de ses entrailles les premières étincelles de l'esprit, où le monde eut conscience de lui-même!... La tradition biblique nous représente l'homme, nouveau venu sur la terre, comme habitant un jardin de délices, qui est planté des plus beaux arbres de la création, arrosé de fleuves, peuplé de toutes les bêtes des champs et de tous les oiseaux du ciel. Ce maître de l'Éden, vivant sous l'œil de Dieu, ne connaît que le bonheur, la grâce et l'amour; le mal lui est étranger, la difformité lui est inconnue, et, au contraire, il a pour compagne une femme qui est la beauté même.

Cependant un grand malheur, une calamité mystérieuse s'étend sur le monde et en trouble l'harmonie. L'humanité, à peine venue au jour, tombe en déchéance. Elle est chassée du Paradis; elle voit disparaître ces campagnes enchantées, jusqu'alors inaccessibles à la laideur et à la douleur, et la voilà replongée au milieu d'une nature inclémente, encore émue de ses derniers cataclysmes. Maintenant, à travers les générations qui vont se succéder, persistera un souvenir obscur de cette calamité originellė, dont la cause est la faiblesse de la première femme. Et cette réminiscence confuse, on la retrouvera dans toutes les religions, dans toutes les fables antiques. La femme que le récit de Moïse appelle du nom d'Ève, la mythologie grecque la nomme Pandore. L'une et l'autre femme répandent sur la terre tous les malheurs. Le beau disparaît alors ou s'obscurcit; car, si la beauté a perdu le genre humain, comment ne serait-elle pas comprise elle-même dans la disgrâce universelle?

Mais il est dit dans le livre sacré, que la femme écrasera le serpent, et dans la fable, que l'espérance resta au fond de la boîte de Pandore. L'humanité conserve donc un espoir en même temps qu'un souvenir. Au surplus,

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