Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Voici en quoi elle consiste dans ses traits essentiels. Nous trouvons dans les auteurs anciens la preuve que vers la fin de la République il y avait un certain rapport entre la centurie et la tribu. Ce rapport, évidemment, n'a pu être établi que de deux manières ou bien les centuries et les tribus étaient en nombre égal, ou bien le nombre des centuries était un multiple du nombre des tribus. Or, tout nous atteste que la dernière conjecture est seule plausible, et que la centurie était la moitié de la tribu. Chaque tribu fut divisée en deux centuries, une de juniores, une de seniores, ce qui donne pour chaque classe soixante-dix centuries, et pour les cinq classes trois cent cinquante. Il faut y ajouter dix-huit centuries de chevaliers, deux de fabri, deux de liticines et cornicines, une de prolétaires, et l'on arrive au chiffre de 373. De là le tableau suivant qui figure dans le livre de M. Mommsen sur les Tribus romaines1.

[blocks in formation]

La réforme porta encore sur un autre point. Jadis le droit de voter en premier lieu appartenait toujours à une centurie équestre, et l'on a expliqué plus haut combien ce privilège est considérable. Désormais la prérogative fut tirée au sort, non pas, il est vrai, parmi toutes les centuries, mais parmi celles de la première classe1, et, après qu'elle avait émis son suffrage, le vote continuait selon l'ancien système.

La date de ce double changement nous est à peu près connue. Nous savons, en effet, par le récit que fait Tite-Live des élections de l'an 2152, que déjà il avait eu lieu. On peut même préciser davantage. En 241, deux tribus nouvelles furent créées pour que leur nombre total atteignît le chiffre de trente-cinq, et ce chiffre ne fut jamais dépassé. N'est-il pas naturel de penser que cette année-là vit s'accomplir la réforme des comices centuriates, et que, si dans la suite on cessa d'accroître le nombre des tribus, c'était pour ne point troubler l'équilibre établi entre elles et les centuries?

Si l'hypothèse de M. Mommsen est justifiée, la composition primitive de l'assemblée centuriate a été gravement altérée au Ie siècle av. J.-C., et M. Boissier a bien raison de dire qu'il y a eu là une grande victoire de la plèbe, « une des plus grandes assurément qu'elle ait remportées ». Ce n'est pas que Rome, d'un seul bond, ait passé alors de l'aristocratie à la démocratie; mais elle s'en est sensiblement rapprochée.

Même au cas où les riches auraient conservé le nombre de voix qu'ils avaient tout d'abord, leur influence aurait néanmoins baissé, car il est clair que la proportion entre quatre-vingts suffrages et cent quatre-vingt-treize est plus forte qu'entre quatre-vingts et trois cent soixante-treize. Mais il y a plus : la classe riche perdit des voix et les autres en gagnèrent. Autrefois la première classe avait quatre-vingts voix; elle n'en eut plus que soixante-dix; la deuxième, la troisième et la quatrième en avaient vingt; elles en eurent soixante-dix; la cinquième en avait trente; elle en eut aussi soixante-dix. Dans la vieille assemblée centuriate, les chevaliers et les citoyens de la première classe

1. Pseudo-Salluste, De republ. ordin., II, 8, prouve que ce privilège fut réservé à la première classe. V. Mommsen, Die ram. Tribus, p. 73, note 23. 2. XXIV, 7.

3. Revue des Deux-Mondes, numéro du 1er mars 1881, p. 41.

réunis disposaient de la majorité, et, par leur accord, rendaient inutile le vote des classes suivantes; dans la nouvelle, ils n'eurent même pas le quart des suffrages, tandis que chacune des classes inférieures en avait presque le cinquième ; et il fallut, pour constituer une majorité, descendre au moins jusqu'à la troisième classe. Les gens de moyenne fortune eurent donc dans ces comices un rôle plus actif, et, pour employer un terme de notre langue parlementaire, l'axe de la majorité se déplaça dans un sens favorable à la démocratie.

II.

Critique du système de M. Mommsen.

Je voudrais examiner, quelque téméraire que paraisse cette tentative, si réellement les comices centuriates subirent des modifications aussi graves qu'on le prétend. Cette question n'est pas seulement intéressante par les difficultés qu'elle oppose aux recherches; elle est de plus très propre, une fois résolue, à nous faire bien comprendre l'esprit général des institutions romaines et l'histoire des derniers temps de la République.

Le système de M. Mommsen, si ingénieux qu'il soit, soulève de nombreuses objections.

Premièrement, il est assez étrange que les auteurs anciens gardent sur ce point un silence absolu. Nous avons perdu les livres de Tite-Live où étaient racontés les événements des années 293-218; mais nous en possédons les résumés, et malgré leur brièveté, ils contiennent des faits presque insignifiants si on les compare à la grande réforme de l'année 241. C'est ainsi que nous voyons énumérées dans la periocha du livre XI une peste, la condamnation d'un consulaire, la fondation de deux colonies, la création des III viri capitales, dans la periocha du livre XIV la radiation d'un sénateur, la mort d'une vestale, dans les suivantes l'augmentation du nombre des questeurs, l'institution des combats de gladiateurs, l'inscription des affranchis dans les tribus urbaines, la construction de la voie Flaminia. Puisque

1. Ces résumés ne sont ni de Tite-Live ni, comme on l'a cru parfois, de Florus. On ignore à quelle époque ils furent écrits; mais on peut voir par ceux des livres conservés qu'ils sont assez fidèles.

Tite-Live entrait dans tous ces détails, il est probable qu'il n'aurait pas manqué de citer la réforme des centuries, s'il l'eût rencontrée sur son chemin, et que nous trouverions quelques indications à cet égard dans son abréviateur. - Polybe, cet historien si exact, cet esprit si sagace et si profond, à qui nous devons l'analyse la plus pénétrante que l'antiquité nous ait transmise de la constitution romaine, ne dit rien non plus d'un événement qui certes méritait bien de fixer son attention. - Cicéron était, comme on sait, très curieux des choses du passé et très versé dans la connaissance des annales de Rome. Il n'est peut-être pas une loi importante, un fait quelque peu notable de l'époque républicaine qu'il ne mentionne, au moins par voie d'allusion. Comment expliquer dès lors qu'il se taise sur la réforme de 241 ? Dira-t-on qu'elle n'a pas été l'objet d'une loi? La conjecture n'est point certaine; supposez néanmoins qu'elle le soit, et que les centuries aient été remaniées par une simple décision des censeurs. Cela diminuait-il en rien la gravité de cette mesure? Etait-elle, pour ce seul motif, moins digne d'intérêt? et peut-on croire que le silence de Cicéron vient uniquement de ce qu'il n'a pas eu l'occasion d'en parler? C'eût été, on l'avouera, un singulier hasard qu'un homme, qui a tant écrit et avec tant de savoir sur l'histoire, les institutions, les usages politiques de sa patrie, eût ignoré lui-même ou nous eût laissé ignorer une réforme aussi sérieuse. Nous n'avons, en somme, qu'un témoignage au sujet de cette réforme, et il est loin d'être favorable à l'opinion de M. Mommsen. Denys d'Halicarnasse, après avoir exposé l'organisation de Servius Tullius, ajoute : « Ce système fut conservé par les Romains pendant plusieurs générations; mais, à une époque plus voisine de nous, on a été forcé de le modifier dans un

1

1. Denys, IV, 21 : οὗτος ὁ κόσμος τοῦ πολιτεύματος ἐπὶ πολλὰς διέμεινε γενεὰς φυλαττόμενος ὑπὸ Ῥωμαίων. ἐν δὲ τοῖς καθ ̓ ἡμᾶς κεκίνηται χρόνοις, καὶ μεταβέ βληται εἰς τὸ δημοτικώτερον, ἀνάγκαις τισὶ βιασθεῖς ἰσχυραῖς, οὐ τῶν λόχων καταλυθέντων, ἀλλὰ τῆς κλήσεως αυτῶν οὐκ ἔτι τὴν ἀρχαίαν ἀκρίβειαν φυλαττούσης, ὡς ἔγνων ταις ἀρχαιρεσίαις αὐτῶν πολλάκις παρών. Si, à l'exemple de M. Lange (Romische Alterthümer, 3o édit., II, 498), on entend l'expression v toîç xα0' uas xpóvos comme indiquant l'époque de Denys, ce texte contient une erreur, puisqu'il est absolument certain que dès l'année 215 la centurie prérogative était tirée au sort. D'ailleurs ce détail importe peu dans le cas présent, et il n'en reste pas moins établi par Denys lui-même que, pendant toute la durée de la République, l'assemblée centuriate ne fut modifiée que sur un point, l'ordre d'appel des centuries.

esprit démocratique. Ce n'est pas que les centuries aient été détruites; on s'est contenté de les interroger dans un ordre différent, comme je l'ai constaté moi-même, ayant assisté souvent aux élections faites dans ces comices. » Ainsi Denys atteste que depuis Servius jusqu'à la fin de la République, le seul changement survenu dans l'assemblée centuriate fut la suppression du droit qu'avaient les chevaliers de fournir la prérogative; car c'est là le sens qu'il faut attribuer à ses paroles. S'il y avait eu quelque autre innovation accomplie vers le même temps, n'est-il pas probable qu'il l'aurait également signalée 1?

L'hypothèse défendue par M. Mommsen serait à la rigueur admissible, si, dans la période qui précède 241, on remarquait une tendance générale des esprits et des institutions vers la démocratie. Or, c'est justement le contraire qui nous frappe. A considérer dans son ensemble l'histoire intérieure de Rome depuis l'origine des guerres puniques jusqu'aux Gracques, on s'aperçoit que l'aristocratie n'a pas cessé de dominer dans cet intervalle, et même qu'elle a été constamment en progrès. Du jour où la loi consacra l'égalité politique des deux ordres, il se produisit dans la plébe, entre les riches et les pauvres, une scission toute naturelle qui eut pour effet de rejeter les premiers du côté où les appelaient leurs intérêts, c'est-à-dire du côté des patriciens. La naissance séparait ces deux classes, mais la fortune les rapprochait, et de leur union sortit une caste nouvelle, qui se réserva tous les soins du gouvernement parce qu'elle voulait s'en réserver tous les profits. Elle mit la main sur les magistratures, même sur le tribunat, qui perdit bientôt son caractère révolutionnaire; elle se

1. On a cru voir une allusion à la réforme de 241 dans un fragment de Salluste, ainsi conçu : « Discordiarum et certaminis utrinque finis fuit secundum bellum punicum » (Hist. fragm., I, 9; édit. Dietsch, p. 4). On a supposé que, si l'époque de la seconde guerre punique marqua la fin des discordes civiles, cela tient à l'apaisement produit par la réforme démocratique des centuries. Mais la pensée de Salluste est tout autre ; c'est à la crainte de l'ennemi et aux dangers de la patrie qu'il attribue cette union des citoyens. Cf. I, 8 : « Optumis moribus et maxuma concordia egit populus romanus inter secundum et postremum bellum Carthaginiense... At discordia et avaritia atque ambitio et cetera secundis rebus oriri sueta mala post Carthaginis exscidium maxume aucta sunt. >> I, 10 « Postquam remoto metu punico simultates exercere vacuum fuit, plurimæ turbæ, seditiones, et ad postremum bella civilia orta sunt... » Ces divers passages, rapprochés les uns des autres, sont très clairs, et il est impossible d'en rien conclure au sujet de la réforme de 241, qui, comme on voit, n'est mentionnée par aucun auteur ancien.

« VorigeDoorgaan »