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mir fous le joug d'un defpote, peut bien acquérir un moment d'énergie, quand il rencontre une ame plus chaude que la fienne, parce qu'il en reçoit une fecouffe qui l'arrache un moment à la crainte; mais fi quelque raifon puiffante vient éteindre cette chaleur, c'en eft fait, il devient plus lâche qu'auparavant, plus fufceptible d'être effrayé, par conféquent plus incapable d'être utile à l'exécution d'un deffein auffi hardi que dangereux. Voilà ce qu'un Chef de Con jurés, ce qu'un Prince élevé au fein du def potifme, ne devoit pas ignorer;

Des fiècles, des pays étudiez les mœurs,
Les climats font fouvent les diverfes humeurs,

Un Auteur dramatique ne doit jamais per dre de vue cet avis de notre Maître Def préaux.

Le caractère de Nadir eft fort bien établi, Dès le premier acte il annonce fes remords & fon repentir, I fe montre fenfible à l'amour, & de-là on doit préfumer qu'il peut l'être auffi aux malheurs d'un fils qu'il a beaucoup aimé. En conféquence, fon retour vers Mirza n'a rien qui furprenne; mais ce caractère, tel qu'il a été tracé par M. D. B., eft-il bien conforme à celui de Thamas-Kouli-Kan? Féroce, impitoyable, avide de fang, le remords, chez lui, n'étoit qu'une raifon plus forte de barbarie & de fureur. Les feuls moyens qui lui paruffent capables d'appaifer le cri de fa confcience.

étoient le ravage & le meurtre. Du moment où Mirza fut condamné, il le fut fans retour, & jamais l'ame de fon père, quoique déchirée par le fouvenir de fa rigueur envers lui, ne voulut fe plier jufqu'à lui pardonner; Nadir alla même jusqu'à défendre que le nom de fon fils fut prononcé devant lui, & la mort étoit la peine de celui qui oferoit enfreindre cet ordre. M. D. B. mérite-t-il des reproches ou des éloges, pour avoir fait de Nadir un homme fufceptible de revenir à la vertu? Ariftote va le juger. Ce favant Philofophe. abferve qu'il faut que les incurs foient reffemblantes, c'est-à-dire, qu'elles foient conformes au caractère déjà connu du personnage que l'on repréfente; en conféquence, Horace qui eft du même avis, a recommandé qu'Achille fut toujours ardent, colère, implacable; Médée cruelle; Ino gémiffante, &c. Ce n'eft donc que dans un perfonnage inconnu, in Perfona nová, que l'Auteur eft le maître d'établir le caractère. qu'il lui plaît de choisir.

Quoique des nuances que M. D. B. a cru' devoir ajouter au caractère de Nadir, il réfulte des beautés réelles pour l'action, principalement un quatrième acte digne de beaucoup d'éloges; nous avons infifté fur le principe que nous venons de difcuter, parce que depuis quelques années on s'en est trèsfouvent écarté, & qu'il y a réellement plus de mérite à créer des fituations attachantes, des effets capables de plaire à l'efprit &

d'émouvoir le cœur, fans s'écarter des idées reçues, que de les tirer de caractères que l'imagination forme à fon gré. On déclame aujourd'hui contre les règles; on les trouve gênantes; elles mettent, dit-on, des bornes à l'effor du génie. Eh! Meffieurs les Novateurs! Corneille, Racine, Molière, &c. s'y font foumis; ils ont fait des chef-d'œuvres, mais ils avoient réellement du génie, & favoient fuivre fon impulfion fans s'écarter des principes qu'ils avoient reconnus pour ceux du goût & de la raifon. Cette feule réflexion fuffit pour anéantir toutes vos ridicules obfervations.

- Nous ne nous étendrons pas beaucoup fur les autres reproches que l'on peut faire à M. D. B.; nous dirons pour tant quelque chofe de la première fcène du troisième acte, où les Conjurés font en présence de Mirza. Ali les engage à jurer qu'ils fauront mourir ou venger ce jeune Prince. Celui-ci leur dit:

Qui, par un ferment faint je veux vous engager.
Au nom du ciel, vengeur des crimes de la terre,
Jurez-moi...

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Nous jurons...

MIRZA.

De refpecter mon père, &c.

De deux chofes l'une, où ce ferment eft

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inutile, ou il eft nul. Mirza, en interrompant les Conjurés après les deux mots qu'ils ont proférés, ne croit vraisemblablement pas les avoir engagés ; car, fur quoi ont-ils juré ? Sur ce que leur a dit Ali, & non pas fur ce que dit Mirza en leur coupant la parole. On ne s'engage point fur une chofe que l'on ignore, & dont on ne peut pas même avoir le foupçon. Il n'eft donc pas poffible de préfumer que Mirza croie avoir furpris le ferment des Conjurés; d'ailleurs, c'est à la chaleur de fon plaidoyer pour fon père, aux moyens qu'il emploie pour toucher leurs cœurs, qu'il doit leur repentir & l'abandon de leurs projets. Pourquoi donc leur dit-il qu'il veut les engager par un ferment? pour produire un effet de surprise, par l'expreffion avec laquelle Mirza, au lieu de les laiffer achever, leur enjoint de refter foumis à Nadir? L'Auteur a trouvé ce qu'il cherchoit; mais au Théâtre, tout effet dont il ne réfulte rien pour l'action, eft condamnable à la rigueur, & le ferment des Conjurés ne produit rien, comme nous l'avons prouvé. En paffant fur ce défaut, cette fcène est belle & touchante; elle noue fortement l'action, la tournure en est même neuve; elle met dans tout fon jour le caractère refpectable de Mirza, fa foumiffion filiale, fa résignation, sa conftance, fon inaltérable amour pour un père dont il a tant de fujets de fe plaindre; elle prépare la fcène cinquième du quatrième acte, entre

le père & le fils, fcène d'un effet que toutes les ames fenfibles doivent avoir éprouvé. Nous en allons citer quelques traits. Mirza introduit auprès de Nadir, lui apprend qu'il vient fauver les jours; il l'inftruit des détails de la conjuration, de ce qu'on a fait pour l'engager à en devenir le chef; il cherche à arrêter les fuites de fa colère, le rappelle à la clémence. L'ufurpateur, étonné de tant de grandeur d'ame, propose à fon fils la moitié de l'Empire.

MIRZA.

Mes vœux n'eurent jamais le trône pour objet z
Aimez-moi, plaignez-moi, je ferai fatisfait.
Mais fi l'effet cruel d'un fupplice févère

(Nadir lui avoit fait arracher les yeux.)
A porté les regrets dans le fein de mon père,
J'oferai m'expliquer.... Dans l'excès du malheur
Axiane toujours m'a confervé fon cœur.
A l'aspect effrayant de mon état horrible,
Il s'eft encore montré plus tendre & plus fenfible...
Ah! fi de notre hymen s'allumoient les flambeaux
Oui, Seigneur, je le fens, j'oublierois tous mes maux,
Je fais trop qu'aujourd'hui, pour une ame vulgaire,
Taurois perdu le droit de l'aimer, de lui plaire;
Mais Axiane encor veut fe laiffer charmer,
Et tant qu'il reste in cœur, on peut encore aimer.

NADIR.

Axiane, dis-tu, confentiroit peut-être.s

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