Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

Je déplorerois moins la perte des beaux jours,
Si l'on pouvoit vieillir en chantant ses amours.
Le feul Anacréon furvécut à lui-même.

Il orna fon hiver des rofes du printems,
Il fixa les plaifirs & les jeux inconftans:
On ne regrette rien quand on plaît & qu'on aime.
La fenfibilité conduit feule au bonheur.

mes jeunes amis, connoiffez tous fes charmes, Son trouble, fes transports, fes précieuses larmes, Son intérêt puiffant qui fubjugue le cœur.

humain.

Combattez, détruifez cette erreur scandaleuse,
Ce monftre au front d'airain, dont la morale affreufe
Fait qu'un être orgueilleux voit tout avec dédain,
Et concentre en lui feul les droits du genre
Ce trifte égarement, ce funefte délire,
De l'ordre focial va renverser l'empire.
L'Égoïfte impudent fait étouffer la voix
Du fentiment profond qui décide le choix
D'une maîtreffe aimable ou d'un ami fidèle:

Qui trompe la Nature eft malheureux par elle.
Elle mit dans nos cœurs ce doux befoin d'aimer ·
Qu'on fent bien mieux encor qu'on ne peut l'exprimer,
Et ces rapports fecrets & cette fympathie,

[ocr errors]

Qui font les vrais plaifirs, le charme de la vie.
Sans eux l'homme eft courbé fous le poids de les fers';
Celui qui n'aime rien eft feul dans l'Univers.
Nul objet ne l'émeut, nul defir ne le preffe.
Tel l'arbuste ifolé dans nos ftériles champs,
Rampe fervilement fans force & fans nobleffe,

Suit le courant des eaux, cède au fouffle des vents,
Qu'une main bienfaifante ofe aider fa foibleffe,
Il s'élève en berceau, fert d'afyle aux Bergers,
Et fes jets orgueilleux couronnent nos vergers.
Peut-être aurai-je peint avec trop de rudeffe
De ce fléau moral la dangereufe ivreffe:
Pardonnez, mes amis, je vais d'un ton plus douz
Tracer en badinant le cercle de vos goûts.
Qu'un froid differtateur affaifonne un farcafme
Et fronde avec dédain ce noble enthousiasme,
Qui, d'une jeune tête, agite les efprits;
La gloire & les fuccès s'obtiennent à ce prix.
L'enthousiasme élève, ennoblit la pensée :
Il fit chanter Homère & fonda le Lycée.
Hardi dans les projets, heureux dans fes écarts,
Il féconde, il régit tout l'empire des Arts.
Mais quand ce feu facré ne remplit point une ame,
Qu'on n'est point pénétré de fa brûlante flamme,
Il faut quitter la lice ouverte au vrai talent;
On n'y fauroit marcher que d'un pas chancelant,
Cet accent doctoral, orné de belles phrafes,
Ces traits étudiés, ces profondes extases,
Dont l'ignorance en vain cherche à s'envelopper
N'étonnent que les fots qui s'y laiffent tromper.
L'aile agile du temps qui jamais ne se laffe,
Voit du faux bel-efprit encourager l'audace:
Il s'érige en tyran dans la fociété,

Et de fon mauvais goût le monde eft infecté,
Voltaire perraffoit cette hydre renaidante

Et tenoit fous le joug fa morgue impertinente.
Cet aigle à l'œil brûlant, au vol rapide & fier,
A quitté pour jamais les vaftes champs de l'air.
Honorons les travaux, fon nom & fa mémoire
Il ne vit plus pour nous, mais il vit pour la gloire.
Il faut que notre esprit paroiffe ce qu'il est,
Qu'il s'exprime fans art, fe montre fans apprêt
On ne peut être orné que de ces feules grâces,
Celles qu'on veut avoir ne font que des grimaces.
Je combats les travers de l'efprit & du cœur,
Et j'en veux démontrer l'abus & le malheur.
Pour ceux qu'un goût léger produit & fait éclore,
Qu'on voit naître & finir de l'une à l'autre aurore,
Que la mode inconftante étale dans Paris.
En les analyfant je m'amufe & je ris.

Eh, qu'importe en effet au bonheur de la terrest
Le costume de France ou celui d'Angleterre!
Que Cléon far fon cou replie en longs contours"
Ce mouchoir qu'il croit fait pour fixer les amours;
Que fon frack, fon chapeau, que les boucles enorines
D'un Wigh ou d'un Toris nous deffinent les formes,
Et que dès le matin, fi Lyfe le permet,

Il aille tout crotté déluftrer fon parquet;
Qu'il lui parle toujours de fon cheval de race;
Qu'il vante fes exploits, fa belliqueufe audace;
C'eft-là l'efprit du jour : mais qu'il n'abuse pas
Du droit qu'il peut avoir fur fes jeunes appas!
Si l'amour ne vit plus pour la galanterie
Qui réguoit au bon temps de la chevalerie

Qu'il foit du moins honnête & refpecte les mœurs
Et qu'il ne coûte pas des remords & des pleurs !
Que les jours fortunés de la verte jeuneffe
Charment le fouvenir des jours de la vieilleffe;
Qu'elle conte gaîment fes plaifirs, fes exploits,
Son culte à la beauté, fon zèle pour nos Rois.
Les goûts, les paffions ont leurs flux, leurs orages,
Je le fais, pouvons-nous espérer d'être fages?
Vraiment non, mes amis; je penfe comme vous
Que la fragilité naît & meurt avec nous.

Mais par quelques vertus foyons recommandables:
Soyons vrais, bons, aimans, & s'il fe peut aimables.

L'HONNÊTE VENGEANCE, Conte imité de l'Italien.

DANS la ville de Milan, vivoient autrefois deux jeunes gens de famille, Ubaldi & Lélio, qui étoient unis par la plus intime amitié, Ils avoient étudié enfemble au même Collége. Cette confraternité-là, forme toujours. une liaifon d'amitié, ou tout au moins une habitude qui y reffemble. Depuis le Collége, Ubaldi & Lélio ne s'étoient point quittés, & l on devine bien que chacun des deux étoit devenu amoureux. Lélio aimoit une jeune perfonne qui pouvoit s'égaler à lui pour la naiffance & pour la fortune; mais des raifons particulières à fa famille s'oppofoient à ce mariage, & les deux

amans étoient forcés de s'aimer & de fe voir en cachette..

Ubaldi aimoit un peu moins férieufement. Le hafard avoit fait tomber fon choix fur une perfonne à qui la nature avoit prodigué tout, & à qui la fortune n'avoit rien accordé. Elle étoit fort jolie, mais fans bien & fans naiffance. C'étoit ce qu'on appelle une grifette. Les parens d'Ubaldi n'auroient. pas confenti à cette union, & il eft douteux que lui-même eût cherché à l'obtenir. Son amour reflembloit affez à ce qu'on nomme une fantaifie; du moins eftil vrai qu'il n'avoit pas encore interrogé fon cœur là-deffus. Avant de favoir s'il auroit le courage d'époufer la maîtreffe, il l'aimoit toujours en attendant; mais il étoit obligé comme Lélio, de mener fecrettement fon intrigue, à caufe des parens de la jolie perfonne, qui auroient pu l'embarraffer en l'interrogeant fur les intentions.

Nos deux amis n'avoient pas tardé à fe con fier leurs aventures amoureuses. Leur liaison eût été moins intime, que leur confiance eût peut-être toujours été la même; car aflez fouvent, tel qui fait un pareil aveu, le donne pour un ami confiant, tandis qu'il n'eft qu'un amant indifcret.

Une affaire indifpenfable obligea Lélio de s'abfenter pendant quelque temps. Ce n'est pas avec un œil fec qu'il en porta la trite nouvelle à Orette; c'étoit le nom de fa maîtreffe. Il la confola de fon mieux, quoi

« VorigeDoorgaan »