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qu'il eût bien autant befoin d'être confolé lui-même. Enfin, en l'embraffant pour lui dire adieu, il lui annonça que fon ami Ubaldi viendroit fecrètement lui rendre fes lettres, & fe chargeroit de celles qu'elle voudroit bien lui confier. Orette, qui favoit leur liaison, confentit à tout, & lui promit bien de n'avoir que deux plaifirs pendant fon abfence: lire fes lettres, & s'entretenir avec Ubaldi..

Lélio, en la quittant, courut chez ce dernier, & le pria de vouloir bien fe charger de fa correfpondance avec fa chère Orette. Il lui dit qu'il avoit cru ne devoir confier qu'à lui les intérêts de fon amour. Il la lui recommanda comme ce qu'il avoit de plus cher au monde. Il lui dit (car il étoit tendrement amoureux, & l'amour dispose naturellement aux idées paftorales) qu'Orette étoit comme un agneau chéri qu'il mettoit fous la houlette de l'amitié; qu'il l'en faifoit le pasteur. De pareils pafteurs font quelquefois des loups. Mais n'anticipons point fur les événemens. Ubaldi promit tout, & Lélio partit.

Ubaldi, demeuré feul, fe confoloit de fon mieux avec la maîtreffe de l'abfence de fon ami, quand il reçut de lui une lettre pour Orette. Suivant les intentions de fon ami, il fe rendit fecrètement chez elle, de la manière qui lui avoit été indiquée. Il ne put rendre la lettre à Orette fans lui parler; il ne put lui parler fans la regarder; il vit

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qu'elle étoit jolie; il trouva qu'elle avoit de l'efprit; il caufa avec elle avec plaifir, & ne la quitta qu'à regret. Deux jours après il revint chez elle pour prendre fa réponse. Leur entretien fut plus long, & Übaldi trouva Orette plus aimable encore que la première fois. A force de parler d'amour pour fon ami, il fut tenté d'en parler auffi pour lui-même: il eut envie de remplacer tout-à-fait fon ami; c'étoit pouffer l'alnitié un peu trop loin. Peut-être qu'en cherchant à plaire à Orette, il n'avoit pas le projet de l'enlever à fon ami, mais de la garder feulement jufqu'à fon retour. Au fond, difoit-il en lui-même, je n'aurai fait qu'entretenir Orette dans l'habitude d'aimer. C'est toujours travailler pour mon ami; & fi à fon retour je lui rends tout ce qu'il m'a confié, pourvu qu'il ne fache rien, je ne lui aurai fait aucun mal.

Avec ce beau raisonnement, il fit taire fa confcience, qui apparemment ne parloit pas bien haut. Il continua fes visites; & tout en rendant des lettres, ou en venant chercher des réponses, il finit par une déclaration en forme. Par malheur elle fut fort mal reçue. Ubaldi, maître du fecret d'Orette, croyoit l'avoir enchaînée, ou par la reconnoiffance, ou par la crainte; mais elle lui répondit avec une fierté fi courageuse, qu'Ubaldi, qui n'avoit pas encore fini la phrafe de fa déclaration, n'eut pas envie de la reprendre. Tout honteux d'avoir parlé,

il la pria d'oublier ce qu'il avoit ofé lui dire, & lui demanda le fecret fur cette aventure, avec autant de chaleur qu'il en auroit mis à folliciter un tendre retour. Il la fupplia de n'en rien écrire à Lélio, en lui représentant qu'elle ne pouvoit lui en parler fans les. brouiller tous deux, & fans les expofer peut-être à un danger plus cruel encore.. Orette le laiffa défarmer; foit qu'elle craignit en effet d'expofer fon amant, foit qu'une femme, en rejetant un aveu téméraire, ne puiffe défendre fon cœur d'un mouvement de reconnoiffance, elle promit de fe taire & d'oublier ce qu'elle avoit entendu; mais elle lui défendit de la revoir, s'il avoit la témérité de garder encore quelque prétention. Ubaldi protefta que le refpect avoit étouffé tous fes defirs; il tomba à. fes pieds; il la loua fur fa vertu, contre laquelle il peftoit peut-être au fond du cœur; & quand il crut avoir expié fes torts par l'expreffion de fon repentir, il prit congé d'Orette fort humblement. Il revint encore lui porter des lettres, mais il fe renferma toujours dans les bornes du refpect, voyantbien qu'il lui feroit difficile d'en fortir avec fuccès.

Cependant Lélio revint à Milan; & Ubaldi l'ayant appris, courut vîte chez lui pour l'embraffer. On juge bien que Lélio ne tarda pas à lui demander des nouvelles de fa chère Orette. Son ami lui répondit qu'elle étoit toujours auffi belle que tendre, &

qu'elle n'avoit pas ceffé un moment de le defirer. Cependant, malgré la promeffe d'Orette, il craignit qu'elle n'allât tout raconter, & il crut faire plus fagement d'en -parler le premier à Lélio. Il lui dit donc qu'ayant voulu éprouver le cœur de fa maîtreffe, il avoit rifqué une feinte déclaration: mais qu'il avoit reconnu avec plaisir que le cœur d'Orette étoit un modèle de fidélité & de tendreffe, & que fa vertů étoit égale à fa beauté.

Cette confidence, malgré l'éloge dont elle étoit affaisonnée, ne fut point du goût de Lélio; & quand il auroit eu la force de fe taire, fon vifage eût révélé malgré lui ce qui fe paffoit dans fon cœur. Quoiqu'on lui eût annoncé une heureufe iffue, il ne put s'empêcher de trembler en écoutant ce récit : de pareils dangers font effrayans, lors même qu'ils font paffés, & un tel aveu est toujours fufpect à un amant. Lélio dit à Ubaldi qu'il s'étoit donné beaucoup plus de foin que l'amitié ne lui en impofoit; qu'il ne l'avoit point chargé d'éprouver la maîtreffe; qu'il n'auroit jamais eu une curiofité auffi impertinente. Tu as échoué, continua-t-il, & tu m'en fais confidence; & fi tu. avois réufli, ferois-tu?... Ah! mon ami, s'écrie Ubaldi en l'interrompart, peux-tu croire?..... Je ne crois rien. Mais enfin je ne vois pas quel avantage je pouvois retirer d'une pareille épreuve. Je ne doutois point de fon cœur ; & tout le changement que pouvoit

opérer cette tentative, c'étoit de me le faire perdre tout-à-fait. Et en fuppofant que tu aurois eu la franchife de m'avertir de fa foibleffe, fans en profiter, le beau service que tu me rendois là ! Ce font-là des aveux bien agréables pour un amant !

Plus Lélio fongcoit à cette aventure, plus il étoit tenté de croire Ubaldi coupable; & il n'en douta plus, lorfqu'ayant revu sa maîtreffe, il la força de lui tout avouer. Dès lors il n'en parla plus à Ubaldi; mais il jura bien cordialement de s'en venger. Comme il en defiroit ardemment l'occafion, il ne tarda pas à la trouver.

On fe fouvient fans doute qu'Ubaldi avoit auffi une maîtreffe. Mais plus léger dans fes amours, ou moins amoureux que Lélio, il avoit l'air de ne chercher qu'un amufement. Cependant Rofine, (c'étoit le nom de la jeune perfonne) auffi honnête qu'elle étoit jolie, méritoit autant l'eftime que l'amour d'un galant homme. Le Lecteur s'imagine fans doute que Lélio chercha à féduire Rofine, afin de fe venger d'Ubaldi de la même manière qu'il en avoit été offenfé. Point du tout rien n'eft plus éloigné du projet de Lélio; & l'on va voir, par la façon dont ik voulut punir Ubaldi, qu'il cherchoit à faire un acte d'équité, tout en fe donnant le plaifir de la vengeance.

Comme il ne parloit plus à Ubaldi de ce qui s'étoit paffé, ce dernier étoit fans méfiance & lui confioit comme auparavant

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