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Vers les neuf heures du foir, ils parvinrent à l'extrémité d'un bois, & découvrirent de loin la petite ville de Naubourg. Kurler fit arrêter difant qu'il ne vouloit pas donner les Prifonniers en fpectacle à toute la ville en y entrant de jour; qu'ils pouvoient l'attendre dans le bois jufqu'à la nuit, & qu'il alloit à Naubourg chercher un logement. L'Officier Ruffe de retour, Sainclair lui demande s'il a trouvé un bon logement: Oui, quoiqu'un peu étroit, & » nous aurons à fouper. Maintenant, la » vifite peut fe faire; mais il faut qu'au» paravant je vous parle, dit il, en s'adref fant à Couturier. En même-tems, il s'éloi gne, & Couturier le fuit à vingt pas de la chaife. Kutler ayant lu dans fes tablettes, lui demande s'il n'eft pas M. Peiner Coutu rier, Commis à Conftantinople. Je fuis » Couturier, & non pas Peiner, qui eft "mon Commis. Pourquoi allez-vous » à Stockolm, & comment avez- vous " connu Sainclair?» Couturier répondit à fes queftions, & lui obferva que Sainclair, pendant fon féjour à Conftantinople, avoit été préfenté aux Miniftres étrangers comme un Officier du plus grand mérite, & qu'ils en avoient tous pris & confervé cette opinion. Je vois, lui dit le Capitaine Ruffe, qu'il a auffi votre confiance: vous pour»riez être en meilleure compagnie. Vous » me paroiffez un honnête homme, & lui

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ne l'eft point. Cet efpion-là nous a coûté bien de l'argent.

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Kutler revint à la chaife de pofte, & ordonna la vifite. Enfuite, il parla quelque tems à Levitski. Alors il prend Sainclair à part, prie Couturier de s'éloigner, examine le coffre & le porte-manteau. Les deux Officiers Ruffes s'entretiennent encore en particulier; on rappelle Couturier, afin qu'il ouvre fa valife. Levitski ayant regardé fur toutes les avenues, conduit Sainclair à l'écart dans un taillis de la forêt. A peine Couturier a t il ôté la moitié de la chaîne de fa valife, qu'il apperçoit une lumière, & entend un coup d'arme à feu vers l'endroit où étoit Sainclair. Il demande ce que c'eft: "Rien, dit Kutler, d'un air agité; refer»mez votre valife, nous la vifiterons ail

leus. Au même inftant, Couturier & un des Poftillons voient le malheureux Sainclair s'elancer entre les arbres avec affez de force; il fe tourne vers eux, & s'écrie en François Mon Dieu, Jefus, mon Dieu! Alors Levitski appelant fes foldats, courut avec eux, le fabre à la main, fur le Suédois: on entend les coups dont ils le frappent.

Couturier, faifi d'effroi, demande la vie & la liberté, il adreffe à Levitski fa prière en langue Latine; celui-ci lui répond: » Ne timeas: peccatum effet contra Spiritum Sanctum malefacere viro probo ficut te; ile habuit quod merebat; erat inimicus Magifiri;

puto

inimicus Magiftri eft inimicus Dei, & me non peccaffe interficiendo eum. » Cepen dant-on entraîna Couturier, on le mit fur un charriot entre deux de ces affaffins, qui lui parloient, l'un en Latin, l'autre en François, qui fe parloient entre-eux, tantôt en langue Polonoife, tantôt en Ruffe. Kutler lui ordonna de ne faire aucune question, & de ne parler à qui que ce foit, ni fur eux, ni fur leur pays,ni fur l'endroit où ils alloient. "Vous ne le faurez jamais, ajouta-t-il; & »fi, par quelque hafard, vous échappiez » de nos mains, vous avez vu vous-même » que nous favons trouver ceux que nous » cherchons. Vous ferez donc mieux de gar» der le filence, & d'attendre que nous vous » relâchions; alors vous pourrez dire tout » ce que Diable vous voudrez. »

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Couturier fut conduit & renfermé durant cinquante-fix jours dans le Fort de Sonneftein, appartenant à la Ruffie. Pendant le voyage, les mêmes fcélérats qui l'efcortoient lui volèrent fon argent, fe le partagèrent avec les effets de Sainclair. Levitski, en faifant le partage des habits & du linge, lui en demandoit la valeur, afin, disoit il, que les parts fuffent plus égales.

Cinq jours après l'affaffinat, le cadavre du Major fut découvert par un Berger, qui courut le déclarer à Naubourg. La Justice & un Médecin s'y tranfportèrent. On trouva le corps couché, le vifage contre terre, &

les bras étendus. Lorfque les habits furent ôtés, ils virent à l'eftomac la bleffure d'un coup de feu, dans laquelle on trouva une balle de piftolet. Sainclair avoit reçu à la tête deux coups de fabre profonds, & un troisième qui l'étoit moins; trois coups d'épée dans le dos, dont deux traverfoient la poitrine; un autre sous le bras gauche, & un coup de fabre à la main. Il avoit au doigt un anneau d'or, & dans fa poche, une boîte d'écaille avec du tabac. Ces pièces furent dépofées au Château de Naubourg.

L'Empereur & le Roi de Suède indignés, firent procéder aux informations. Le crime & fes complices ayant été avérés, l'Impératrice de Ruffie fit arrêter les coupables; fon Miniftre, le Comte d'Ofterman & le Duc de Courlande, dont ils avoient fervi l'infame politique, n'osèrent les défendre; ils livrèrent à la Juftice leurs vils inftrumens; & au lieu des magnifiques récompenfes qu'efpéroient Levitski & Kutler, ils fe virent traînés dans les cachots de la Sibérie.

Après avoir obtenu juftice des auteurs fubalternes de ce meurtre, le Roi de Suède voulut rendre les derniers devoirs à fon malheureux Sujet. Le corps de Sainclair fut exhumé & tranfporté en Suède, où l'on rendit à fa cendre les honneurs dûs à un citoyen mort pour la Patrie.

Ceci n'est pour ainfi dire qu'un Episode dans l'Ouvrage de M. de Keralio. Ce Livre

paroît fur-tout destiné à l'inftruction des Militaires; on y trouve des Plans & des Cartes dont les feuls gens de l'art peuvent apprécier le mérite.r

On n'avoit encore rien publié de complet fur cette Guerre des Turcs contre les Ruffes &les Impériaux. L'Auteur a mis en œuvre 1°. les Memoires du Général Manftein. 2°. Un Manufcrit en Langue Allemande, qui renferme le Journal complet des opérations des Armées Impériales & Ottomanes. 3 Des Mémoires manufcrits & imprimés, foit en Allemand, foit en François. 4. Ceux du Marquis de Villeneuve, Miniftre Plénipotentiaire de France, & Médiateur de la Paix de Belgrade.

A l'égard des Cartes & des Plans de Bataille, M. de Keralio affure qu'ils paroiffent pour la première fois, & qu'ils ont été leves par les Ingénieurs de l'Armée Impériale.

Les Militaires, dit-il, ne liront pas fans » intérêt l'Hiftoire d'une Guerre auffi éton» nante par les fuccès que par fes fautes, & glorieufe feulement pour la France, qui la termina. »

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