que nous fommes convaincus qu'il ne peut recevoir de New-Yorck, où l'on en a un befoin au moins auffi urgent, & que ceux qui pourroient être envoyés d'ici n'arriveront jamais à tems.

Les ifles ne nous préfentent pas une perfpective plus avantageufe. La présence de l'Amiral Rodney à la Jamaïque, la certitude qu'on a que les forces combinées aux ordres de MM. de Guichen & de Solano fe font féparées fans rien entreprendre, nous ont raffuré fur le fort de cette ifle; mais nous nous trouvons dans l'impoffibilité de profiter des circonftances & d'agir offenfivement de notre côté. Nos forces diminuent fenfiblement aux Petites Antilles, par les maladies, & particulièrement à Ste-Lucie. Le Général Vaugham qui y commande, a écrit aux Miniftres que fon corps d'armée étoit dans la fituation la plus déplorable, que plus de la moitié de fes troupes étoit hors d'état de fervir. Le 98e. régiment, l'un des corps nouvellement levés, avoit particulièrement fouffert de l'intempérie de l'air, qu'il n'en reftoit plus un feul en état de porter les armes; les débris du 49e qui en ont été ramenés récemment & mis en quartier à Cantorbery, n'excèdent pas 100 hommes.

Les lettres de la Jamaïque, relativement à fa défense, ne fauroient être plus alar

mantes.

» L'état dans lequel les troupes du Roi se trou

vent dans cette Ifle, ne fauroit être plus trifte. L'Amiral Rowley nous a amené 2700 hommes au lieu de 4000 ; & dans ce petit nombre, il y en a 800 malades, qu'il a fallu porter dans les Hopitaux en les débarquant, de forte que le total de celles qui peuvent fervir pour notre défense, se réduit à 1900. Il eft à craindre que ce nombre ne diminue encore. Ci-devant on mettoit une espèce d'exactitude dans le paiement des billets qu'on donnoit pour la folde mais actuellement on ne peut pas recevoir un fchelling du Tréforier ni du Comptoir du Receveur-Général, ce qui eft caufe que les foldats arrivés avec la flotte fe portant très-bien, font devenus comme les fquelettes. Leur air extérieur ne marque que trop le défefpoir & la faim dont ils font rongés. Il étoit inutile d'envoyer ici des troupes dans de pareilles circonftan, ccs. Cependant malgré les rumeurs factieuses occa, fionnées parce que plufieurs détachemens fervent ailleurs, on ne dit pas un mot contre ceux qui font reftés en arrière, qui manquent du néceffaire, & deviennent tous les jours les victimes de la faim & des maladies. C'eft en vain que l'Aflemblée a pris la réfolution de donner crédit aux billets de falde, ils tombent journellement : le crédit public femble n'être plus à préfent qu'un vain nom «.

On dit que l'Amiral Rodney ayant vů les forces Françoifes & Efpagnoles féparées, a pris le parti de fe rendre dans l'Amérique feptentrionale pour joindre les Amiraux Graves & Arbuthnot. Mais en ce cas, il auroit abandonné les ifles où les ennemis feroient bientôt réunis, & pourroient tenter quelque entreprife importante avec la certitude de n'être pas inquiétés. Les vaiffeaux que M. de Guichen ramène en Europe n'empêchent pas

que ce qui refte ne faffe une flotte formidable.

On ne parle plus de la fameuse expédition du Gouverneur de la Jamaïque contre les établiffemens Efpagnols; elle eft à préfent abfolument manquée. Tout ce qu'on en fait fe réduit à la lettre fuivante écrite par un particulier en date du Château de St-Juan le 18 Juin, & adreffée à un de fes amis à Kingston.

» Nous nous fommes embarqués le 15 de ce mois, fur un canòt, avec le Général Kemble. En arrivant au Camp, nous y avons trouvé le Général & prefque tous les Officiers malades & manquant de tout; plufieurs font morts. Nous fomines actuellement en pleine poffeffion de la clef du Pays, & il ne nous manque ques à 600 hommes pour pénétrer dans fon intérieur. Toutes les difficultés font vaincues, & rien ne nous empêche d'arriver à Grenade & à Léon. Mais nous fommes à présent dans la faifon des pluies qu'il faut laiffer paffer avant de rien entreprendre. Elles ne finiront qu'en Novembre. Cependant fi nous avions feulement 400 hommes effectifs, nous pourrions faire cette tentative en tout tems. Le Château St-Juan eft conftruit depuis 125 ans, & fitué fur une élévation qui forme une pointe fur la rivière. Il eft de 80 pieds plus haut que le niveau de l'eau, & efcarpé de tous côtés excepté à la pointe de l'Oueft par laquelle on y entre. Nos foldats y avoient fait un logement du côté de l'Eft & du Notd, & par ce moyen, ils avoient coupé aux Espagnols toute communication avec la rivière, ce qui les a forcés de fe rendre. Depuis le Fort jufqu'à l'autre rivage, la rivière forme un courant rapide de 300 verges qu'il eft difficile de paffer en bateau. Le Fort a 65 pas de long & 31 de large avec 4 baftions, un à chaque

angle. Il y as embrafures à chaque baftion & 42 chaque courtine de l'Eft, qui y ont été placées pour incommoder les bateaux Anglois qui voudroient remonter la rivière. Il y a autour un foffé de 10 pieds de largeur & 3 de profondeur. Une petite banquette en dehors, & fur cette banquette des piquets depuis le baftion du N. O. jufqu'au baftion du S. O. Cette partie de fortification eft du côté de la terre. Le refte eft baigné par la rivière «.

Ce n'est qu'en Novembre que les troupes pourront agir; & d'ici à ce tems-là les maladies peuvent fuffire pour les détruire; & les Espagnols dans le cas contraire, ont le tems de fe préparer à les recevoir.

Ce n'eft pas feulement aux Indes occidentales que nos troupes ont à souffrir dụ fléau de la contagion. Il règne parmi celles qui font en quartiers à Chatham, à Rochefter & dans les autres villes ou villages à l'embouchure de la Tamife, & fur la rivière de Medway, une dyffenterie de l'efpèce la plus dangereufe. Elle emporte beaucoup d'Officiers & de Soldats, & particu lièrement dans les baraques de Chatham, où le nombre des malades eft fi grand, qu'on y manque de gens pour les foigner. De 300 hommes de troupes fraîches qui y arrivèrent le 6 de ce mois, 150 furent attaqués dès le lendemain de ce fléau mortel. La fœur du Colonel Haflam qui étoit venue rendre vifite à fon frere ne lui a point échappé, & eft morte il y a dix jours dans ces baraques, On compte plufieurs perfonnes de diftinction parmi les morts & les malades. Malheureufement, les gens de l'art en s'appliquant à

arrêter l'épidémie en deviennent eux-mêmes lės victimes. Le Sieur Wood, Chirurgien des baraques, eft mort, & des Chirurgiens attachés aux régimens, il n'y en a prefque pas un feul qui ne foit alité.

On travaille avec autant d'activité qu'on le peur à équiper des vaiffeaux, & à raffembler les troupes qu'on doit envoyer, à l'Amiral Rodney, à New-Yorck; mais malgré les foins du Gouvernement ces travaux vont toujours lentement.

La grande flotte qui avoit mis à la voile de Torbay le 12, a été obligée d'y rentrer. Les tempêtes qui ont régné conftamment de-" puis quelque tems ont fait plufieurs dommages aux vaiffeaux qui la compofent; plufieurs ont été fi maltraités qu'ils ont besoin d'être radoubés.

On ne croit plus à la prétendue paix féparée avec l'Espagne dont le bruit s'eft répandu tout-à-coup; on fait à préfent qu'il n'a été femé que pour faire diverfion au retard du paiement de la demi - année du dividende du nouvel emprunt; on fentoit le coup que cet évènement alloir porter à nos fonds publics; on eft parvenu à le détourner, mais ce fuccès n'eft fans doute que pour un tems. L'embarras où l'on fe trouve à présent annonce celui dans lequel nous fommes menacés de tomber l'année prochaine, pour trouver les fonds dont nous avons befoin. Les Miniftres s'occupent vivement des moyens de pourvoir à la le