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plufieurs jours de très-près, manoeuvrant & feignant de l'aborder afin d'aguerrir fon équipage devant l'ennemi, la plupart d'entr'eux étant au premier voyage, non habitués à la mer ni au feu. À la vue du Cap de Clare, le 24 à 11 heures du matin, on abandonna cette frégate, ayant vu dans un éclairci au N. O. une flotte Angloise de 44 bâtimens, diftant d'environ 3-lieues, & venant de la Jamaïque. La Ducheffe de Chartres ayant été ap perçue à fon tour, deux frégates de guerre la chaf sèrent; elle força de voile jufqu'à les perdre de vue, ayant auparavant obfervé les mouvemens de la flotte: à l'entrée de la nuit, elle manoeuvra pour la rejoindre, & la rencontra vers les 10 heures; elle vit plufieurs navires courant à l'E. S. E. Le vent au Sud devenu gros frais, & la mer très-mauvaise la forçant à naviguer fur les deux baffes voiles, elle ne put en attaquer aucun fans bruit : elle refta toute la nuit à les conferver fans le faire connoître. Au point du jour on ne voyoit que cinq bâtimens, tous en frégates éparfes; elle s'approcha d'un nommé le Géné ral Dalling, ayant 14 canons; M. d'Albarade, dans l'intention de l'attaquer à l'abordage, attendoit que la mer fût fuffifamment tombée pour l'exécuter mais il fe trouva forcé de l'entreprendre au canon; ne pouvant fe fervir de fa batterie de fous le vent qui étoit dans l'eau par la groffe mer, il se posta fous le vent de l'Anglois. Le feu du canon & de la moufqueterie, commença à 8 heures à la portée du piftolet, & continua de même avec grande vivacité de part & d'autre jufqu'à 10 heures , que la mer ayant permis de tenter l'abordage, on l'effectua & on s'empara de l'Anglois. La groffe mer donnoit beaucoup d'avantage à l'Anglois au canon, étant un gros bâtiment de sco tonneaux, avec une batterie très élevée, le battant avec huit canons fur le côté, tandis que celle de la Ducheffe de Chartres, trèsbaffe, ne l'incommodoit que très-foiblement, ne

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l'eau.

pouvant faire fervir ques canons, gênés par La Ducheffe de Chartres eut les voiles & fes manœuvres entièrement criblées, & trois hommes bleffés; dans l'engagement l'équipage fe comporta avec tout le courage & l'ardeur pollibles. L'Anglois dit avoir eu un homme tué & un bleffé; il avoit 35 hommes d'équipage & une femme, fa cargaifon très-riche eftimée à 600,000 liv. en fucre & autres objets, allant à Bristol, La Ducheffe de Chartres étant occupée tout à la fois à amariner le Général Dalling & à le réparer, l'on apperçut au vent deux floops de guerre appartenans à S. M. B. venant en challe, le Lively, commandé par le Capitaine Inglefield, armé de 16 canons & 103 hommes d'équi Page, & le Swalow, commandé par le Capitaine Bickerton, afmé de 14 canons & 97 hommes: ils avoient l'un & l'autre des pierriers & des obufiers. Le vent étoit au fud bon frais, la mer groffe, on avoit les amures fur tribord. La prife le Général Dalling, à bord de laquelle on avoit mis 13 hommes de l'équipage François, abandonna la Du-. cheffe de Chartres, en virant de bord, prenant l'amure fur bas-bord, & cingla à la rencontre de ces ennemis. Malgré tous les fignaux qu'on lui fit pour revirer de bord, elle continua fa route fans qu'il fût poffible à la Ducheffe de Chartres de virer de bord pour courir deffus & la forcer de changer de route. Elle fut repiife par les Anglois à une heure après-midi. La Ducheffe de Chartres refta toujours au même bord, travaillant à fe raccommoder au mieux soffible, dans le cas qu'il fallût en venir aux prifes avec ces deux ennemis, qui approchoient grand frais, forçant de voile : avant qu'ils n'euffent accofté on parvint tant bien que mal à orienter les quatre voiles majeures fans pouvoir encore les forcers on ne put faire fervir l'artimon. A midi un comer de *guerre, de 14 canons, venant du S. O., vint à deux portées de canon reconnoître la Ducheffe de Chartres & prit les amures fur bas-bord fans ve

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nir plus près. M. d'Albarade fe trouvoit presque dans l'impoffibilité de fe défendre, par le mauvais état de fes voiles, de fes manoeuvres, ne pouvant faire aucun ufage de fes canons, & de les pierriers fous le vent, qui étoient entièrement dans l'eau ; la mer entrant à bord jufques par-deffus le mi-bord gênoit extrêmement le fervice de la moufqueterie, les hommes étoient dans l'eau & très-fatigués. Malgré tous ces obftacles, ce Capitaine voulant défendre & foutenir fon pavillon, fit débarraffer tout le pont de l'avant à l'arrière, en faisant jetter à la mer tout ce qui étoit deffus, excepté les canons & les autres armes, afin que rien ne gênât. Huit matelors étrangers qui s'étoient vaillamment diftingués dans le combat du Général Dalling, confternés à l'affect d'un fecond, intimidèrent le refte de l'équipage, difant à l'infu du Capitaine qu'il y avoit de la témérité à s'entêter contre des forces auffi fupérieures, tandis que les leurs étoient épuifées; que les deux ennemis étoient des vaiffeaux du Roi, chacun plus grand & plus fort que la Ducheffe de Chartres, vaiffeau particulier, qui feroit coulé bas s'il réfiftoit. Capitaine, M. d'Albarade, dans l'état le plus défavantageux, ayant 16 hommes de moins, fe trou. vant engagé contre deux ennemis trop puiffans, mit en ufage la feule reflource qui lui reftoit pour tâcher de leur faire face, c'étoit l'abordage, qui avoit de très grands dangers à courir par la trop groffe mer, la voilure encore de la plus grande incommodité pour exécuter des manœuvres auffi précifes & auffi difficiles, & ayant un défavantage dans la marche. Les ennemis ayant 30 canons, des pierriers & des obufiers à fervir & étant fous le vent, pouvoient exterminer en peu de tems la Ducheffe de Chartres, fans qu'elle pût ripofter d'aucuns des fiens; ces confidérations n'arrêtèrent point; l'abordage fut réfolu, comme dernier moyen, dans cette extrémité, de garantir l'équipage du feu du canon des ennemis; n'ayant d'autres armes à employer

Le

pour le fuccès que des fabres & des haches, le Capitaine, en encourageant fon monde, prit luimême les armes, qu'il dépofa au pied du grand mât, dans un tonneau affujetti, pour empêcher que l'eau, qui fubmergeoit le pont, ne l'empor tât, en difant à fon équipage: » nous n'avons que » de ceci à pouvoir faire ufage aujourd'hui, ceux » qui en manqueront viendront en prendre dans la barique. Les ennemis s'étant approchés vers les trois heures & un quart, croyoient que la Ducheffe de Chartris fe rendroit auffi-tôt. Ils fe poftèrent l'un au vent & l'autre fous le vent à la portée du fufil. Le Lively au vent tira un coup de canon & vint fe préfenter par le travers de la Ducheffe de Chartres, qui continuoit fa route tranquilment & fans mouvement, fous les

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quatre voiles majeures, faifant deux lieues: & demie à l'heure. L'Anglois laffé de ce calme apparent fe laiffa culer, fit feu de toute la bordée, &, en continuant fon feu, manquvra pour paffer fous le vent, Au même inftant, le Swalow commença auffi fon feu par toute fa volée; ainfi la Ducheffe de Chartres étoit entre deux feux, & le Capitaine attentif guettoit un instant favorable pour exécutér fes deffeins,

Le moment vint: le Lively étant fous le vent. La Capitaine d'Albarade, avec fa même voilure, arriva deffus avec vivacité pour l'aborder, & l'aborda effec tivement au vent,: il ordonna à sa moufqueterie de faire feu; en abordant M. d'Albarade fut bleffsé au haut du bras gauche par une balle de moufquet qui pénétra jufques dans la poitrine & fractura le fternum, le bras lui resta immobile & il perdoit beaucoup de fang. La douleur d'une bleffure auffi dange reufe ne lui arracha qu'une exclamation, plufieurs de fes gens près de lui, répétant qu'il étoit bleffé, il leur en impofa en difant: taifez vous, n'eft rien. Il continua de commander & d'encourager fon équipage. Le Lively s'étant vu ferré de f près travailla à fe dégager ; marchant mieux, il réuf

ce

fit, fila de l'avant, fon grand porte-haubans écrate. -Malgré fa bleffure, le Capitaine d'Albarade ne fe déconcerta pas; il commandoit avec la même précifion & avec fon fang-froid ordinaire dans des manœuvres auffi précipitées, auffi délicates, que har dies & dangereufes; il fit arriver auffi-tôt que fon beaupré fut dégagé du Lively, il fit faire la décharge de toute la batterie du vent à brûle-pourpoint fur le derrière de l'Anglois qui le chauffa à fon tour; & du même mouvement, il courut fur le Swalow, qu'il aborda auffi au vent, qu'il tint bon alongé, & qui fit des vains efforts pour le débarraffer (1).

(1) Pour bien juger de la conduite de M. d'Albarade, il faut confidérer fa fituation & celle de son vaiffeau; il étoit entre deux feux, fa voilure n'étoit point du tout propre pour manoeuvrer. Sans être arrêté par cet obftacle, cherchant à tirer tout le parti poffible de cette mauvaise voilure,attendant le feul moment où il pouvoit aborder, il le faifit avec autant de rapidité que de précifion; un petit inftant plutôt ou plus tard à arriver pour courir fur le Lively & l'aborder, ainfi que moins de vivacité & de combinaifon pour le rencontrer dans l'angle, faifoit manquer l'abordage, & l'Anglois l'auroit également écharpé. Il eût manqué auffi par quelques fecondes à venir trop tôt du lof; & quelques fecondes à venir trop tard auroient occafionné un choc qui, avec un fi grand fillage & une met auffi groffe auroit brifé & coulé bas l'un & l'autre navire. Il a fallu froiffer avec le plus grand ménagement pour éviter tous ces dangers, commander & exécuter le tout à l'inftant, tant des manœuvres, que des voiles,du gouvernail, &c. Le fuccès de cette manoeuvre fi difficile, qui demandoit tant d'exactitude & de précifion que la perte de quelques fecondes l'eût fait manquer, paroîtroit l'effet du hafard, fi l'on ne voyoit que M. d'Albarade, quoique bleffé dangereu fement, ayant la poitrine fracaffée, un bras immobile, perdant beaucoup de fang, l'a répétée fur le champ avec le même fuccès, fur le Swallow. Les marins feuls peuvent juger de la hardieffe & de la délicateffe de cette manœuvre qu'ils ne manqueront pas d'imiter, lorfqu'ils fe trouveront en pareille circonftance. Pour l'exécuter avec précifion, il faut couferver toute fa tête & fon fang froid, L'abordage du Général Dalling eft d'un autre genre.

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