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y tenta la fortune. Elle lui fut favorable. Riche, il defira de revoir fa patrie. Il raffembla donc fes richeffes & revint en Efpagne. Carrizalès, c'eft le nom du Gentilhomme, pouvoit alors avoir 70 ans. Les biens & l'indigence, comme il ne l'éprouva que trop, font également la fource de mille foucis. Les peines de la pauvreté peuvent ceffer avec une médiocre fortune; mais les inquiétudes que caufent les richeffes augmentent avec les biens mêmes. Carrizalès ne contemploit cependant pas fes tréfors en avare: il étoit plutôt embarraffé de l'ufage qu'il en devoit faire. Le bon Gentilhomme defiroir un héritier; il fe croit encore capable de s'en procurer un. Il fe tâte le pouls, & eft fort d'avis de fe marier; mais au milieu de fes réflexions, la crainte s'emparoit de lui & faifoit évanouir ce defir flatteur. Il fe fentoit l'homme le plus jaloux. La feule penfée du mariage le troubloit. La jaloufie & les foupçons le mettoient déjà à la torture; enfin, toute réflexion faite, il prit le parti de refter célibataire. Mais une jeune perfonne, nommée Léonore, fage, honnête, élevée chez fes père & mère, & d'une figure intéreffante, triompha bientôt de la réfo

lution du foible Vieillard. Léonore étoit fort pauvre. Quelle ait du bien ou non, » n'importe, fe difoit Carrizalès, j'en ai » pour elle. Un homme riche, ne doit

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pas fe marier par intérêt. Contente»ment paffe richeffe; & je ne dois pas » chercher autre chofe fi je veux prolon » ger mes jours. Eh! combien de difgrances & de troubles ne fuivent pas une » femme riche! C'eft une affaire faite: c'eft-là l'époufe qu'il me faut ». H répéta plufieurs fois la même chofe; & quelques jours après il alla trouver le père de Léonore, fort content de donner fa fille à un homine qui lui affuroit une fortune confidérable. Carrizalès, ne fut pas plutôt fiancé, qu'il devint trifte, rêveur foupçonneux; tout l'inquiétoit. Il voulut donner des habits à Léonore. Lui préfenterois-je un Tailleur? Non, fe difoit il, Dieu m'en garde. Il cherche dans le voisinage une pauvre fille dont la taille approche de celle de fa future époufe. Il la trouve, la fait habiller, effaye cet habillement fur Léo nore. Il alloit au mieux, & cet habit fervit de patron pour les riches ajustemens qu'il fit bientôt faire. Carrizalès, comme l'on voit, ne reffembloit point

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au Jaloux Honteux de Dufrefny. Après le mariage, il fit éclater fa jaloufie d'une manière encore bien, moins équivoque, Il avoit acheté une efpèce de Château fort, où la jeune époufe, enfermée, étoit dérobée aux regards de toutes les perfonnes du dehors. Une Duégne, différentes femmes & un Eunuque noir veilloient fous fes ordres dans toute la maifon; lui feul en avoit les clefs, & pour lui feul les portes du Château s'ouvroient. Il avoit fait pratiquer une espèce de tour pour faire paffer les provifions du dehors. Les autres traits que Michel de Cervantes ajoute à la peinture qu'il nous fait des perfécutions que la jaloufre industrieufe du Vieillard lui avoit inf piré, paroîtront à quelques Lecteurs un peu outrées. Mais l'Ecrivain Efpagnol a imité en cela le Poëte Comique, qui charge quelquefois fes caractères pour les rendre fenfibles à la multitude. Michel de Cervantes a cherché d'ailleurs, par cette caricature, a nous rendre plus piquante l'adreffe de fon Virote, espèce d'égrillard ou d'intriquant, qui trouve le moyen de mettre dans fes intérêts la Duégne de Léonore, & de s'introduitę dans le Château auprès de cette Belle.

« Cette aventure, dit Cervantes, en » finiffant cette Nouvelle, ne prouve

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que trop évidemment combien peu » l'on doit fe repofer fur les clefs, les » doubles & triples portes, les tours, les » hautes murailles, enfin fur tout ce que » peut dicter la prudence humaine, lorfque la volonté fe porte au-dehors de » ces prifons. On voit auffi quelle crainte » on doit avoir de ces Duégnes aux longues coëffes, à l'œil morne & filencieux, lorfque, fans réserve, on leur abandonne la jeuneffe

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Léonore ne manqua point de fidélité à fon époux; mais il fuffit à cet époux de croire que fa jeune époufe l'avoit trahi, pour éprouver un cuifant chagrin qui le conduifit en peu de temps au tombeau. Un vieillard jaloux eft ordinairement un homme injufte, cruel & barbare; & ce n'eft malheureufement que dans cette Nouvelle que l'on verra un jaloux octogénaire fe rendre juftice, & conferver jufqu'à la fin de fes jours des fentimens de douceur & de bienfaifance pour fa jeune moitié. Carrizalès, couché fur le lit de mort, fit approcher cette époufe troublée, qu'il croyoit infidelle & qui n'avoit été qu'imprudente.

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«La vengeance, lui dit-il, que je pré» tends tirer de cet affront, n'eft pas » celle que tout autre en tireroit à ma place. Comme j'ai été extrême dans le » bien que j'ai fait jufqu'ici, je veux auffi que ma vengeance mette le comble à ces bienfaits. Ce défordre eft » mon propre crime. Je ne devois pas être affez imprudent pour oublier » qu'une jeune femme de quinze ans ne devoit pas être celle d'un vieillard de quatre-vingt. J'ai donc agi comme le vers à foie, j'ai moi-même fait la demeure où je devois m'enfevelir. Je ne te blâme pas, jeune inconfidérée! » En difant cela, il embraffe Léonore, qui étoit un peu revenue de fon trouble. Non, je ne te fais aucun crime de ta conduite. Les avis, les inftigations de cette malheureufe Duégne, & les careffes du jeune égrillard qu'elle a » introduit ici, étoient un écueil trop dangereux pour que ta vertu n'y fit pas naufrage, avec auffi peu d'expérience que tu en avois. Mais afin qu'on fache la fincérité & l'étendue de l'ami»tié que j'ai eu pour toi jufqu'à mon dernier moment, je vais laiffer un exemple de bonté, ou au moins de

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