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du roi? Quelques-uns assurèrent que Philippe avait découvert dans sa femme une difformité secrète ; d'autres, que la reine avait l'haleine fétide; on alla jusqu'à prétendre que le roi ne l'avait pas trouvée vierge (1). Il est difficile de concilier ces explications avec la sérénité que paraît avoir gardée Philippe jusqu'au milieu de la cérémonie du sacre et avec les tentatives qu'il fit pour se rapprocher de la reine, non-seulement à Saint-Maur en 1193, mais encore à Étampes, treize ou quatorze ans après (2). M. Hurter a conjecturé que peut-être, pendant la solennité du couronnement, Philippe avait été vivement frappé de l'idée d'avoir manqué son but (3). Quel but? Sans doute la coopération des forces du Danemark dans l'expédition que Philippe méditait contre l'Angleterre. Mais le roi de France avait dû connaître la réponse faite à ses ambassadeurs, non-seulement avant le couronnement, mais encore avant l'arrivée d'Ingeburge. Cette réponse même avait dû ètre prévue, puisque, en cas de refus de la part de Knud VI, les envoyés français étaient autorisés à lui demander, pour la dot de sa sœur, dix mille marcs d'argent. Nos historiens français contemporains, Rigord et Guillaume le Breton, ne vont pas chercher si loin les motifs de l'antipathie subite que ressentit Philippe pour la princesse danoise. A les entendre, le roi fut ensorcelé, c'est-à-dire, pour me servir d'une expression triviale, mais consacrée en pareille matière, que des sorcières lui avaient noué l'aiguillette (4). Cette étrange explication est-elle une défaite? N'aurait-elle été adoptée par les panégyristes de Philippe-Auguste que pour éviter la périlleuse nécessité d'attribuer à un inexcusable caprice du roi, son odieuse conduite? Il serait assez naturel d'en juger ainsi. Toutefois, de pareilles absurdités étaient alors prises au sérieux. Philippe voulut, dans la suite, faire valoir auprès de la cour romaine cette prétendue cause de séparation, et le pape lui exposa quelle serait, dans ce cas, la procédure à suivre,

ordo requirit naturalis, debitum reddidit maritale. » Baluz. Miscell., t. I, p, 422 (1) Guill. Neubrig., De reb. angl. IV, 27.

(2) Innoc. III, epist. X, 176.

(3) Hist. d'Innoc. III, Tr. fr., t. I, p. 164.

(4) Sed mirum! eadem die, instigante diabolo, ipse rex, quibusdam, ut dicitur, maleficiis per sortiarias impeditur; uxorem tam longo tempore cupitam, exosam habere cœpit. Rigord, Hist de Fr., t. XVII, p. 38. Guillaume le Breton fait porter sur la reine elle-même l'effet du maléfice : « quæ eodem die quod benedicta et coronata fuerat, per sortiarias, ut dicunt, maleficiata, ab ipso rege cœpit minus diligi, et jure thori et carnis debito privari. » Ibid., p. 71.

tout en l'avertissant qu'il fallait au préalable tâcher de rompre le maléfice par des prières, des jeunes et des aumônes.

Mais cette cause dirimante ne fut pas celle que Philippe crut devoir alléguer la première. Le plus fréquent motif de la dissolution des mariages était, au moyen àge, la parenté entre les époux aux degrés prohibés. Philippe avait dans sa famille même un exemple qui devait l'encourager à essayer d'abord de ce moyen banal. L'union de Louis VII, son père, avec Éléonore d'Aquitaine, avait été dissoute pour cause de parenté, par une sentence des évêques français, que Rome n'avait fait aucune difficulté d'approuver. Les prélats et les barons dressèrent donc un arbre généalogique afin de démontrer que, par Charles le Bon, comte de Flandre, Ingeburge de Danemark était parente au degré prohibé d'Isabelle de Hainaut, première femme de Philippe-Auguste (1). Lorsque tout fut préparé, le roi convoqua les prélats et les barons de ses domaines, et les réunit au château de Compiègne, quatre-vingt-deux jours après son mariage, c'est-à-dire le 5 novembre 193. La reine était présente mais seule, sans protecteurs et ignorant la langue française, elle était hors d'état de se défendre et même de rien comprendre à ce qui allait se passer devant elle. L'affinité prétendue fut solennellement juréc par Régnauld, évêque de Chartres, Philippe, évêque de Beauvais, Robert, comte de Dreux, Pierre de Courtenai, comte de Nevers, et Gauthier, chambellan du roi. Guillaume de Champagne, archevêque de Reims, qui présidait l'assemblée, prononça la sentence de divorce. Aussitôt qu'elle eut été communiquée à la reine par un interprète, elle s'écria, avec l'accent de la douleur la plus vive: Mala Francia! mala Francia! Roma! Roma! exprimant ainsi, autant qu'il était en elle, qu'elle appelait au saint-siége de la mesure injuste et arbitraire dont elle était victime (2)Philippe de son côté, se séparant à l'instant de sa royale épouse, l'éloigna de Paris et de sa personne, et la confina dans l'abbaye de Cisoing, au diocèse de Tournai (3).

(1) Linea consanguinitatis, per Carolum comitem Flandriæ, ab episcopis et baronibus computata. Rigord, Hist. de Fr., t. XVII, p. 38. C'était là le côté faible de cette généalogie. Charles le Bon descendait bien de Suénon le Grand, roi de Danemark; mais il ne laissa point de postérité, et Thierry d'Alsace, qui lui succéda au comté de Flandre, et dont la fille Marguerite donna le jour à Isabelle de Hainaut, ne se rattachait par aucun lien à la maison royale de Danemark.

(2) Gesta Innoc. III, c. 49.

(3) Guill. Neubrig., De reb. angl., IV, 27; Rog. de Hoved., Hist. de Fr., t. XVII,

La jeune reine se soumit à sa destinée, sans pourtant se laisser abattre, et devint bientôt pour ses compagnes un sujet d'édification. Elle partageait son temps entre la prière, la lecture et le travail des mains, et supportait avec une admirable résiguation les rigueurs de l'exil et les privations de la misère. Car, quoi qu'en ait dit Guillaume le Breton (1), Philippe-Auguste n'eut pas honte de laisser dans le besoin une princesse accomplie, qui avait partagé son trône et son lit, et dont la riche dot était sans doute encore tout entière dans le trésor royal. L'archevêque de Reims, ne pouvant se dissimuler sans doute l'injustice de la sentence qu'il avait prononcée, s'efforçait d'étouffer le cri de sa conscience en venant au secours de celle qu'il avait plongée dans le malheur et l'affliction. Mais les rares aumônes du prélat ne pouvaient que soulager momentanément les besoins de la reine prisonnière, et cette malheureuse princesse se vit obligée, pour vivre, de vendre ou d'engager le peu qu'elle possédait, et jusqu'à ses habits et à ses meubles les plus indispensables (2).

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Pendant qu'Ingeburge languissait dans l'obscurité de sa retraite, en proie au dénûment le plus absolu, Philippe s'épuisait en efforts pour obtenir de la cupidité de l'empereur Henri VI la prolongation de la captivité de Richard d'Angleterre. Il avait déjà offert, mais sans succès, des sommes énormes. Résolu de se ménager des appuis à la cour d'Allemagne, il demanda la main d'Agnès, cousine d'Henri VI, fille de Conrad, comte palatin du Rhin. Un historien contemporain assure même (3) qu'en divorçant d'avec Ingeburge, le roi de France avait pour but unique de rendre possible son mariage avec la princesse allemande. L'empereur accueillit favorablement les prétentions de Philippe, et la mère d'Agnès se hata d'annoncer à sa fille la brillante destinée

p. 561; Annal. Aquicinct. monast., Ib., t. XVIII, p. 546; Andr. Marchian., Ib., p. 577 e. (1) Hist. de Fr., t. XVII, p. 71.

(2) Steph. Tornac., ep. 263, 276. Cf. Baluz. Miscell. t. I, p. 420. (3) Rog. de Hoved., Hist. de Fr., t. XVII, p. 561.

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qui se préparait pour elle. Mais la jeune fille répondit avec une noble indignation : « Je connais l'ignominieuse conduite qu'a « tenue ce monarque envers l'illustre sœur du roi de Danemark, et cet exemple m'épouvante (1). » Elle épousa bientôt après Henri, duc de Saxe, neveu du roi d'Angleterre. Ainsi les manœuvres de Philippe aboutissaient à fortifier le parti de son ennemi mortel. Ce ne fut pas, du reste, la seule humiliation qu'il dut à la cruauté de ses procédés envers sa femme légitime. Plusieurs nobles princesses, craignant un destin semblable à celui de la malheureuse Ingeburge, refusèrent leur main au roi de France. De ce nombre, fut Jeanne d'Angleterre, veuve, en 1189, de Guillaume II, roi de Sicile, et qui devint, en 1196, comtesse de Toulouse et de Saint-Gilles, par son mariage avec Raymond VI. Mais de toutes les mésaventures matrimoniales de Philippe-Auguste, la plus piquante est celle que lui fit éprouver une princesse allemande, différente de la fille de Conrad, et dont toutefois le nom n'est pas arrivé jusqu'à nous. Elle était déjà promise à un grand seigneur du pays, lorsque ses parents, éblouis par l'éclat d'une alliance royale, accueillirent la demande de PhilippeAuguste, et firent partir leur fille pour la France avec un pompeux cortége. Malheureusement, elle devait traverser les terres du seigneur qui, le premier, avait demandé et obtenu sa main. Celui-ci, prévenu secrètement par sa fiancée, s'embusqua sur son passage, l'enleva et l'épousa solennellement quelques jours après (2).

Voilà les premiers fruits que retira le roi de France de son indigne conduite : l'odieux et le ridicule. Il ne se laissa pourtant pas décourager et poursuivit avec ardeur ses projets de mariage. Mais l'activité même de ses démarches excita puissamment le zèle des défenseurs naturels de la reine opprimée. En 1194, Absalon, archevêque de Lunden, dénonça au souverain pontife le divorce de Philippe comme une mesure aussi arbitraire qu'illégale. II n'eut pas de peine à démontrer qu'il n'existait aucune parenté entre Ingeburge et Isabelle de Hainaut, et supplia le souverain pontife d'employer son autorité pour rendre à la reine de France

(1) Audivi a multis de rege hoc, quomodo fœdaverit et abjecerit puellam nobilissimam, germanam scilicet regis Danorum, et vereor exemplum. Guill. Neubrig, De reb. angl., IV, 32.

(2) Guillelm. Neubrig., De reb. angl., V, 16.

les bonnes graces de son époux et l'honneur que lui avaient ravi des imputations mensongères (1). Le roi de Danemark écrivit lui-même à Célestin III une lettre pleine de soumission, dans laquelle, après avoir rappelé l'attachement de ses ancêtres pour le saint-siége et tous les bienfaits qu'ils en avaient reçus, il proteste contre la parenté qui a servi de prétexte au divorce de sa sœur, et le supplie, au nom de l'honneur de l'Église, de faire justice à la princesse opprimée (2). Par une seconde lettre, Knud VI s'efforça d'intéresser à sa querelle le collége des cardinaux, et leur recommanda les envoyés qu'il avait chargés d'agir en son nom auprès de la cour romaine (3).

Ces envoyés étaient Guillaume, abbé de Saint-Thomas du Paraclet, et André, neveu de l'archevêque Absalon, qui avait récemment succédé à Suénon, son père, dans la charge de chancelier de Danemark. Ils obtinrent du pape une lettre qui fut portée au roi de France par le diacre Cencius, notaire et légat du siége apostolique; mais le légat et la lettre furent fort mal reçus à la cour de Philippe (4). Sur ces entrefaites, Ingeburge peignit ellemême au pape sa malheureuse condition : « Tirée de la maison - de mon père, dit-elle, et emmenée en France, j'y fus d'abord, par la permission de Dieu, élevée sur le trône. Mais mon bonheur ayant excité l'envie de l'ennemi du genre humain, me voilà rejetée à terre comme une branche stérile et desséchée; me voilà privée de tout secours et de toute consolation. Le roi de France, « mon époux, m'abandonne, sans avoir rien à me reprocher, si « ce n'est de perfides imputations imaginées par la malice et le « mensonge... Dans ma détresse, je me réfugie au pied du trône « de toute miséricorde (5)....»

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Ces accents d'une douleur résignée secouèrent la nonchalance du vieillard assis en ce moment sur le siége de Saint-Pierre. Célestin réprimanda l'archevêque de Reims et ses suffragants, qui avaient procédé de la manière la plus illégale contre une pauvre princesse étrangère et sans défense. Il se plaignit amèrement du peu d'égards qu'avait montré Philippe et pour la lettre du pape

(1) Guillelm. abb., Epist. II, 22.

(2) Ibid., II, 79.

(3) Ibid. ep. 26.

(4) Guill. abb., Epist. II, 27. Lettre de Célestin III à l'archevêque de Reims, Hist. de Fr.,

XVII, p. 650, et t. XIX, p. 339.

(5) Guillelm. abb., Epist. I, 32.

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