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et pour le légat qui la portait. Enfin, après avoir mûrement examiné la généalogie d'Ingeburge, que l'archevêque de Lunden lui avait transmise, il cassa la sentence de divorce et enjoignit à l'archevêque de Reims et aux autres prélats français de s'opposer, en vertu de l'autorité apostolique, à ce que le roi contractât un nouveau mariage (1).

Persécutions contre les envoyés danois.

III.

Concile de Paris. - Mariage de Philippe.

Auguste avec Agnès de Méranie. - Emprisonnement d'Ingeburge.

1195-1198.

La décision de Célestin III est du 13 mars 1195. En la notifiant à Philippe-Auguste (2), Célestin ne montra pas cette fermeté qui respire dans sa lettre à l'archevêque de Reims. Il lui ordonna, il est vrai, pour la rémission de ses péchés, de reprendre sa femme et de lui rendre son affection; mais il sembla donner cet ordre à contre-cœur, et demander grâce, en quelque sorte, pour l'intervention de l'Église dans cette délicate affaire. La faiblesse du pontife (3) eut pour résultat d'encourager la résistance du roi. Philippe entretenait à Rome des agents chargés de servir ses intérêts et de favoriser ses projets par toutes sortes de moyens. Les envoyés du Danemark mettaient dans leurs démarches en faveur d'Ingeburge le zèle le plus ardent, la constance la plus infatigable. Des mesures furent prises pour s'emparer de leurs personnes et les éloigner de la capitale du monde chrétien. Le chancelier André, averti des piéges qu'on lui tendait, eut à peine le temps de prendre congé du pape et d'écrire un billet d'excuses au cardinal Octavien, évêque d'Ostie. Il s'embarqua secrètement sur un vaisseau de l'Empire, qui, en deux jours, le conduisit à Pise (4), où il fut rejoint par l'abbé Guillaume. Ils étaient porteurs de lettres du pape adressées au roi, au cardinal-légat Melior, et au clergé de France. La mission

(1) Lettre de Célestin III, Hist. de Fr., t. XIX, p. 339.

(2) Hist. de Fr., t. XIX, p. 339. (3) Voy. Gesta Innoc, III, c. 50.

(4) Guill. abb., Epist. II, 33.

d'introduire ces lettres dans le royaume et de les remettre à leur destination n'était pas sans quelque péril. Mais les deux envoyés danois, pleins d'admiration pour la patience et la fermeté que montrait Ingeburge elle-mème au milieu de ses infortunes, s'étaient voués sans réserve à sa délivrance et bravaient hardiment, pour une si belle cause, les fatigues et les dangers (1). Ils échappèrent heureusement aux embûches dont on avait semé leur route; mais parvenus à Dijon, ils furent arrêtés par Eudes III, duc de Bourgogne, qui leur enleva les lettres du pape et les enferma tous deux dans une étroite prison.

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L'abbé Guillaume entrait alors dans sa quatre-vingt-cinquième année (2); son compagnon, au contraire, était dans la force de l'âge et il importait beaucoup à la cause d'Ingeburge que le chancelier de son frère recouvrât sa liberté. Guillaume écrivit aussitôt à Philippe-Auguste. Il l'exhorta d'abord à se conformer à la lettre toute paternelle que lui adressait le souverain pontife. II ajoutait ensuite avec une noble hardiesse : « Que Votre Majesté considère s'il est glorieux pour elle de faire retenir en prison << un homme qui lui est dévoué, un moine inoffensif (3), un " prêtre du Seigneur. Si cette rigueur est dans l'intérêt de votre gloire, je n'ai plus qu'à me taire; le devoir du serf est de se << soumettre à la volonté de son seigneur. Et cependant, Sire, je ne vois en moi aucune faute qui mérite la prison, à moins, « ce qu'à Dieu ne plaise ! que votre sagesse ne me fasse un crime « de vouloir conserver la majesté royale pure de tout péché. Mais, dans ce cas encore, l'innocent doit-il être condamné « avec le coupable? Voilà qu'on retient en captivité le chancelier << de l'illustre roi de Danemark, homme simple, sans malice, plein d'aversion pour le mal, dont la vie est pour nous et pour « tous un modèle à suivre. Quel crime a-t-il commis? Est-ce « parce qu'il est, comme moi, chargé des lettres du pape que

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(1) Voir deux lettres de l'abbé Guillaume à Ingeburge, lib. 1, ep. 34 et 35. Nous remarquons dans la seconde le passage suivant : « De cætero, valde conquerimur quod nibil a parte vestra vel scripto suscipimus (quod tamen salva reverencia et pace vestra dixerim), cum vobis bis ecce scripserimus, pro cujus amore et honore nostrum corpus exponere labori maximo contra dominum regem maritum vestrum nunquam timuimus. »>

(2) 11 mourut le 6 avril 1203, âgé de quatre-vingt-douze ans. Acta SS. April, f. 1, p. 635.

(3) Hominem pannosum, un homme de robe longue, par opposition sans doute aux chevaliers et aux hommes d'armes qui étaient couverts de fer.

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les méchants n'ont pas craint de porter leurs mains sur cet oint du Seigneur? Certes, il n'y a rien dans ces lettres qui puisse « offenser la majesté royale. Laissez-moi donc en prison, si cela - plait à Votre Majesté; mais faites relâcher mon compagnon, « dont la captivité, je n'en doute point, provoque la colère céleste (1).»

Avant que cette protestation généreuse fût parvenue à sa destination, Gui Paré, abbé de Cîteaux, sollicita en faveur des deux prisonniers l'indulgence du duc de Bourgogne. Eudes III consentit à faire conduire à Clairvaux le chancelier André et l'abbé Guillaume, après qu'ils eurent promis par serment que, si cet acte de condescendance déplaisait au roi, ils se laisseraient ramener à Dijon ou dans toute autre place qu'il plairait au roi ou au duc d'indiquer. Outre les lettres originales du pape, dont le duc de Bourgogne s'était emparé, les envoyés danois en avaient des copies qu'ils parvinrent à soustraire aux recherches de leurs ennemis. De Clairvaux, André envoya au cardinal légat Mélior, qui était dans les domaines de Philippe, la lettre qui lui était adressée, et le pria de lui obtenir une audience du roi de France (2). L'abbé Guillaume, de son côté, cherchait à se ménager l'appui de l'ermite de Vincennes. Il écrivit au frère Bernard, lui rappela les soins qu'ils s'étaient donnés ensemble pour faire réussir le mariage du roi, lui peignit l'indignation que le divorce avait soulevée dans l'âme de Célestin, et le supplia d'employer tout son crédit (3) pour décider Philippe à écouter les paternelles exhortations du pontife.

Toutes ces démarches restèrent d'abord sans résultat. Philippe-Auguste se montra sans doute mécontent qu'on eût tiré les envoyés danois de leur prison de Dijon. Le duc de Bourgogne les enferma de nouveau à Châtillon-sur-Seine, et ce ne fut qu'après six semaines de détention que, grâce à l'intercession des abbés de Citeaux et de Clairvaux, ils obtinrent leur liberté et la permission de se rendre à Paris. Philippe-Auguste, alors occupé à guerroyer en Normandie (1196), leur fit dire par un messager qu'il désirait avoir un entretien avec eux. Les envoyés danois attendirent. Sur ces entrefaites le prieur de Saint-Praxède

(1) Guill. abb., Epist. II, 25.

(2) Guill. abbat, Epist. II, 65.

(3) Quiarex idem consiliis vestris innititur. Guill. abb., Epist. II, 77.

I. Deuxième série.

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vint en France, avec des lettres du pape, qui auraient remplacé, au besoin, celles dont le duc de Bourgogne s'était emparé. Voici quelle était la procédure prescrite par Célestin. Le 7 avril 1196, l'archevêque de Sens, l'évêque d'Arras, les abbés de Citeaux et de Clairvaux, en qualité de juges délégués par le saint-siége, devaient examiner l'affaire du divorce, employer tous les moyens pour faire rentrer la reine dans les bonnes grâces de son époux. Si cette tentative restait sans résultat, la cause devait être publiquement discutée et jugée, le 7 mai suivant, dans un concile formé, sous la présidence du légat Mélior, par les archevêques de Reims, de Sens, de Tours, de Bourges et par leurs suffragants (1). Les efforts des commissaires délégués par le pape furent inutiles, et, conformément aux ordres de Célestin, l'examen de l'affaire fut déféré au concile. Tous les évêques et les abbés du royaume se réunirent au jour marqué à Paris, sous la présidence du légat; mais la crainte de la colère du monarque enchaîna leurs langues, paralysa leurs volontés, et ils se séparèrent sans rien conclure (2).

Après avoir ainsi impunément bravé les lois et l'autorité de l'Église, Philippe-Auguste crut pouvoir tout oser. Toujours résolu à contracter un nouveau mariage, il avait député à Rome Nivelon, évêque de Soissons, et Étienne, évêque de Noyon (3), sans doute pour sonder, au sujet de ses projets d'union, les dispositions du souverain pontife. Mais Célestin, malgré sa faiblesse, ne put se résoudre à autoriser un mariage adultère; il chargea expressément les deux prélats français d'intimer à leur maître, au nom de l'Église, la défense de contracter de nouveaux nœuds. Le roi se moqua de cette prohibition, et un mois s'était à peine écoulé depuis le concile de Paris, qu'au mépris de la morale publique et sans s'inquiéter du scandaleux exemple qu'il allait donner à ses sujets, à ses vassaux, à l'Europe entière, il épousa solennellement Agnès, fille de Berthold, duc de Méranie, de la maison d'Andech, nièce du margrave Didier de Misnie et descendante de Charlemagne (4). Des plaintes amères contre cette

(1) Lettre d'André, chancelier, à l'archevêque Absalon, inter Guill. abb. ep. II, 45. (2) Sed quia facti sunt canes nuti, non valentes latrare, timentes etiam pelli suæ, nihil ad perfectum perduxerunt. Rigord, Hist. de Fr., t. XVII, p. 38.

(3) Innoc. III, epist. I, 171.

(4) Je donne ces relations de parenté sur la foi de M. Hurter, Hist. d'Innoc. III, tr. fr., t. I, p. 168.

union coupable ne tardèrent pas à frapper les oreilles du souverain pontife. Du monastère de Cisoing et de la cour de Danemark des lettres arrivèrent à Rome, sollicitant contre le roi de France la sentence d'anathème qu'il avait méritée (1). Ce fut peut-être cette démarche qui détermina Philippe à aggraver encore la triste position de sa malheureuse épouse. Arrachée de la pieuse retraite où elle avait édifié le monde par sa patience et par ses vertus, elle se vit enfermée dans une forteresse, d'où elle adressa au pape Célestin une touchante peinture de ses malheurs. Elle implorait en terminant la compassion du saintsiége, et déclarait que si elle devait renoncer à cette dernière espérance, elle succomberait bientôt à la violence de sa douleur (2). Célestin vécut encore dix-huit mois après cette époque, et rien ne montre qu'il ait essayé de venir au secours de la reine opprimée, soit que les documents des dernières années de son pontificat aient été détruits par le temps, soit, ce qui est plus probable, que l'affaiblissement causé par l'àge ait conspiré avec l'irrésolution naturelle au vieux pape pour le retenir dans l'inaction.

IV.

Avénement et démarches d'Innocent III.-Obstination du roi.—Ses domaines sont soumis à l'interdit.-Effets de l'interdit.-Fureur et vengeances de Philippe-Auguste.

11981200.

Ce fut au mois de janvier 1198 qu'un pontife plein de jeunesse et d'énergie, pénétré de l'importance de ses devoirs et résolu à tout oser et à tout souffrir plutôt que de les violer, remplaça le vieux Célestin sur le siége de Saint-Pierre. Une courte lettre de l'abbé Guillaume, qui était encore à Rome, au roi de Danemark montre bien, par le sentiment d'enthousiasme et de

(1) Voy. les lettres de Knud et d'Ingeburge à Célestin. Guillelm. abb. Epist. I, 30, 31, 33.

(2) Me vero in quodam castello incarcerari præcepit, ubi sic proscripta dego, quod ad colum levare oculos neque audeo neque possum. Nullam allegat præterea parentelam, nullamve causam alicujus excessus pro quo ab illo debeam separari; sed facit de voluntate decretum, de pertinentia legem et de voluptate furorem. Doleo quidem et non tristari non possum, quia panem comedo cum dolore et potum cum lacrymis assidue permiscere compellor,.. unde, nisi vestra misericordia mihi misereri dignetur, morti succumbam in proximo temporali. Baluze, Miscell. t. 1, p. 422.

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