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tient pas. Ils interdiront à leurs paroissiens d'entrer dans les églises ouvertes sur les domaines du roi. Ils ne béniront que hors de l'église les besaces des pèlerins. Dans la semaine sainte il ne sera point célébré d'offices. Les prêtres attendront jusqu'au jour de Pâques, et ce jour-là ils diront la messe en secret, sans admettre d'autre personne que le prêtre assistant. Qu'aucun fidèle ne communie, même au temps de Pâques, s'il n'est malade et en danger de mort. Que durant la même semaine ou bien le dimanche des Rameaux, les curés préviennent leurs paroissiens de se rassembler le jour de Pâques au matin devant la porte de l'église ; là on leur permettra de manger de la viande avec le pain bénit du jour. Nous défendons expressément que les femmes soient admises dans l'église pour les relevailles; qu'elles soient averties de prier, avec leurs voisins, hors de l'église, le jour de leur purification, et qu'ensuite elles n'y aient accès, mème pour tenir des enfants sur les fonts du baptème, même lorsque, après la levée de l'interdit, elles auront été introduites par le prêtre dans le lieu saint. Ceux qui demanderont à se confesser seront entendus sous le portique de l'église. Dans les églises dépourvues de portique, on pourra, seulement lorsqu'il fera de la pluie ou du mauvais temps, ouvrir une des portes et entendre les confessions sur le seuil, en laissant dehors tous les fidèles, excepté celui ou celle qui se confessera; mais la confession aura lieu à haute voix, de manière que le pénitent et le confesseur soient entendus de tous ceux qui seront hors de l'église (1). Quand le temps sera beau, les confessions seront entendues devant les portes de l'église fermée. On ne placera point hors des églises des vases contenant de l'eau bénite, et les clercs n'en apporteront nulle part, attendu que tous les sacrements sont prohibés, à l'exception du baptême des nouveau-nés et du viatique pour les mourants. L'extrême-onction, qui est un grand sacrement, reste elle-même interdite. »

La sentence, nous l'avons dit plus haut, avait été promulguée sur les terres de l'Empire, en présence d'un petit nombre d'évêques français. Il était besoin d'une publicité plus grande afin que personne ne pût, en éludant l'interdit, prétexter de son ignorance. Gautier de Coutances, archevêque de Rouen, fut spécialement chargé par le pape de proclamer l'interdit jeté sur les

(1) Cette prescription était presque l'équivalent d'une prohibition formelle

terres du roi de France, de le signifier aux archevêques, aux évêques, aux abbés, aux templiers, aux hospitaliers, en un mot à tout le clergé français, en lui enjoignant, au nom du saintsiége, d'observer fidèlement la sentence (1). Elle fut aussitôt mise à exécution par les chanoines de Sens, les évêques de Paris, de Senlis, de Soissons, d'Amiens et d'Arras. L'archevêque de Reims, les évêques de Beauvais, de Laon, de Noyon, d'Auxerre, de Thérouenne, de Meaux, de Chartres et d'Orléans, se montrèrent moins pressés d'obéir. Quelques-uns d'entre eux adressèrent au souverain pontife des représentations auxquelles Innocent ne put avoir aucun égard. Alors les opposants se soumirent les uns après les autres, et bientôt l'interdit pesa sur le royaume dans toute sa rigueur. Les cloches devinrent muettes, les églises et les cimetières se fermèrent, les corps des morts restèrent sans sépulture; et tandis que leur insupportable odeur remplissait l'air de miasmes putrides, leur aspect hideux portait l'effroi dans l'âme des vivants (2).

C'était un singulier mode de répression qui, pour la faute du roi seul, atteignait la nation tout entière. On ne peut nier qu'il ne fût contraire aux règles de l'équité; mais l'effet contre le roi lui-même devait en être prompt et terrible, car dans ces siècles où la foi régnait en souveraine, l'interruption des cérémonies, la privation des consolations et des secours de la religion étaient véritablement une calamité publique (3), et celui qui avait provoqué ces rigueurs, celui qui, pouvant les faire cesser, les voyait avec indifférence, s'exposait à devenir l'objet d'une haine universelle. Philippe-Auguste avait peut-être espéré que l'interdit serait une vaine cérémonie, et que la crainte de lui déplaire empêcherait les prélats de s'y soumettre. Mais quand il vit la rigoureuse sentence observée dans le royaume, au sein de ses domaines, au milieu de sa capitale, à la porte de son palais, sa colère ne connut ni frein ni mesure. Il dépouilla de tous ses

(1) Voy. la lettre d'Innocent, Hist. de Fr., t. XIX, p. 386. Cf. Radulf. de Diceto, ibid., t. XVII, p. 659.

(2) Gesta, c. 52. Robert. Altissiod. Chronol. Hist. de Fr., t. XVIII, p. 263. Anonym. Turon. Canon., ibid., p. 295. Radulf. Coggeshal., ibid., p. 91.

(3) « Que celui, dit Raumer, qui ne peut comprendre comment ces mesures pou vaient répandre une si grande frayeur, réfléchisse seulement à l'effet que produirait aujourd'hui la fermeture des théâtres, des cafés, l'interdiction des bals et des concerts. » Cité par Hurter, Hist. d'Innoc III, t. I, p. 310, n. 4.

biens l'évêque de Paris, et le contraignit à s'enfuir à pied de son diocèse. Geoffroi, évêque de Senlis, les autres prélats, et même les curés qui avaient les premiers observé l'interdit, furent chassés de leurs églises, et leurs revenus devinrent la proie du fisc. La fureur du roi s'augmentant à mesure qu'il cherchait à la satisfaire, il extorqua de ses chevaliers et de leurs vassaux le tiers de leurs biens, et accabla ses bourgeois de tailles intolérables et d'exactions inouïes. Enfin, comme pour braver la main qui le frappait, il rendit plus étroite et plus dure la captivité de la malheureuse Ingeburge, cause bien innocente du fléau qui désolait les domaines royaux (1).

(1) Rad. Coggeshal., Hist. de Fr., t. XVIII, p. 92. Anonym. Turon., ibid., p. 295. Rigord, ibid., t. XVII, p. 51. Gesta, c. 53. Guill. Nang., Chron. ad ann. 1199 in fin. Rigord et Guillaume de Nangis disent qu'Ingeburge fut alors enfermée dans la tour d'Étampes; mais on verra plus bas qu'au mois de septembre de l'an 1200 la reine était encore prisonnière à plus de trois journées de Paris.

(La suite à la prochaine livraison.)

LA POUDRE A CANON

ET DE SON INTRODUCTION EN FRANCE (1.

L'origine de la poudre à canon et le premier emploi qui en a été fait dans les armes à feu, est une de ces questions sur lesquelles la critique historique s'exerce depuis trois siècles, sans qu'elle puisse se vanter d'en avoir trouvé jusqu'ici la complète solution. On doit convenir, toutefois, que, par leurs consciencieux travaux, les savants modernes lui ont déjà fait faire un grand pas. Donnant à leurs investigations une direction nouvelle, ils ont su faire jaillir des textes grecs, latins et arabes du moyen âge, des lumières dont leurs devanciers ne s'étaient pas même doutés. Sous la plume d'écrivains qui trouvaient commode de se copier les uns les autres, l'histoire de la poudre était devenue, en quelque sorte, celle d'un seul homme : cet homme est Berthold Schwartz. Mais un jour vint où le prétendu inventeur, relégué par la science au nombre des personnages problématiques, sinon fabuleux, dut descendre du piédestal où l'opinion commune l'avait élevé. La place vacante était trop belle pour manquer de compétiteurs. Aussi vit-on successivement accourir, pour l'occuper, Albert le Grand, et Roger Bacon; peut-être même, au besoin, en serait-on revenu au moine Jean Tilleri, qui, d'après le franciscain Noël Taillepied (2), ayant découvert la poudre en 1384, eut l'honneur de donner son nom à l'artillerie (art de Tilleri). Faut-il s'étonner si au milieu de toutes ces prétentions rivales, l'une ridicule, les autres exagérées, la vérité n'était pas encore parvenue à se faire jour?

Parmi les travaux récents qui doivent contribuer à la mettre

(1) Ce mémoire fait suite aux Dissertations sur l'Histoire de France au quatorzième siècle, dont M. Lacabane a commencé la publication dans ce recueil. Voy. 1re Série, tom. III, p. 1.

(2) Recueil d'antiquités. Paris, 1584; cité par M. Tortel,

en lumière, il est juste de placer en première ligne l'essai de M. Ludovic Lalanne sur le feu grégeois (1). Je n'exposerai pas ici les raisons que donne ce jeune savant pour prouver l'identité de cette matière incendiaire avec la poudre à canon; mais il résulte évidemment des nombreuses citations empruntées par lui aux historiens byzantins (2), et de rapprochements aussi ingénieux que concluants, qu'une grande analogie existait entre ces deux compositions, et que le salpêtre formait incontestablement la base de la première, comme il l'est encore de la seconde.

L'emploi de ce sel comme agent incendiaire remonte donc en Europe aussi haut que le feu grégeois, c'est-à-dire au septième siècle de l'ère chrétienne, époque où, suivant Théophane, Paul Diacre, Constantin Porphyrogénète, Cedrènus et Zonare, ce feu fut communiqué aux Grecs par Callinique (3). D'où ce dernier tenait-il cet important secret? C'est ce que les historiens ne disent pas. Toutefois, si une conjecture pouvait être permise, en l'absence de toute autorité positive, nous dirions que l'origine indienne ou chinoise du feu grégeois nous semble jusqu'ici la moins contestable. Il est en effet prouvé que les compositions inflammables, fusantes et explosives, c'est-à-dire analogues au feu grégeois, existaient très-anciennement dans le Céleste Empire. Peut-être a-t-on exagéré en les assimilant complétement à notre poudre de guerre; mais on ne saurait nier que ce ne fussent des mélanges d'une nature à peu près semblable, à moins de pousser le scepticisme jusqu'à rejeter le témoignage formel des historiens orientaux: « Les Chinois assiégés (en 1232) dans Caïfong« fou, dit M. Quatremère (4), lançaient sur les Mongols des « boulets de pierre, ronds et de différents poids. Il y avait aussi dans cette ville des ho-pao ou pao à feu appelés tchin-tien-leï, dans lesquels on mettait de la poudre. Cette poudre prenant feu, « ils éclataient comme un coup de tonnerre et se faisaient entendre « à plus de cent ly. Leur effet s'étendait à un demi-arpent de a terre tout autour du lieu où ils éclataient. Comme les Mon

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(1) Couronné en 1840 par l'Académie des inscriptions et belles-lettres, et imprimé dans le tome 1er des Mémoires des divers savants.

(2) Entre autres au Traité de l'administration de l'Empire par Constantin Porphyrogénète, à la Tactique de l'empereur Léon VI, à l'Alexiade d'Anne Comnène. (3) Biographie universelle. art. Callinique.

(4) Consultez les savantes notes dont le célèbre orientaliste a accompagné sa traduction de l'histoire des Mongols, tom. Ier, p. 135 et 136.

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