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attirait aussi en France une foule d'étudiants de toutes les parties de l'Europe. Les premières familles du Danemark envoyaient leurs enfants étudier à Paris, et avant la fin du douzième siècle, les jeunes Danois qui venaient chercher l'instruction dans cette capitale, y avaient acquis un établissement qui prit le nom de Collège de Dace (ou de Danemark) (1).

Enfin, des considérations politiques contribuèrent encore à opérer un rapprochement entre les deux nations. La maison royale de Danemark cherchait, vers cette époque, à contracter des alliances avec les familles puissantes, soit en Allemagne, soit dans les autres États européens. D'un autre côté, la rivalité d'intérêts et de gloire qui divisait Richard-Cœur-de-Lion et PhilippeAuguste, devait faire désirer au roi de France l'appui des auciens ennemis de l'Angleterre. Les projets de Philippe n'étaient plus un mystère pour personne. En 1192, ayant reçu avis que le vieux de la Montagne avait envoyé des assassins pour lui ôter la vie, il s'environna de gardes armés de massues d'airain (2). Ensuite il réunit à Paris les prélats et les barons de ses domaines, leur exposa le motif de cette innovation, et attribuant à Richard d'Angleterre la tentative dirigée contre sa personne aussi bien que l'assassinat de Conrad de Montferrat, dont la nouvelle était recem ment parvenue en France, il se déclara résolu à tirer de la perfidie de son vassal une prompte et éclatante vengeance (3). La prudence des conseillers de Philippe eut bientôt calmé cette colère irréfléchie. Cependant, à partir de ce moment, il ne cessa de faire jouer contre l'Angleterre tous les ressorts de sa politique. Il semblait naturel de songer avant tout à s'emparer des provinces que les rois anglais possédaient sur le continent. Mais ce n'eût été qu'ébranler l'arbre qu'il voulait détruire; Philippe jugea plus expéditif et plus sûr de le couper à la racine, et une invasion en Angleterre fut résolue. D'accord avec Jean sans Terre, comte de Mortain, qui lui avait déjà fait hommage, il réunit à Wissant une flotte nombreuse et une armée de Flamands, destinée à opérer une descente en Angleterre vers la fête de Pâques de l'an 1193(4).

(1) Hist. de Fr. Préf. du tome XIX, p. xxxiij. Selon la Porte du Theil (Mémoire, p. 295), ce serait la plus ancienne maison fondée à Paris pour des étudiants étrangers. (2) Rigord, Hist. de Fr., t. XVII, p. 37.

(3) Adjecit cordi sibi esse de manifesto proditore proprias mature ulcisci injurias. Guill. Neubrig. De reb. anglicis, lib. iv, cap. 25.

(4) Gervas. Dorobern. Hist. de Fr., t. XV!, p. 675 d.

Pour mieux préparer son succès, Philippe essaya de faire revivre les vieilles prétentions des Danois sur le royaume d'Angleterre; il eut même la pensée de se faire subroger aux prétendus droits des princes du Danemark (1).

Knud VI, qui régnait alors, était trop occupé dans ses propres États, pour accepter les chances d'une expédition lointaine, aussi incertaine que dispendieuse; mais il dut être flatté des bienveillantes dispositions d'un prince aussi puissant que le roi de France. L'idée d'un mariage entre Philippe-Auguste et une princesse danoise prit-elle naissance à la cour de Philippe ou dans celle de Knud? C'est ce qu'il serait bien difficile de déterminer aujourd'hui. Il est au moins indubitable que Guillaume, abbé de Saint-Thomas du Paraclet, fit un voyage à Paris; que là, de concert avec l'ermite de Vincennes, il négocia le mariage de Philippe-Auguste avec une sœur du roi Knud, et que les conditions de cette union furent à peu près arrêtées avant le départ d'une ambassade solennelle que Philippe envoya en Danemark pour recevoir et ramener la princesse (2).

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Le monarque danois reçut magnifiquement les envoyés français, et après avoir pris l'avis de ses barons, il s'empressa de déclarer que de grand cœur il accordait la main de sa sœur Ingeburge au roi de France. S'adressant ensuite à l'évêque de Noyon, Étienne, chef de l'ambassade : « Mais, dit-il, que demande votre "maître à titre de dot?- L'ancien droit des Danois sur l'Angleter«re, répondit le prélat conformément à ses instructions, et, pour le faire valoir, une flotte avec une armée pendant une seule an«née. Les grands du Danemark ne se montrèrent point favorables à ces prétentions. Nous avons assez à faire, disaient-ils, «contre les Vendes, qui sont païens et voisins de nos États. En « abandonnant nos frontières pour aller combattre les Anglais, nation chrétienne et dont nous n'avons pas à nous plaindre, « nous nous précipitons dans un double danger. D'un côté, nous « ouvrons le Danemark aux puissantes hordes barbares qui l'avoisinent; de l'autre, qui ne sait que l'Angleterre est assez peuplée, assez forte, assez opulente pour défendre avec succès, «< contre toute invasion étrangère, son territoire et sa liberté ?

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(1) Id. ibid., p. 677 c. Roger de Hoved., ibid., p. 561. Guillelm. Neubr. De reb. angl. IV, 25.

(2) Guillelm. abbatis epist. II, 61, 77.

Que le roi de France songe donc à une autre dot; ce n'est pas - en compromettant la destinée de votre peuple, que vous pouvez, ô roi, pourvoir honorablement à l'établissement de votre « sœur. » Ces conseils modérés furent goûtés par Knud, qui s'euquit des ambassadeurs s'ils n'étaient point autorisés à accepter des conditions différentes. Ceux-ci demandèrent alors dix mille marcs d'argent (1). Le roi s'empressa de répondre que c'était une bagatelle eu égard à l'importance de l'affaire et à la qualité des personnes; il accorda la somme, et promit de la payer sans délai (2). Cependant cette libéralité d'apparat était loin de répondre aux véritables sentiments du monarque. Soit que Knud fùt naturellement avare, soit que le trésor royal de Danemark se trouvat en ce moment épuisé, il ne se décida qu'avec beaucoup de peine a payer la dot qu'on lui demandait, et la regretta vivement après l'avoir payée. L'abbé Guillaume s'efforça de consoler son maître en lui insinuant que l'honneur d'une alliance avec la France valait bien dix mille marcs d'argent, et en lui faisant entrevoir, dans les avantages de cette alliance, une compensation suffisante des dépenses qu'il avait faites (3).

Lorsque les ambassadeurs français eurent promis avec serment la ponctuelle exécution des conditions matrimoniales, Ingeburge partit avec eux du Danemark. Elle se dirigea vers la France, suivie d'une escorte de grands personnages danois que conduisait Pierre, évêque de Rothschild, pour qui la France était en quelque sorte une seconde patrie (4). De son côté, Philippe-Auguste, ins

(1) Environ 521 mille francs d'aujourd'hui en valeur absolue, le marc d'argent monnayé valant actuellement 52 fr. 10 c.

(2) Rem, inquit, rex Francorum a rege Danorum nunc petit pertenuem ratione negotii et personarum. Petitionem ejus grate suscipimus, et votum mature implebimus. Guill. Neubrig. De reb. angl. IV, 26.

(3) Nous remarquons surtout cette phrase un peu mystérieuse, qui prouve que l'abbé Guillaume comptait sur l'appui de Philippe pour soustraire le Danemark aux exactions fiscales de la cour de Rome : « Non est, mi domine, parvus honor qui of fertur gratiæ vestræ (quod tamen vobis in aure loquimur), quia si copulatum vestris amicitiis habueritis regem Francorum, non erit de cætero vobis formidini cupiditas et avaritia Romanorum. » Guillelm. abb. Epist. II, 23 et 61.

(4) Pierre et André, fils de Suénon, chancelier de Danemark, firent leurs études à Sainte-Geneviève de Paris, sous l'abbé Étienne, qui fut depuis évêque de Tournai. Pierre avait même résolu de passer sa vie dans l'abbaye, et il y fit profession de la règle des chanoines réguliers. Mais dans la suite, forcé de retourner en Danemark pour rétablir sa santé altérée, il fut promu à l'évêché de Rothschild par son oncle Absalon, archevêque de Lunden. La Porte du Theil, Mém. p. 286, 291.

truit du succès de la négociation, expédia au-devant de la princesse Étienne, évêque de Tournai, et s'avançant lui-même jusqu'à Amiens, il y attendit avec impatience sa nouvelle épouse (1).

Ingeburge était née en 1175, de Waldemar, roi de Danemark, et de Sophie, fille d'un prince russe nommé Wladimir (2). Elle avait donc en 1193 dix-huit ans, c'est-à-dire dix ans de moins que Philippe-Auguste. Les historiens contemporains s'accordent tous à vanter les grâces et les excellentes qualités de la princesse danoise. Pulcherrima puella, mirabili decore prædita; puella sancta, bonis moribus ornata, quam generositatis egregiæ ac multæ decus honestatis adornat; telles sont les expressions par lesquelles ils se plaisent à la désigner (3).

Les connaisseurs la comparaient à Hélène pour la beauté des formes, à Polyxène pour la noblesse du maintien et des manières. Suivant Étienne de Tournai, écrivain un peu prétentieux, mais qui connaissait bien la reine et qui avait été à même d'admirer ses vertus, Ingeburge réalisait le portrait de la vierge chrétienne tracé par saint Ambroise. La beauté de son âme effaçait celle de son visage. Jeune d'années, elle avait la prudence d'une tête blanchie par les ans. Elle se montrait plus mûre que Sara, plus sage que Rébecca, plus gracieuse que Rachel, plus pieuse qu'Anne, plus chaste que Suzanne (4). Les historiens contemporains les plus dévoués à Philippe-Auguste, Rigord et Guillaume le Breton, par exemple, ne parlent qu'avec respect de la malheureuse reine. Enfin tous les témoiguages s'accordent à nous la représenter comme un modèle de vertu et un prodige de beauté.

Ce fut le 14 août 1193 que la jeune princesse donna solennellement sa main à Philippe-Auguste, dans l'église cathédrale d'Amiens. Le roi lui assigna aussitôt pour douaire la prévôté d'Orléans, Créci, Châteauneuf-sur-Loire et Neuville-aux-Bois (5). Le lendemain, 15 août, jour de l'Assomption de la sainte Vierge, il la fit sacrer en grande pompe par Guillaume de Champagne,

(1) Philippe était veuf d'Isabelle de Hainaut, morte le 15 mars 1190, après avoir mis au monde un fils qui succéda à son père sous le nom de Louis VIII.

(2) Geneal. reg. Danorum. Hist. de Fr., t. XIX, p. 309.

(3) Rigord, Hist. de Fr., t. XVII, p. 38. Matth. Paris ad ann. 1193. Vincent de Beauv. Specul. XXIX, 55. Célestin III dans les Hist. de Fr., t. XIX, p. 340.

(4) Steph. Tornac., epist. 276.

(5) Voy. le diplôme dans Baluze, Miscell., t. VII, p. 245, et Hist. de Fr., t. XIX, p. 313, note.

archevêque de Reims, en présence des douze évêques suffragants de cette métropole, d'une brillante assemblée de seigneurs et de chevaliers, et d'une immense multitude de peuple (1). Tout à coup, au milieu de la cérémonie, Philippe, en regardant la reine, se prit à frissonner, à trembler, à pâlir : il put contenir à peine cette subite et violente agitation jusqu'à la fin de la solennité (2). Une aversion soudaine venait de succéder à cette vive impatience avec laquelle, trois jours auparavant, le pétulant monarque attendait sa jeune et belle fiancée. Il résolut aussitôt de se séparer d'elle et voulut la remettre entre les mains des envoyés du roi de Danemark. Ceux-ci, comme on le pense bien, refusèrent d'emmener avec eux la reine de France, et quittèrent précipitamment le royaume (3). Philippe n'en persista pas moins dans sa détermination. Mais comme il ne pouvait briser de sa propre autorité un lien formé et sanctifié par l'Église, il songea à faire prononcer canoniquement le divorce, sous un prétexte de parenté ou d'affinité aux degrés prohibés. Cependant les prélats et les barons se montrèrent d'abord si peu disposés à partager le blame d'une pareille mesure, que le roi se vit obligé de temporiser. On lui persuada même de faire une tentative pour se réconcilier avec la reine. Il manda donc Ingeburge à Saint-Maur, près Paris, et entra seul dans sa chambre à coucher. Mais il en ressortit au bout de quelques instants, jurant qu'Ingeburge ne pouvait être sa femme (4), et pénétré pour elle d'une aversion si profonde, qu'à peine endurait-il qu'on la nommåt devant lui. La reine affirmait au contraire qu'en cette circonstance, Philippe avait usé sur elle de ses droits de mari (5); et si la chose n'eut pas lieu alors, elle était certainement arrivée la première nuit du mariage (6). Quelle fut donc la cause de la subite aversion

(1) Rigord, Hist. de Fr., t. XVII, p. 38; Guillelm. armor., ibid. p. 71; Annal. aquicinct. monast., ibid., t. XVIII, p. 546; Andr. Silvius, ib., p. 557.

(2) Gesta Innoc. III, cap. 48.

(3) Rog. de Hoved., Hist. de Fr., t. XVII, p. 561.

(4) Asserens quod non poterat ei carnaliter commisceri. Gesta Innoc. III, c. 48. (5) Asserebat regina quod carnaliter eam cognoverat. Gesta, I. c.

(6) Sollempniter nuptiali fœdere sibi copulatam etiam thoro accivit, verum post initi fœderis, ut dicitur, unam noctem, incertum unde offensus, abjecit. — Guillelm. Neubrig., De reb. anglicis, IV, 26. In crastino primæ noctis, qua prædictus rex Franciæ illam uxorem suam cognoverat, voluit eam dimittere. Hoveden, Hist. de Fr., t. XVII, p. 561. Et etiam cognita, dit Célestin III dans sa lettre à l'archevêque de Reims. Et Ingeburge elle-même écrivant au souverain pontife: « rex mihi, prout

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