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mune, en apportant des preuves inutiles à l'appui d'une cause définitivement jugée et gagnée. Mais, à mon sens, une pareille pensée serait injuste : on ne saurait être trop attentif à tous les enseignements que l'histoire peut donner; on ne saurait trop se préserver dans la politique théorique du retour des anciens principes, et dans la politique pratique ou l'administration du retour des anciennes formes; et alors, quel préservatif plus sûr qué la connaissance approfondie de la vie publique des temps passés, des ressorts et des embarras de l'administration monarchique, des illusions de cette liberté du privilége plus despotique que le despotisme lui-même.

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Cette connaissance approfondie, M. Alexandre Thomas la possède : il a pénétré avec l'intelligence la plus sûre et démasqué avec la sévérité la plus juste le mensonge et l'égoïsme de cette prétendue liberté ; il en a recherché les prétendus bienfaits dans le triple foyer de la vie publique sous le régime absolu, à savoir les états, les communes et le parlement. Il examine d'abord la composition des états de la province : là, l'Église et la noblesse sont avantagées aux dépens du tiers état, les villes aux dépens des villes, la province aux dépens des comtés; l'étiquette en divise tous les membres, comme le privilege tous les ordres. La juridiction provinciale « exercée par les élus, contrôlée par les alcades, éclairée par les conseils, servie par les procureurssyndics, » manque cependant encore de garanties suffisantes d'ordre et d'harmonie, et se voit entravée à tout moment par des dissidences mesquines et dépréciée par des irrégularités coupables. Ces embarras, cette mauvaise gestion provoquaient les empiétements du despotisme éclairé des ministres et les légitimaient, pour ainsi dire. Toutefois, on peut excuser et admettre cette opposition des états de la province : s'ils repoussaient l'unité politique et l'unité administrative, l'établissement et le progrès de l'impôt régulier et permanent, ils résistaient aussi, en les dévoilant, aux artifices et aux petits moyens de la fiscalité royale et à l'extension excessive des impôts indirects. La défense de leur prérogative, de l'indépendance de leur composition, et le maintien de leur juridiction présentent souvent, avec une certaine ostentation, toutes les formes du patriotisme; quelquefois même ils s'associent avec intelligence et empressement aux mesures utiles de la royauté et de son conseil ; à la réformation des tailles, par exemple. Mais quand on étudie ensuite le régime intérieur de la province, l'administration financière et militaire, la police des états, on n'est plus frappé que de l'égoïsme, de l'indi:férence, de la paresse et de l'ignorance opiniâtre et volontaire des esprits. Ils se refusent à l'accomplissement de tous les devoirs d'ordre public et d'intérêt général, ils rejettent les leçons et les avertissements salutaires de la royauté et laissent en souffrance tous les services publics qui leur sont confiés, tous les grands objets d'administration, les fournitures militaires, la levée des milices, le recouvrement de l'impôt, les manufactures, les haras, les forêts, les ponts et chaussées. Et à mesure qu'on descend les degrés de la hiérarchie dans l'ancienne société, on voit l'esprit d'isolement, c'est-àdire l'esprit le plus opposé à l'unité et à la liberté, se fortifier davantage.

Toutes les autorités publiques, jalouses les unes des autres, se retranchent dans leur juridiction, au lieu de concourir au bien de l'administration; les provinces limitrophes s'efforcent de doubler leurs barrières et rejettent cette noble solidarité, cette fraternité que le conseil du roi veut leur imposer; les localités se ruinent mutuellement; la guerre existe entre les villes et au sein même des villes, plus cruelle et plus odieuse à mesure que le théâtre s'en rétrécit; et, comme l'a fortement exprimé M. Alexandre Thomas, « il en est de la souveraine indépendance municipale, comme de la << souveraine indépendance provinciale, elle aboutit à l'anarchie. » L'anarchie n'est ni l'égalité, ni la liberté. Ainsi, sous le gouvernement absolu, ce n'est pas, comme on l'a tant de fois répété, à la commune, à la localité qu'il faut demander l'enthousiasme et le sentiment de la liberté et du patriotisme; c'est bien plutôt à la royauté, qui seule se montre préoccupée du perfectionnement des intitutions, du bien-être général, qui seule intervient comme principe protecteur, qui prend le parti « du plus grand nombre contre le plus petit, des administrés contre les administrateurs, des pauvres contre « les riches. » Les parlements eux-mêmes, qu'on a toujours regardés comme les représentants de l'indépendance et du libéralisme contre les rigueurs de la monarchie absolue, ces grands corps, qui avaient su donner à leur privilége le caractère d'une liberté pleine de dignité et de vigueur, et à leur prérogative celui d'une constitution réelle, méconnaissaient plus que les états et tout autant que les magistratures municipales, les nécessités du peuple. Il ne faut pas oublier qu'ils ont refusé de consacrer les nobles et généreuses réformes de Turgot, qu'ils ont repoussé, dans l'aveuglement de leur esprit intéressé, l'égalité de l'impôt territorial, la libre circulation des grains, c'est-à-dire, la destruction des douanes intérieures, et l'affranchissement du commerce et de l'industrie. Aussi, seule parmi tous les priviléges anciens, la royauté a-t-elle survécu; seule elle pouvait consentir à modifier son caractère, à perdre de sa puissance, à renoncer à ses plus chères prétentions, à vivre dépouillée d'une partie de sa gloire et de son éclat.

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Je n'ai pu analyser le livre de M. Thomas dans tous ses détails; je me suis attaché à en faire ressortir la pensée principale et à détacher la vérité des faits de toute sorte, des considérations historiques qui l'établissent et la fondent; lui-même, en nous avertissant à plusieurs reprises qu'il avait recueilli tous ces détails, non dans une vue didactique, mais dans l'intérêt d'une vérité de l'ordre politique, semblait nous conseiller de prendre ce parti. Je laisse d'ailleurs à d'autres plus instruits que moi le soin de juger et de vérifier ce long commentaire des décrets des états, des délibérations de la chambre des comptes, des registres de l'administration municipale, des arrêts et des règlements du parlement de Dijon. Je me bornerai à une seule observation ce livre est d'une lecture difficile; si la pensée politique qui y est développée est à la portée et dans le domaine de tous les esprits, l'in terprétation de tous ces documents empruntés à la pratique des affaires, est souvent obscure, comme le fond même de ces documents. Or, il est malheu

reux de prouver une chose connue par une autre moins connue; n'est-ce pas, comme on le dit en philosophie, vouloir éclairer la lumière par les ténèbres? S'il n'entrait pas dans le plan de l'auteur de faire l'histoire particulière des institutions de ce temps, ni d'exposer, ni de définir la nature des priviléges, des usages, des impôts qu'il voulait surtout juger et condamner, il eût pu cependant être moins réservé comme historien, moins savant et moins obscur comme interprète, moins sobre d'éclaircissements et d'explications. Faute de ces explications qu'on lui demande souvent sans obtenir de réponse et qu'on ne sait où trouver ailleurs; faute de l'instruction première que l'étude même du droit ne donne pas, beaucoup de lecteurs ne comprendront pas ou n'apprécieront que d'une manière incomplète les raisons et la portée de ses jugements. Ce livre n'en est pas moins fort utile, et c'est son utilité surtout que j'ai voulu mettre hors de doute. Car, je le répète encore, nous ne saurions constater trop souvent et de trop de manières, que les réformes que nous avons opérées étaient nécessaires, qu'elles ne furent ni téméraires ni illusoires, que la révolution française a créé un ordre de choses tout nouveau, et surtout entièrement distinct de l'ordre qui prévalait auparavant; que la nation enfin « n'a pas perdu ce qu'elle avait, « sans atteindre ce qu'elle voulait; »> nous ne saurions trop nous rassurer contre ces anathèmes terribles dont M. de Maistre a frappé la durée et la fécondité de la révolution; nous ne saurions trop nous persuader que notre constitution est notre œuvre, qu'elle est une œuvre réelle et non pas seulement une abstraction, ni surtout une copie mal déguisée des anciennes institutions. AM. TAR.

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Le Trésor deS CHARTES, sa création, ses gardes et leurs travaux, depuis l'origine jusqu'en 1582; par M. L. Dessalles. Brochure in-4°. Imprimerie royale, 1844.

Quand on songe à l'importance du vaste et précieux dépôt si connu sous le nom de Trésor des Chartes, on a lieu de s'étonner que son histoire et sa constitution n'aient pas été jusqu'à présent l'objet de recherches plus suivies et plus multipliées. Il est vrai de dire qu'il était autrefois fort peu abordable, et ce n'est qu'à des circonstances toutes particulières qu'on doit les travaux dont il a été l'objet. Du Puy est le premier qui en ait parlé. Chargé, en 1615, d'en dresser l'inventaire, il se livra dans ce but à des recherches qu'il fit imprimer plus tard à la suite de son Traité des droits du roi, sous ce titre Du Trésor des Chartes du roy et de la charge de trésorier et garde dudit Trésor, et de ceux qui l'ont exercée, et des inventaires qui en ont été faits. Ce n'est qu'un discours très-sommaire, mais il ne laisse pas d'avoir le mérite d'être le premier qui ait débrouillé la matière. Longtemps après, Bonamy ayant été chargé à son tour d'un travail sur les registres du Trésor, lut à l'Académie des inscriptions un Mémoire historique sur le Trécor des Chartes et sur son état actuel. Il contient des choses curieuses et de

bonnes recherches, mais l'auteur a plus spécialement porté son attention sur les registres de cette collection, renvoyant pour le reste au travail de Du Puy. C'est là tout ce qui a paru jusqu'à présent sur le Trésor des Chartes, considéré d'une manière générale; car l'abbé Sallier et Gaillard n'ont donné que des notices sur des registres isolés. Aussi, tout en rendant à Du Puy et à Bonamy la justice qui leur est due, est-il permis d'avaneer qu'ils n'ont pas tout dit, et qu'il restait, après eux, bien des lacunes à combler. C'est la tâche que M. Dessalles s'est imposée et dont il commence l'accomplissement dans le mémoire dont nous allons rendre compte. Ce mémoire qui n'est au reste que la première partie d'un travail qui doit embrasser dans son ensemble toute l'histoire du Trésor des Chartes, s'étend depuis l'origine de cet établissement jusqu'à l'année 1582, époque à laquelle la charge de garde du Trésor fut réunie à celle de procureur général au parlement. L'auteur commence par examiner ce qui a donné lieu à la formation du Trésor des Chartes et quels furent ceux qui y ont concouru les premiers. On sait qu'en 1194, Philippe-Auguste, marchant contre Richard Cœur de Lion, se laissa surprendre par celui-ci dans le vallon de Bellefoge, entre Blois et Fréteval, et qu'il perdit dans cette rencontre, non-seulement tous ses bagages, mais encore le sceau royal et les livres du fisc. Cette perte, ainsi que le remarque M. Dessalles, dut d'autant plus affliger le roi, qu'elle comprenait également les lettres par lesquelles les habitants de la Normandie se reconnaissaient ses vassaux en vertu d'un traité conclu, au mois de janvier 1193, entre lui et Jean sans Terre, alors simple comte de Mortain. Aussi, est-ce pour la réparer et en prévenir de semblables à l'avenir qu'on dut concevoir la première idée d'un établissement fixe destiné à la conservation des archives de la couronne. Le soin de le former fut confié à deux hommes qui jouissaient de toute la confiance de Philippe-Auguste, Guérin, alors frère profès de l'ordre de Saint-Jean-de Jérusalem, depuis évêque de Senlis et chancelier de France, et Gauthier de Nemours, dit le Jeune. Après s'être étendu sur ces deux personnages et sur leurs travaux, M. Dessalles s'attache à combattre l'opinion de Du Puy, qui avait fait de leurs successeurs, Jean de Calet et Pierre de Bourges, deux gardes du Trésor des Chartes, tandis qu'il prouve que ce titre ne fut donné pour la première fois qu'à Pierre d'Étampes, par lettres patentes de Philippe le Bel, du 27 février 1307. De cette date à celle de 1582, où s'arrête ce premier mémoire, on trouvera une suite de vingt et un gardes du Trésor des Chartes, dont voici les noms Pierre d'Étampes, Pierre Julien, Jean de la Queue, Adam Boucher, Nicolas de Villemer, Pierre Gonnesse, Pierre Turpain, deux du nom de Gérard de Montaigu, Jean de Chanteprime, Étienne de Mauregard, Robert Mallière, quatre membres de la famille des Budé, Jacques Louvet, Sébastien le Roullyé, Christophe et Jean de Thou, Hugues Fromaget et JeanJacques de Mesmes, qui résigna sa charge au procureur général Jean de la Guesle, au mois de janvier 1582. Cette liste, plus complète que celle de Du Puy, exclut un Jean de Brenne, personnage dont l'introduction n'était

due qu'à une erreur de lecture. M. Dessales donne sur chacun de ces gardes, sur leurs travaux, leurs fonctions et leurs priviléges, tout ce qu'ont pu lui fournir de certain de longues et d'attentives recherches. Ce sont, en quelque sorte, autant de petites biographies puisées aux sources, et dont les détails, pour la plupart entièrement nouveaux, sont d'un véritable intérêt. Nous allons en extraire ce qui nous a semblé le plus remarquable.

Et d'abord, pour ce qui est du titre et des fonctions de cette charge, nous lisons dans les lettres de nomination de Pierre d'Étampes, que le roi lui confie la garde de toutes ses lettres, chartes et priviléges étant dans sa maison du Palais à Paris ; qu'il devra les visiter, les classer, en un mot faire tout ce qui sera nécessaire à leur conservation. Il y est également dit que Pierre de Bourges devra lui remettre les clefs du lieu où elles se trouvaient. Les gardes du Trésor sont tantôt nommés gardes des registres et priviléges du roi, tantôt gardes du trésor des priviléges du roi, tantôt secrétaires et gardes des chartes, enfin trésoriers des chartes. Quant à leur condition, on en trouve de clercs et conseillers du roi, de notaires et secrétaires du roi, de greffiers au parlement et à la chambre des comptes, des nobles, des chanoines, deux maîtres de la chambre des comptes. On voit que pour ces fonctions, comme pour beaucoup d'autres, il n'y avait rien de bien arrêté, et que le choix du roi pouvait tomber sur tous ceux dont la profession supposait une certaine culture des lettres. Au reste, ils étaient astreints au serment et ils le prêtaient devant la chambre des comptes, car, comme on l'apprend d'un arrêt du conseil de 1697, « dèz l'année 1333 le garde du « Trésor a été dépendant de ladite chambre des comptes, y a fait serment « et s'est chargé envers elle des clefs et des titres estant audit Trésor lorsqu'il y a eu installation d'officier. » Aussi on tro uve dansles mémoriaux de cette chambre, à la date du 2 août 1361, en parlant de Nicolas de Villemer : præstitit solitum in talibus sacramentum. C'est la première mention qui en soit faite. Pour ce qui est de leurs priviléges et de leurs franchises, ils étaient en tout assimilés aux notaires et secrétaires du roi. Quelquefois ils étaient chargés d'aller en personne retirer des archives des particuliers quelques titres qui touchaient aux intérêts du roi. C'est ainsi qu'en 1325, on voit Pierre-Julien envoyé à l'abbaye de Pont aux Dames pour remplir une mission de cette nature. Ils devaient également présider aux versements qui se faisaient au Trésor des Chartes. En 1328 s'opéra celui des archives appartenant à Philippe de Valois avant qu'il montât sur le trône. Charles VI y fit transporter, en 1383, ce qui restait des archives de la prévôté des marchands, qui avaient été en partie détruites lors de la sédition des maillotins. Nous pourrions multiplier les exemples de faits de ce genre; nous préférons renvoyer le lecteur au mémoire lui-même. Nous dirons seulement un mot des anciens inventaires.

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Il y en a trois principaux : celui de Pierre d'Étampes, celui de Gérard de Montaigu et celui de Jacques Louvet. Celui de Pierre d'Étampes fut ter ́miné en 1318. Il est dédié à Philippe le Long, qui ne laissa pas sans récom1. (Deuxième série.)

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