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HISTORIQUE

Paraissant tous les deux mois.

Ne quid falsi audeat, ne quid veri non audeat historia.
CICERON, de Orat., II, 15.

VINGT ET UNIÈME ANNÉE.

TOME SOIXANTE-DEUXIÈME

Septembre-Décembre 1896.

PARIS

ANCIENNE LIBRAIRIE GERMER BAILLIÈRE ET Cle FÉLIX ALCAN, Éditeur

108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN

AU COIN DE LA RUE HAUTEFEUILLE

1896

LA QUESTION

DE

LA MADDALENA

I.

Entre la Sardaigne et la Corse se trouve un groupe d'îlots, presque abandonnés jadis. Les bergers corses venaient y faire paître leurs troupeaux et y semer du blẻ; ils y vivaient sous des huttes; tous n'y restaient pas à demeure fixe. Ces petites îles appartenaient à la République de Gênes, maîtresse de la Corse, dont elles étaient une dépendance; elles servaient de Communaux, comme nous dirions maintenant, aux habitants de Bonifacio; elles étaient peu connues et mal dessinées sur les cartes, où elles figuraient sous les noms d'îles des Bouches de Bonifacio, d'isole Buccinare, de Buccinares ou d'îles Intermédiaires. Les corsaires Barbaresques et Mahonnais s'y abritaient quelquefois; les navigateurs les dédaignaient, les considérant comme de nulle importance.

Aujourd'hui, les plus septentrionales de ces îles, Cavallo et Lavezzi, appartiennent à la France; les autres, Razzoli, Santa Maria, Budelli, Spargi, la Maddalena, Caprera et San Stefano, sont connues sous le nom d'Archipel de la Maddalena. Entre la Maddalena, Caprera, San Stefano et la Sardaigne elle-même, il existe une rade spacieuse et sûre, protégée de tous les côtés contre le flot de la haute mer; les plus gros navires peuvent y accéder par deux passes étroites, dont en aucun point la profondeur n'est moindre de trente mètres. C'est là que les Italiens ont établi l'une des stations maritimes les plus faciles à défendre et les plus formidables du monde; pour la bloquer, il faudrait deux flottes, puisqu'elle possède deux issues, l'une à l'est, faisant REV. HISTOR. LXII. 1er FASC.

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face à la péninsule, c'est-à-dire à Naples et à la Spezzia, l'autre à l'ouest, qui débouche sur la ligne de communication de la France et de l'Algérie; elle menace à la fois la Corse, Bizerte et Toulon.

Nelson fut le premier qui utilisa cet admirable réduit stratégique; c'est là qu'il vint s'embusquer avec son escadre après la rupture de la paix d'Amiens; c'est de là qu'en 1805 il partit pour la fatale expédition de Trafalgar. « La Sardaigne, écrivait-il « dès 1803, est la plus importante position de la Méditerranée et << le port de la Madeleine le plus important des ports de la Sar« daigne. Il y a là une rade qui vaut celle de Trinquemalé et qui << n'est qu'à vingt-quatre heures de Toulon. Ainsi la Sardaigne, << qui couvre Naples, la Sicile, Malte, l'Égypte et tous les états << du Sultan, la Sardaigne bloque en même temps Toulon... << Malte ne vaut pas la peine d'être nommée après la Sar<< daigne... 1. >>

Comment et à quel titre la Cour de Turin est-elle entrée en possession de cette Maddalena, qui enthousiasmait ainsi Nelson et dont l'Italie moderne a su tirer un tel profit? Aucun historien français ne s'en est soucié et Mimaut, s'inclinant devant le fait acquis, a écrit avec confiance, en 1825, que le Judicat sarde de Gallura << comprenait, outre les îles Adjacentes ET les Inter« médiaires, dix cantons dans la Gallure proprement dite et << quatre dans la Gallure orientale 2. » Seul, un érudit corse, M. l'abbé Letteron, professeur d'histoire au lycée de Bastia, a commencé à soulever ce voile3. Pour se renseigner plus amplement, il faudrait donc recourir aux ouvrages intéressés des auteurs italiens.

D'après l'éminent professeur et sénateur M. Carutti, qui nourrit de ses leçons d'histoire toute la jeunesse diplomatique et militaire de la péninsule, le comte de Vergennes fit pour ainsi dire inopinément surgir, en 1784, la question de propriété de la petite île de la Maddalena que la République de Gênes, dit-il, avait autrefois prétendu être sous la dépendance de la Corse; Vergennes aurait proposé que, la Corse et la Sardaigne ne pouvant établir leurs droits sur des titres suffisants, « le sondage le plus profond dans les << Bouches de Bonifacio tranchât le litige, » et l'affaire se serait

1. Jurien de la Gravière, Guerres maritimes de la Révolution et de l'Empire, t. II, p. 79.

2. Mimaut, Histoire de Sardaigne, t. I, p. 106.

3. Letteron, Osservazioni storiche sopra la Corsica dell' abbato Ambrogio Rossi. Petit Bastiais, 15 janvier 1894; 21 février, 4 mars et 21 avril 1895.

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